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Le malaise dans le gouvernement Lula

Publie le dimanche 9 janvier 2005 par Open-Publishing
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de Leonardo Boff

La politique économique choisie par le président Lula a créé un malaise indéniable à l’intérieur
et à l’extérieur du gouvernement brésilien. Le débat sur sa politique peut être
résumé par deux positions opposées, dont chacune a une logique cohérente.

La première se base sur les résultats macroéconomiques obtenus par une politique
fiscale sévère : la croissance économique est indéniable, l’inflation et la valeur
du dollar sont sous contrôle, la relation entre le produit intérieur brut et
la dette s’est améliorée et le taux d’emploi est en train de monter (même si
54% de ces emplois correspondent à un salaire moyen qui ne dépasse pas l’équivalent
de 102 euros).

L’autre approche tient compte des questions sociales et met sur le tapis les
données de la Note d’Information sur les droits de l’homme au Brésil en 2004.
Il s’agit de données épouvantables.

Presque tous les indices négatifs sont restés tels ou ont empiré : la diminution du pouvoir d’achat des salaires, le travail en conditions d’esclavage (si la lutte contre l’esclavage disposait de ressources adéquates on serait arrivé à libérer beaucoup plus de personnes), la violence contre les populations indigènes et dans les propriétés foncières (en 2004, 20 personnes ont été tuées et il y a eu 271 occupations de terres, 47% plus qu’en 2003), le feu vert aux cultures transgéniques (sur ce point les lobbies des OGM sont parvenus à faire plier le gouvernement), l’exclusion sociale et l’augmentation des favelas qui en a été causée, la violence généralisée (la plupart des meurtres concerne des jeunes entre 19 et 25 ans), la négation du droit aux soins, au logement et au travail, le nombre croissant d’enfants et d’adolescents entraînés dans le narcotrafic.

Nous sommes en présence d’une croissance économique sans développement social. Les profits économiques ne se traduisent pas en bénéfices sociaux, ils n’arrivent pas aux grandes masses des appauvris et des exclus. La redistribution est un échec : qui gagnait déjà dans le système de spéculation financière gagne maintenant beaucoup plus. Le changement nécessaire promis n’a pas eu lieu. A plusieurs, nous avons espéré qu’un homme qui a grandi parmi les humiliés et les offensés aurait imposé à la politique un tournant de libération. Lula a été élu sous cette enseigne et quand il a atteint la présidence il a changé son planning. C’est pourquoi au Brésil on arrive à parler de "mandat trahi".

Des groupes de pouvoir nationaux et mondiaux sont arrivés à l’attirer vers leur logique en le soumettant au modèle économique néolibéral dominant. Nous savons que ceux qui acceptent de franchir cette porte sont perdus. Que fait-il Lula, qui a été élu pour représenter les intérêts des travailleurs, parmi ceux qui ne prennent en considération que les intérêts du capital ?

Voulez-vous savoir ce que nous espérions sincèrement ? Que le président, avec l’autorité qui lui vient de l’histoire même de sa vie et à cause de la nouveauté que représentait le Parti des Travailleurs au gouvernement, aurait pu amorcer un parcours alternatif à celui néolibéral en renégociant le payement de notre dette extérieure avec le Fond monétaire international. Nous espérions dans un dialogue ouvert avec les autres organismes qui règlent le marché. Cela aurait été un service merveilleux rendu non seulement au Brésil, mais à tous les peuples soumis aux recettes du Fond monétaire, de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce. Avec le charisme dont dispose Lula, pensions-nous, le Brésil pourra assumer ces positions. Nous espérions qu’il aurait soumis les élites dominantes aux logiques des politiques sociales pour commencer à solder la dette sociale séculaire que ces oligarchies ont envers notre peuple.

Rien de tout cela est arrivé. Lula est resté victime de la politique conservatrice des grands pouvoirs brésiliens que l’historien José Honorio Rodriguez a bien décrit dans son livre "Conciliation et réforme au Brésil" (1965) : "Les élites cherchent toujours un accord entre elles pour ne rien concéder au peuple". Nous sommes tristes pour nous-mêmes, parce que nous avons été naïfs, parce que nous n’avons pas rassemblé la force suffisante pour imposer un nouveau chemin au Pays ou, peut-être, parce que le moment historique pour le faire n’est pas arrivé ou parce que nous ne sommes pas arrivés à créer un leader ayant le courage nécessaire à affronter cette transformation et à la réaliser. Malgré cela, j’ai encore confiance en la personne de Lula. C’est un homme bon, il ne trahirait jamais ses rêves. Son passé de souffrance est une mémoire permanente.

Malheureusement nous croyons que le président a choisi les personnes et les moyens inaptes à réaliser ces rêves, qui continueront à peupler l’imaginaire collectif et garderont vivant cet espoir qui n’accepte pas de mourir. Un président charismatique peut changer de ligne s’il ressent concrètement dans sa chair les effets pervers de la politique économique qu’il a choisie, il peut se rappeler de ce qu’il a expliqué à ses camarades pendant des années : le capitalisme n’est bon que pour les capitalistes, il ne l’est jamais pour les travailleurs. Les travailleurs ont besoin de choix économiques dont ils ne soient pas que les destinataires, mais aussi les acteurs.

Il faut du courage, de la persévérance et de la disponibilité au sacrifice pour que cette nouvelle ligne économique soit inaugurée. Cela serait le chemin de rédemption de notre Pays après tant de siècles d’humiliation, de souffrance et d’espérance frustrée. On a encore le temps. Et Lula peut être la personne et le leader politique à la hauteur de ce défi historique.

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.liberazione.it/giornale/050108/R_EDIT.asp

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