Accueil > Le droit au travail
La République sociale, en France, est reconnue comme principe dans la
Constitution depuis 1946. Ce n’est pas seulement une étiquette privée de
contenu. Le préambule - un texte qui est maintenu dans la constitution de
1958 - complète la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en
définissant des droits sociaux (les « droits-créances »). Ces
droits-créances sont d’abord des protections que l’État doit accorder aux
citoyens, des protections qui permettent une vie digne en garantissant à
tous ces biens que chacun désire quelles que soient par ailleurs ses propres
conceptions du bonheur.
Concentrons-nous sur l’essentiel : « Chacun a le devoir de travailler et le
droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son
emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Le
devoir de travailler : c’est l’antique précepte « qui ne travaille pas ne
mange pas », un précepte de la tradition juive, repris par saint Paul ... et
par le socialisme et le communisme. « L’oisif ira loger ailleurs » dit « L’
internationale ». Cela veut dire que personne ne peut vivre de ses rentes.
Prenons cela au sérieux : pour garantir le devoir de travailler, il faut s’
en prendre à l’argent qui se gagne en dormant, à la spéculation. Mais le
dividende, ce prototype de l’argent qui se gagne en dormant, est l’essence
même du mode de production capitaliste.
Le devoir pour chacun de travailler
est donc, en son fonds, incompatible avec une société fondée sur la
séparation de ses membres entre, d’un côté, les possesseurs de capital et,
de l’autre, ceux qui pour vivre ne peuvent rien faire d’autre que vendre
leur force de travail. Poursuivons. Le devoir de travailler ne peut exister
sans le droit à obtenir un emploi. Que faut-il entendre par là ? La vieille
revendication de la révolution de 1848 sur le « droit au travail » signifie
que la « société » - c’est-à-dire les pouvoirs publics - doit faire ce qui
est nécessaire pour permettre à chacun de vivre de son travail. Significativ
ement, le projet de « traité constitutionnel » pour l’Europe a remplacé le
droit d’obtenir un emploi par « le droit de travailler (II-15-1) et la «
liberté de chercher un emploi » (II-15-2).
Il reste que le droit d’obtenir un emploi peut lui aussi apparaître comme
une mauvaise plaisanterie dans un pays comme la France qui connaît un
chômage de masse depuis maintenant trois décennies. En effet, l’existence d’
un marché du travail dominé par les capitalistes rend ce droit assez
illusoire. Il s’est longtemps limité à la protection contre les
licenciements par une législation systématiquement mise en pièces aujourd’
hui et par l’indemnisation du chômage : le chômage indemnisé n’est pas la
réalisation du droit au travail, mais c’est la reconnaissance indirecte de
ce droit : faute d’avoir un travail à offrir, la collectivité dédommage le
chômeur. Mais depuis une vingtaine d’années, même ce droit limité a été
aboli dans les faits.
En réalité, pour garantir le droit au travail pour tous, il faudrait que l’
allocation des ressources en travail puisse être, ô horreur, planifiée
centralement, par une sorte d’échelle mobile des heures de travail : on
répartirait la quantité de travail disponible entre tous les salariés. C’est
ce qu’on tenté les socialistes avec la mise en place des « 35 heures », mais
dans des conditions très particulières qui ont fini par saper à la base
cette bonne idée. C’est en effet une disposition qui ne peut être mise en
ouvre réellement que si on est décidé à changer la distribution des revenus
entre capital et travail.