Accueil > Le FN ouvre un front sur Second Life

Le FN ouvre un front sur Second Life

Publie le samedi 23 décembre 2006 par Open-Publishing

Après l’invasion d’entreprises du monde réel et d’organes de presse, voilà que les politiques se mettent à faire campagne dans le monde virtuel Second Life. En France, c’est le Front National qui ouvre la marche.

Après l’invasion d’entreprises du monde réel (Adidas, Toyota, American Apparel, Starwood, IBM etc...), d’organes de presse (Reuters, Wired et bientôt le tabloïd allemand Bild), voilà que les politiques se mettent à faire campagne - à grand renfort de communiqués - dans le monde virtuel Second Life.

En France, c’est le Front National qui s’enorgueillit d’être « le premier parti politique français et européen à établir une présence officielle et permanente sur Second Life, et la seule organisation officielle française à y être présente. » (1) C’est un fait, à ceci près que d’autres s’y sont aventurés avant lui comme l’ancien gouverneur de Virginie. Le 31 août, le démocrate Mark Warner était interviewé devant un parterre d’avatars par Hamlet Au, influent reporter qui couvre l’actualité de ce continent en 3D dans son blog New World Notes. Le 24 octobre, l’UKIP, Le parti de l’indépendance du Royaume-Uni, europhobe et anti-immigré, annonçait qu’il est sur le point d’ouvrir une branche du parti dans Second Life-, annonce non suivie des faits. Le 3 novembre, ce sont quatre membres du parlement néerlandais, le conservateur Zsolt Szabó (VVD), la socialiste Arda Gerkens (SP), le démocrate-libéral Bert Bakker (D66) et le démocrate-chrétien Ad Koppejan (CDA) qui ont fait un crochet dans le cadre de leur campagne pour les législatives, avec conférence de presse et tractage sur la place d’Amsterdam reconstituée.

L’initiative de ce bureau virtuel permanent revient au Front national de la jeunesse mosellan, qui veut y « promouvoir la candidature de Jean-Marie Le Pen », « rassembler les adhérents et sympathisants FN de Second Life » et plus incongru « promouvoir la présence des organisations et entreprises françaises dans les mondes virtuels, jusqu’à présent monopolisés par les Anglo-saxons ». Une annonce qui valait bien une petite visite de courtoisie.

Direction Second Life donc (le logiciel est à télécharger gratuitement), et téléportation après une rapide recherche du lieu.

Curieusement, le bureau virtuel se situe dans un énorme centre commercial à l’américaine, le Matrix Mall, au lieu-dit Porcupine. Le local vitré se fond dans le décor n’était les immenses affiches à l’effigie du dirigeant frontiste, et ses slogans chocs « Le Pen, politiquement non modifié ». A l’intérieur du lieu, désert à cette heure de l’après-midi, un mobilier sommaire, quelques tracts et photos, un lien sur le discours de Valmy, une boîte à T-shirts (défectueuse), un ordinateur qui permet de se connecter au site web du parti ou de prendre gratuitement sa carte virtuelle d’adhérent.

On en profite pour flâner dans le voisinage. A deux pas, une boutique paramilitaire vend des uniformes rappelant ceux de la Wehrmacht, plus loin, un supermarché de fusils d’assaut. A l’étage, on peut acquérir tout un arsenal nucléaire, moyennant quelques linden dollars (la monnaie du monde virtuel, convertible en dollars réels). En face, une boutique de souvenirs qui vend des chandeliers à 7 branches et des étoiles de David dans des boules à neige.

