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Larzac : les altermondialistes vont animer la rentrée sociale

Publie le jeudi 28 août 2003 par Open-Publishing

Larzac 2003", le grand rassemblement altermondialiste, a réuni entre 200
000 et 300 000 personnes, du vendredi 8 au dimanche 10 août. "Ce doit
être le départ des luttes pour les semaines à venir", a lancé José Bové,
porte-parole de la Confédération paysanne, qui demande aux opposants à la
mondialisation et aux adversaires des réformes de la droite de "mettre nos
gouvernements sous contrôle citoyen". De son côté, Philippe Douste-Blazy
(UMP) souligne le caractère "obsolète et inapplicable"des solutions de
l’extrême gauche, tandis que François Bayrou estime qu’"un mouvement très
important est en train de naître". Dans un entretien au Monde, le
commissaire européen au commerce, Pascal Lamy, affirme que "l’Union
européenne veut maîtriser la mondialisation".

Plateau du Larzac (Aveyron) de nos envoyées spéciales
José Bové et les organisateurs de "Larzac 2003" en sont persuadés, la
rentrée sociale s’est faite ici, sur le plateau aveyronnais, où 200 000 à
300 000 personnes ont afflué entre le vendredi 8 et le dimanche 10 août. Sur
la grande scène, lors du meeting de clôture, le leader paysan leur a donné
plusieurs rendez-vous : dès la fin du mois, à l’université d’été du Medef et
à celles des partis politiques ; à partir du 6 septembre "dans la rue" pour
faire échouer le sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à
Cancun (Mexique) ; mi-septembre pour soutenir des inculpés de Fumel
(Lot-et-Garonne), qui ont reçu leur citation à comparaître pour la
destruction d’un incinérateur, en 1999.

"Ce rassemblement doit être le point de départ des luttes pour les semaines
et les mois à venir, a-t-il lancé d’une voix cassée. Il doit y avoir des
manifestations sur tout le territoire, devant le siège des multinationales.
Reprenons ce que font les intermittents devant les hôtels de ville :
poussons un cri, pour que la vie triomphe de l’OMC."Il y a trente ans, lors
des manifestations contre l’extension du camp militaire, le mot d’ordre
était "Gardarem lo Larzac", a-t-il rappelé, "le slogan que nous garderons de
ce rassemblement, c’est "Gardarem la terre"". Et la volonté de "mettre nos
gouvernements sous contrôle citoyen".

Annick Coupé, porte-parole du G-10 Solidaires (SUD, etc.), a pris le relais.
"Nous repartons beaucoup plus forts qu’il y a 48 heures, a-t-elle souligné.
Ce gouvernement arrogant a essayé de nous faire baisser la tête. Il s’est
lourdement trompé. Nous sommes encore plus déterminés à nous battre contre
la régression sociale." Pour la syndicaliste, "le combat des mois à venir,
c’est la protection sociale". "L’enjeu financier est important pour les
multinationales qui n’attendent que la privatisation de la Sécurité sociale
et de la santé", a-t-elle expliqué.

Le dernier meeting fini, orateurs et organisateurs avaient du mal à contenir
leur émotion devant le succès du rassemblement, qui s’est déroulé sans
heurts. François Dufour, vice-président d’Attac et membre de la
Confédération paysanne, était au bord des larmes, José Bové, aphone, tirait
sur sa pipe "pour les nerfs".

Pendant trois jours, dans des forums pleins à craquer ou sur les stands des
associations, les altermondialistes ont dit et redit les raisons de leur
colère : la libéralisation des services, le démantèlement des droits
sociaux, notamment les retraites, la décentralisation, la "répression
policière", les brevets sur le vivant, la surconsommation, l’intervention
américano-britannique en Irak, la politique israélienne vis-à-vis des
Palestiniens....

Au cours du débat intitulé "La répression : le néolibéralisme par la peur",
l’animateur de France-Inter Daniel Mermet s’est amusé de la renaissance d’un
vieux slogan : "Police partout, justice nulle part". Gilles Saynati, du
Syndicat de la magistrature, a dénoncé la théorie de la tolérance zéro et
les atteintes aux droits de la défense. "Sarkozy n’est qu’un épiphénomène.
Toutes les procédures adoptées évacuent la contradiction et le rôle de
l’avocat, a-t-il affirmé. On casse complètement l’individu pour de petites
broutilles. Pendant ce temps, il n’est plus question de la délinquance
financière."

Jean-Claude Amara, du mouvement Droits devant, a fait huer la
"criminalisation de la misère". "La mobilisation contre l’accord
multilatéral sur l’investissement -AMI- a été une première gifle pour le
système de barbarie capitaliste. Si nous nous mobilisons, les sans-logis,
les sans-droits, les sans-travail, les sans-papiers, nous sommes un danger
monumental pour lui, a-t-il déclaré. Groupons-nous, ne laissons pas un
espace entre nos luttes !" Sous le chapiteau, on a conspué le "harcèlement"
de la police contre les réfugiés autour du centre de Sangatte, les "rondes
dans les rues de Calais pour ramasser les faciès basanés".

Sous une autre tente, le projet d’Accord général sur le commerce et les
services (AGCS) - au centre du prochain sommet de l’OMC à Cancun - a été
décortiqué. Ses adversaires y voient une menace de "privatisation" de
l’éducation, de la culture, de la santé et de la gestion de l’eau ou de
l’environnement... "Les seuls services qui en sont exclus sont ceux qui
n’entrent pas en concurrence avec le privé, c’est-à-dire la police, la
justice et l’armée... et encore, a expliqué Pierre Barge, membre de la Ligue
des droits de l’homme et du collectif contre l’AGCS. Tous les autres
services, les services publics, sont menacés. Nous devons changer le mandat
de Pascal Lamy -commissaire européen au commerce- pour demander une
évaluation des conséquences des accords déjà passés et un moratoire sur
l’AGCS." Jean-Pierre Moreux, (CGT-Spectacle) a prédit l’ouverture de la
"chasse à courre" dans le domaine de la culture.

"UNE ÉPOQUE OBSCURE"

Les sujets qui fâchent, comme les moyens de lutte, les conflits entre emploi
et environnement dans le nucléaire ou le lien entre le mouvement social et
les partis et les syndicats traditionnels, ont rarement été abordés. A côté
du stand "Culture en danger", très fréquenté, la CGT faisait grise mine. "Au
moins, on ne nous jette pas des pierres, notait un militant. Et nous sommes
là, contrairement à d’autres", une allusion à la CFDT, absente du
rassemblement.

L’heure n’était pas au débat contradictoire, mais à la mobilisation contre
les ennemis communs. Dans l’un des forums, un vieux militant le regrettait :
"Cela fait dix-huit ans que je viens dans ce genre de rassemblement, et on
ne parle toujours pas des moyens d’obtenir ce que nous réclamons."L’écrivain
franco-argentin Miguel Benasayag a tenté de répondre à cette interrogation
au cours d’un forum. "Nous sommes au cœur d’une époque obscure, a-t-il
lancé. Nous faisons partie d’une toute petite et frémissante
contre-offensive. Il faut construire en intensité l’alternative. Un autre
monde est possible par d’autres choix de vie. Nous sommes à une époque de
laboratoires sociaux."

Raphaëlle Besse Desmoulières et Gaëlle Dupont