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Les Mexicains pour une autre idee de la democratie

Publie le jeudi 30 novembre 2006 par Open-Publishing

Une synthèse pour prendre du recul sur la situation mexicaine.


Les Mexicains pour une certaine idée de la démocratie
(novembre 2006)

Le 20 novembre 1910, il y a 96 ans, le Mexique se soulevait contre le vieux dictateur bonapartiste Porfirio Diaz, ouvrant la voie à sept ans de guerre civile. Ce mouvement général porté au commencement par Francisco Madero, bourgeois libéral ou Ricardo Flores Magon, penseur anarchiste vit monter une opposition symbolisée par un homme Emiliano Zapata et son cri de ralliement « Tierra y libertad ! »
Cent ans plus tard, le pays est en pleine crise. Le 20 novembre dernier, deux appels ont été lancés en parallèle, qui risquent de faire date dans l’histoire de Mexique.

Mais revenons un peu moins d’un an en arrière. Janvier 2006, la campagne électorale pour la présidentielle voit s’affronter trois prétendants principaux. Roberto Madrazo, candidat du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) qui régna sans partage sur le Mexique, pendant soixante-dix ans jusqu’à l’élection de Vicente Fox en 2000. Felipe Calderón, du Parti d’Action Nationale (PAN), parti au pouvoir, et Manuel López Obrador du Parti de la Révolution Démocratique (PRD), ancien maire de Mexico et largement en tête dans les sondages. C’est le moment que choisit le mouvement zapatiste pour lancer depuis l’état isolé du Chiapas, l’autre campagne. Son porte parole le désormais célèbre sous-commandant Marcos, quitta sa base arrière pour parcourir le pays à la rencontre des Mexicains qui à leurs niveaux respectifs s’organisent pour améliorer leur quotidien. Sorte d’états généraux itinérants, l’autre campagne, ne posait qu’une condition à son adhésion : n’appeler à voter pour aucun des candidats à l’élection présidentielle.
Le pays est en ébullition. Chaque camp fait montre de sa force à grand renfort de banderoles, de meetings géants, de manifestations. Le mercredi 3 et le jeudi 4 mai un drame éclate à San Salvador de Atenco. Des horticulteurs militant contre la fermeture de leur marché au profit de la construction d’un Wall Mart, et soutenus par de nombreux adhérents de l’autre campagne, sont chargés par la police. 3000 hommes sont dépêchés pour faire plier 300 manifestants. La répression est sanglante, un adolescent de 14 ans est tué d’une balle dans la poitrine, un étudiant de 20 ans, touché par une bombe à gaz lacrymogène, mourra après un mois de coma. Les forces spéciales emprisonnèrent une centaine de personnes, parmi lesquelles des passants habitants du centre-ville, et violèrent 47 femmes et un homme. Le mode opératoire et le caractère systématique des viols ne laissent que peu de doutes sur les ordres que reçurent les policiers. Il s’agissait de casser le mouvement. D’une certaine manière, ils y sont parvenus. L’autre campagne est stoppée dans sa marche, et restera basée à Mexico qui se situe à trente kilomètres d’Atenco. En effet, nombres de citoyens ont désormais peur, et l’on note une baisse des effectifs lors des meetings. D’un autre point de vue, la répression est un échec. Les manifestations de soutien aux prisonniers continuent dans les villes réputées sûres comme Mexico, un « planton » reste en permanence à l’entrée du centre pénitencier où sont retenus les militants, et surtout moins d’un mois plus tard, va commencer la prise du centre-ville d’Oaxaca par le syndicat 22 des enseignants. Ceux-ci manifestent contre la privatisation rampante de l’éducation mexicaine. Soutenant majoritairement, López Obrador à la présidentielle, ils ne font pas partis de l’autre campagne, mais le climat de révolte amplifié par les évènements d’Atenco nourri leurs revendications. Là aussi les pouvoirs publics envoient les forces de police. Mais ce coup-ci, la répression qui fit 11 morts le 14 juin, n’eut pas l’effet escompté. Au contraire, ouvriers, paysans, habitants de la ville viennent grandir les effectifs des professeurs. La rhétorique présentant les manifestants comme de dangereux irresponsables avait en effet une limite : le crédit accordé à une profession, celle des enseignants.
C’est dans cette atmosphère délictueuse que le 2 juillet les mexicains se rendaient aux urnes. Obrador était attendu en vainqueur par ses partisans sur la place du Zocalo, la place centrale de Mexico. Et c’est vers minuit, sous une pluie lancinante, que commença le deuxième acte d’une année qui restera dans les annales de l’histoire du Mexique.