Le temps de revenir sur ses pas, le bureau s’est animé. Deux avatars blonds aux yeux bleus, au physique altier, vêtus de T-shirts moulants à flamme tricolore sont en pleine discussion avec un élégant avatar en bas de dentelle et mini-jupe. Elle tente d’asticoter celui qui semble être le responsable des lieux, un avatar nommé Wolfram Hayek : « J’aurais une question assez directe. Pourquoi êtes-vous blond, vous êtes le premier blond que je rencontre dans Second Life ». Réponse de Wolfram Hayek : « Parce que nous sommes des nazis bien sûr :) » Tous les avatars présents rigolent. Lorsqu’on lui fait remarquer l’emplacement fâcheux du bureau en face de la boutique paramilitaire, il s’étonne : « excusez-moi, je ne vois pas ce magasin... En face c’est une boutique de tableaux. S’il vous plaît, n’y voyez aucune coïncidence fâcheuse, il y a des magasins d’armes partout dans Second Life, ça attire les fans de jeux vidéo. » Quant à la raison de leur présence ici, outre l’opération marketing ? « Jean-Marie Le Pen a beaucoup d’intérêt pour l’internet en général. Le FN est pour la liberté individuelle, l’internet et les mondes virtuels sont les meilleurs symboles de cette liberté » réplique Wolfram Hayek. Le FN pense-t-il vraiment trouver un écho quelconque auprès de la population métissée de Second Life ? Wolfram Hayek veut le croire, il prétend avoir recruté « une douzaine de militants » mais qui sont « sans doute déjà militants dans le monde réel », concède-t-il. Quant à la venue du chef frontiste dans Second Life, elle n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant, il aurait mieux à faire que d’aller discourir devant des êtres de pixels.

Le discours du jeune militant est parfaitement maîtrisé, policé à l’extrême, emblématique de la volonté du FN de se forger une façade de respectabilité (lire l’article). Après une longue tirade prosélyte, Wolfram s’excuse et dit devoir s’absenter pour une réunion, dans la vraie vie. On reste donc avec son comparse, le bien nommé Splendens Bosch. « Vous ne trouvez pas que Bosch c’est un peu maladroit comme pseudo ? »

« J’ai trouvé ça rigolo et amical en même temps, étant donné que la Lorraine est proche de l’Allemagne », dit l’avatar, clone du précédent. Lui est au FN depuis 15 ans, et au chômage. On s’étonne qu’il puisse souhaiter la suppression des aides sociales prônée par le FN. « Je ne touche pas d’aides, on m’a viré de l’ANPE, j’en avais marre des stages à la con. L’ANPE, ça ne sert à rien pour trouver un travail, si je veux un job, y a l’intérim, mais ça fait dix ans que j’en fais, je veux un boulot stable ». Et lorsqu’on lui demande s’il pense vraiment que le FN va l’aider à trouver un emploi, il rétorque : « ils m’en ont déjà proposé un, il y a quelques jours... dans le secrétariat. »

Sur le blog Second Life Herald, consacré à l’actualité du monde virtuel, les résidents s’émeuvent de la présence du parti d’extrême-droite français, même si son éditeur, Urizenus Sklar, alias Peter Ludlow, professeur de philosophie et de linguistique à l’université du Michigan n’est pas favorable à une censure. « Il serait probablement impossible de maintenir de telles organisations hors de Second Life. Je pense que c’est mieux que des groupes comme le FN s’exposent tel qu’ils sont réellement. C’est l’avantage d’un média social interactif comme Second Life par rapport à d’autres médias comme la télévision et la radio. Si j’écris une histoire sur le QG du FN, les gens vont réagir, fournir des liens sur toutes les phrases dérangeantes de Le Pen. Certains vont essayer de le défendre, mais si leur défense est éronnée, ils s’exposent aux contre-feux. Quant aux créateurs de Second Life, leurs règles sont très générales. Pour que Linden Lab bannisse le FN, il faudrait qu’il se montre manifestement raciste. »

En revanche, rien n’interdit des manifestations virtuelles pacifiques devant le bureau du FN, ni même d’aller éventuellement graffiter quelques affiches...

(1) Même si on peut déjà y croiser la caricature de Ségolène Royale, alias SuperSego, en wonder-woman dans son QG à « Little Deauville ».