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Le coup d’Etat raté de Villepin

Publie le mercredi 5 avril 2006 par Open-Publishing
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Le coup d’Etat raté de Villepin
Par Arnaud Montebourg
Député de Saône et Loire
Vice Président de la Commission des Lois

Le Président a confié la France à un homme qui a sa faveur plutôt qu’à tout autre ayant une légitimité parlementaire. Le pays se retrouve ainsi dans une situation de quasi-coup d’Etat.

Pourquoi un homme seul peut-il imposer sa volonté personnelle à la société toute
entière dressée contre lui ? Parce que le système politique le permet. Il a même été
conçu pour rendre possible l’usage de procédés autoritaires portant atteinte aux
intérêts directs de dizaines de millions de citoyens.

On peut, dans notre système politique, gouverner par ordonnance : c’est de la sorte
qu’a été créé le CNE, grand frère du CPE, l’été dernier en mettant le Parlement en
vacances. On peut aussi gouverner en piétinant ses propres engagements solennels
inscrits dans le marbre de la loi. C’est ainsi que Monsieur de Villepin a réduit à l’état
de chiffon de papier la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social, dans laquelle le
gouvernement s’obligeait à consulter les partenaires sociaux avant toute réforme du
droit du travail. On peut également appeler une loi un texte qui n’a pas été voté grâce
à l’usage de l’article 49-3 de la Constitution.

Un Gouvernement peut aussi
tranquillement violer dans notre système les engagements internationaux de la
France sans en être outre mesure inquiété. Il suffit de procéder par voie
d’amendement et de contourner ainsi la consultation préalable et obligatoire du
Conseil d’Etat, comme ce fut le cas s’agissant de la création du CPE. Un
Gouvernement peut même organiser la mobilisation politique des Procureurs pour
imposer à des juges prud’hommaux résistants un dispositif comme celui du CNE
dont ils refusent l’application en droit et en toute indépendance. Un Gouvernement
peut même faire du Conseil Constitutionnel l’annexe de ses intérêts en y faisant
nommer en nombre ses anciens collaborateurs aussi dociles que dévoués et lui faire
prendre les décisions qu’il attend. Un président de la République, pourtant garant du
fonctionnement régulier des institutions, peut désormais décider de promulguer, c’est
à dire de faire appliquer une loi, en prétendant faussement par une grossière
hypocrisie, qu’elle ne s’appliquera pas.

Le système organise ainsi les apparences d’un Gouvernement légitime qui en vérité
décide sans le peuple et contre le peuple. Nous avons le Gouvernement le plus
antidémocratique de l’histoire de la Ve République, ultra minoritaire dans la société et
dépourvu de soutien mais qui s’autorise à imposer par des artifices autoritaires une
contre réforme sociale dont la France toute entière ne veut pas.

Pourquoi un Premier ministre peut-il prendre en otage sa majorité en la menaçant de
périr avec lui dans les flammes de l’impopularité si elle résiste à sa volonté ?

Parce
que le système le permet. Il a même été conçu pour que le Parlement fasse silence
pendant qu’on l’égorge. Les ministres du Gouvernement comme les députés de
l’UMP désapprouvent publiquement et en nombre la manière de parvenir au CPE.

Qu’importe, le système les prive de tout moyen de s’y opposer, d’infléchir ou
d’atténuer la volonté d’un homme seul, illuminé, lancé dans l’aventure de son coup
de force. Le système politique fonctionne replié sur lui-même enfermant les deux
principaux dirigeants gouvernementaux dans leur lutte de pouvoir personnel à mille
lieux des intérêts et des problèmes de la population. La lutte à mort et en vase clos
que se livrent les deux prétendants à la succession du Président est ainsi devenue le
mobile essentiel des actes du Premier ministre de Villepin.

Pour quelle raison cette lutte de pouvoir qui prend en otage le pays est-elle
possible ? Parce qu’un homme comme Monsieur de Villepin, courtisan en chef du
monarque, manipulateur hors pair, tenancier de l’officine des coups tordus et du
cabinet noir, obsessionnel de sa carrière, dépourvu de la moindre connaissance de
notre pays, étranger du suffrage universel, peut être nommé Premier ministre par le
caprice d’un monarque finissant.