Les élections mexicaines étaient encadrées par l’Institut Fédéral Electoral (IFE). Loin de l’exemplarité du scrutin, commentaire que l’on a pu entendre dans la bouche de certains diplomates, ce processus électoral a été entaché de graves irrégularités. Passons sur le dénigrement systématique dont a fait l’objet M. López Obrador sur les deux grandes chaînes de télévision du pays ; passons sur la propagande qui présentait ce candidat social-démocrate comme un second Chavez. Mais arrêtons nous sur la démarche appliquée par l’IFE pour établir les résultats. Cette administration centralise les votes des 130 000 bureaux du pays et les remet à un tribunal électoral. Le jour de l’élection l’IFE réalise un sondage de sorties des urnes sur 700 bureaux de vote. Sur la base de ce sondage et de la cartographie des résultats précédents, l’institut extrapole le résultat final. Quand les résultats des autres bureaux arrivent et qu’ils sont trop éloignés de la projection statistique, ceux-ci sont annulés au motif qu’ils ne sont pas crédibles. 3 millions de voix ont été ainsi écartées. Il faut préciser que l’ensemble de ces opérations statistiques avait été sous-traité à un cabinet privé dirigé par Diego Zavala, le beau-frère du « vainqueur », Felipe Calderón. A côté de cela, l’IFE a accepté les résultats de 18 646 bureaux dont le nombre de suffrages exprimés excédait le nombre d’inscrits. En clair, il y eut bourrage des urnes. Comme en 1988 , le candidat du PRD est empêché d’accéder au pouvoir. Mais en ce mois de juillet 2006, Andrés Manuel López Obrador résiste et revendique la victoire. Ses partisans bloquèrent les bureaux de votes pour surveiller les urnes, et imposer le comptage des bulletins un à un. Parallèlement, il organise de nombreuses manifestations à travers le pays dont une réunit 1 million 400 mille personnes à Mexico, ce qui est remarquable pour une mobilisation au Mexique. Engagé dans une bataille juridique, Obrador est débouté le 5 septembre. Felipe Calderón est déclaré vainqueur après le comptage de seulement 9 % des voix.
Malgré cette décision juridique, les mouvements sociaux ne lâchent pas prise. Nombre de Mexicains sont conscients de l’enjeu historique qui se joue avec leur démocratie, car avec l’arrivée de Felipe Calderón, c’est un groupe bien particulier qui se place au pouvoir.