En effet, dans un régime politique qui fonctionnerait normalement et selon des règles
démocratiques comme tel est le cas dans tous les pays européens, ce ne pourrait
qu’être le chef de la majorité parlementaire, le chef du principal parti au pouvoir, qui
aurait dû avoir la charge qu’occupe Monsieur de Villepin. C’est donc bien par la
perversion de la monarchie républicaine, qui conduit un Président à préférer confier
la France à un homme qui a sa faveur plutôt qu’à tout autre qui aurait la légitimité
parlementaire, que le pays est confronté à une situation de quasi coup d’Etat,
exclusivement pour servir les buts de prise du pouvoir au sommet plutôt que les
intérêts de la population.

Car pourquoi et comment un Premier ministre peut-il ainsi tenir en sa main un
président de la République pourtant clé de voûte des institutions ? Parce que le
système l’a permis. En organisant l’impunité judiciaire de Jacques Chirac, et le
maintien à la tête de l’Etat d’un homme qui aurait dû dans n’importe quelle autre
démocratie répondre de ses actes devant la justice, le système politique français
repose sur un homme soupçonné de corruption, affaibli politiquement, qui a mis son
autorité dans la main d’un maître chanteur de passage, Monsieur Galouzeau de
Villepin. L’intéressé ne déclarait-il pas, en 1997, après la dissolution délirante et
ratée qu’il avait déjà inspirée : « Le Président ne peut pas me virer. Il ne pourra
jamais. Il m’a introduit dans le saint des saints. Je sais beaucoup trop de choses. A
l’extérieur de son système, je deviendrais une bombe à retardement ».

En laissant pourrir la République comme le poisson par la tête, il n’y a plus d’autorité
présidentielle autre que celle manipulée d’un côté par un premier ministre à
l’aveuglement idéologique absolu et à l’ambition personnelle sans limite, et contesté
de l’autre par un ministre d’Etat ressemblant au premier ! Le système politique est
ainsi livré à deux lions qui s’entredévorent dans leur cage dorée pour le pouvoir et
utilisent la France pour leurs intérêts personnels. C’est cette situation qui mène le
pays vers la crise de régime. D’abord prise dans le mouvement social anti-CPE, la
France, que ses dirigeants veulent emmener de force vers les solutions ultralibérales
contre l’assentiment général, vient de basculer dans un conflit d’une toute autre
ampleur : la confrontation entre le souverain populaire et l’aristocratie gouvernante.

Cette dernière n’est passionnée que d’elle même et de son propre pouvoir, et malgré
la disparition de tout soutien dans le pays, ne répugne pas à violer la démocratie et à
violenter son peuple.

La crise de régime est donc en marche. Nul ne peut s’en réjouir. Les cimetières de
l’histoire de France sont peuplés de monarques, de princes, de maréchaux, de
généraux, de tyranneaux, d’aventuriers abusifs dont le peuple a toujours eu raison.
Voilà pourquoi Monsieur de Villepin a raté son coup d’Etat. Les Français l’en ont
empêché pour l’instant. Mais son rival poursuit exactement le même but par des
moyens plus habiles.

Jusqu’à quand le pays devra-t-il attendre et à quel prix astronomique devra-t-il le
payer avant de régler la lourde question de la maladie anti-démocratique de ce
régime qui se délite et chute lentement sous nos yeux ? Chacun sait que les
solutions peuvent surgir par les voies pacifiques de la discussion politique devant le
corps électoral, beaucoup plus raisonnable et disponible pour l’imagination et le
courage qu’on ne le croit. C’est à la gauche de faire apparaître dans le paysage
politique les perspectives de la construction d’une République nouvelle qui
ressemblerait enfin à cette France moderne qui a soif de préparer enfin son avenir en
paix avec elle-même. Une France qui n’est plus celle de ses vieux rois que deux
aventuriers de passage se disputent abusivement dans le but de la dérober pour
eux-mêmes, dans une dangereuse, ultime et peut-être fatale usurpation.

Libération - mercredi 5 avril 2006

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