Si Vicente Fox Quesada, quand il fut élu, représentait l’espoir démocratique dans un pays dirigé pendant 70 ans par le même parti, cet espoir fut vite déçu. Ami personnel de George W. Bush et ancien dirigeant de Coca-Cola Mexique, Vicente Fox croyait pouvoir gérer le Mexique comme une entreprise. Ce néolibéral fut vite dépassé par la complexité de la vie politique de son pays, à tel point qu’on le surnomme dans certains milieux « la marionnette ». Felipe Calderón, ancien ministre de l’énergie du gouvernement Fox démissionne en juin 2004 pour construire sa victoire dans l’appareil du Parti d’Action National (PAN), grâce surtout à un réseau ténébreux très particulier, El Yunque.
Créée dans les années 50, El Yunque (L’Enclume en français) est une organisation souterraine d’inspiration phalangiste. Ses militants prononcent pendant leur cérémonie d’entrée leur attachement « à Dieu et à la patrie », leur volonté d’instaurer un régime conduit par un homme ferme qui s’appuierait sur l’Eglise, un régime où une élite restreinte dirige loin du peuple. Ce durcissement du PAN, dont le président national Manuel Espino est membre del Yunque, provoque de fortes craintes chez les militants, dont ceux de l’autre campagne : suivi des leaders jusqu’à la porte d’entrée de leurs habitations, envahissement par des policiers de locaux de militants comme à Puebla, la répression psychologique croît déjà depuis le 2 juillet.
En fait d’alternance, l’accession de Calderón au pouvoir signe l’arrivée d’un système d’inspiration franquiste antidémocrate. Se pose alors la question de la responsabilité des Occidentaux. Selon un policier antiterroriste français, le gouvernement de l’hexagone envoie des instructeurs former la police mexicaine. Celle-la même qui pratique la torture et les viols systématiques. De leurs côtés, les médias, notamment américains, avaient massivement exprimé leur préférence pour le candidat du PAN contre celui du PRD . Leurs arguments portaient sur le programme économique des candidats, et sur une peur irréfléchie d’un gouvernement de gauche à leur frontière sud. Là aussi, de nombreux journalistes associaient le candidat social-démocrate à un dictateur en puissance, en inversant totalement la réalité des structures en présence. Le candidat autoritaire du PAN devenait le rempart démocratique contre un second Chavez, vision à l’opposé de la réalité. La proximité des néo-conservateurs américains avec le PAN ne peut que réveiller le souvenir de l’élection de l’an 2000 aux Etats-Unis qui amena George W. Bush au pouvoir, sur laquelle d’ailleurs, la lumière n’a toujours pas été faite. Le caractère clanique de ces « représentants du peuple » se retrouve des deux côtés du Rio Bravo, leurs appuis dans l’armée, l’importance de la religion, la politique sécuritaire, la déformation de la parole politique démocrate traditionnelle reprise par la majorité des médias, sont autant de points communs.
Il se joue actuellement au Mexique une partie déterminante de l’avenir de la démocratie. Le mouvement zapatiste , qui a construit depuis 12 ans, une réelle autonomie dans de nombreuses communes du Chiapas cherche à étendre ses modalités d’exercice du pouvoir dans le reste du pays. L’autre campagne doit être comprise comme la construction d’un réseau pour faire avancer le mode de fonctionnement zapatiste. De son côté, le mouvement insurrectionnel d’Oaxaca ne lâche pas prise, malgré de nouveaux assauts, notamment le 30 octobre lors duquel 6 « compas » sont morts, dont le journaliste américain Brad Will . Là encore, la démocratie directe est a l’honneur, Oaxaca est devenu la commune d’Oaxaca ! Des groupes terroristes apparaissent à la marge de ces mouvements. Le 6 novembre, ne faisant aucune victime, 5 bombes explosèrent dans des endroits symboliques de la capitale mexicaine comme au siège de l’IFE. Lundi 20 novembre le sous-commandant Marcos appela le pays à une grève nationale. Ce même jour, Obrador a organisé une grande mobilisation pour se faire nommer président légitime par ses partisans. La composition de son gouvernement parallèle est déjà connue. 6 femmes et 6 hommes sont aux affaires parmi lesquels un ministre du patrimoine pour lutter contre les privatisations ainsi qu’un ministre de l’honnêteté et de l’austérité de l’Etat.
Douzième PIB mondial, intégré au cercle des démocraties occidentales par son appartenance à l’Alena , le Mexique est la preuve que n’est pas encore arrivée la fin de l’Histoire. Les coups d’états par les forces réactionnaires sont encore à l’ordre du jour. La résistance du peuple est encore à l’ordre du jour. Mais une résistance neuve, qui s’invente jour après jour, une résistance variée d’un mouvement à l’autre, mais une résistance qui toujours implique les Mexicains, une résistance qui toujours cherche à sauver une certaine idée de la démocratie : le pouvoir au peuple !

Clément Gramsch
clement.g@club-internet.fr

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