Accueil > Les camionneurs contre Cristina Fernández

Les camionneurs contre Cristina Fernández

par Guillermo Almeyra *

Publie le mardi 3 juillet 2012 par Guillermo Almeyra * - Open-Publishing
2 commentaires

Lors de la manifestation qui a eu lieu sur la Place de Mai, convoqué par le Syndicat de Camionneurs, avec l’appui solidaire d’un peu moins de la moitié des organisations syndicales de la Confédération Générale du Travail (CGT), 50 000 ou 60 000 ouvriers ont rempli la place pour réclamer le retrait de l’impôt sur les bénéfices, sur les revenus des salaires des travailleurs, l’arrêt de procès et de condamnations pour luttes sociales, et l’étatisation de la banque Hypothécaire pour amorcer un vaste plan national de l’emploi qui, avec la construction massive de logements dans tout le pays, donne un travail digne à des chômeurs et des précaires ; la fin de la tertiairisation et du travail sans prestations, et l’indépendance des syndicats par rapport à l’appareil étatique (dont, jusqu’à présent, la bureaucratie syndicale faisait partie et elle était le socle).

La manifestation fut, donc sous couvert d’un affrontement entre une partie de la bureaucratie syndicale (du secteur qui exprime l’influence bourgeoise sur le mouvement ouvrier et fournit un consensus au gouvernement de l’État capitaliste et à celui-ci même), un conflit indirect entre les travailleurs, d’un côté, et, de l’autre, l’appareil étatique allié aux patrons. Cela marque une rupture avec le péronisme classique, dans lequel le président était, par force, leader, et le mouvement ouvrier un instrument simple loyal du même (une simple « branche » de son appareil).

Le leader camionneur Hugo Moyano sépare maintenant, en effet, un secteur stratégique du mouvement ouvrier du Parti Justicialiste (PJ), a la direction duquel il a renoncé, et l’appareil étatique, en sachant que, en assumant le 12 juillet le secrétariat de la CGT, le gouvernement créera une CGT bis, celle des « gros » et les « indépendants », qui fonctionnera encore comme un rouage de l’État. De manière que les camionneurs acceptent un rôle d’opposition ouvrière entraînant derrière eux « la » partie (non péroniste) de la Centrale de Travailleurs de l’Argentine (CTA), dont le secrétaire est Michelli, comme les « gros » entraîneront la pro-gouvernemental CTA, de Hugo Yasky.

Le nouveau pluralisme était présent lors de la manifestation : y ont participé des contingents dirigés par Víctor de Gennaro, lié à l’Église catholique, en plus du Courant Classiste et Combatif, maoíste et ex-kirchneriste. y ont aussi assisté de nombreux représentants du syndicalisme démocratique, influencé par le Front de Gauche et des Travailleurs (FIT), et des militants de beaucoup d’organisations de gauche, aussi bien d’origine péroniste que de la gauche anticapitaliste non affiliée à un parti.

La participation conjointe dans une manifestation unique et la lutte que ces secteurs et le moyanisme viennent de se donner par des buts communs, aidera le FIT, ou sa partie la moins sectaire, à casser leurs préjugés antipéronistes et à être encore plus efficace dans son travail syndical démocratisant, aux côtés de tendances combatives non socialistes, comme la Jeunesse Syndicale, surtout dans les syndicats des « gros » et des « indépendants », qui s’identifieront au gouvernement et réprimeront, avec celui-ci, tous leurs adversaires (tant ceux du FIT que les moyanistes).

La différenciation lors de la manifestation entre Facundo Moyano, secrétaire de la Jeunesse Syndicale, et son frère Pablo, de Camionneurs, et la différenciation politique ébauchée entre le premier et Hugo Moyano (sur la nécessité de ne pas mettre une barrière contre la jeunesse favorable à Cristina et de la mettre en revanche contre la droite oligarchique), obligera la gauche socialiste à ne pas mettre tous les « péronistes » dans le même sac. En premier lieu, parce que si, pour des raisons sociologiques et idéologiques, le kirchnerisme n’était déjà pas le péronisme de Perón, le cristinisme – qui se passe de la CGT et du PJ – crée encore plus de contradictions et de fissures dans l’appareil gouvernemental dont il faudra savoir politiquement profiter.

La gauche socialiste, qui méprise les « programmes de Huerta Grande et La Falda », pourrait apprendre à rompre la dichotomie actuelle de sa gesticulation entre le simple syndicalisme de classe et sa propagande socialiste révolutionnaire abstraite, et mettre les pieds sur terre avec des revendications transitoires, nationales et démocratiques, capables d’aider à créer une pensée de classe, solidaire, anticapitaliste révolutionnaire. En effet, si elle a pu faire une action en commun avec Hugo Moyano, peut-être qu’elle pourra la faire avec Facundo Moyano et sa Jeunesse Syndicale, si méprisée jusqu’à aujourd’hui.

Il est indubitable que les revendications de la manifestation sont insuffisantes. Il faut conforter la lutte pour élever le niveau de salaires de 80 % de travailleurs à la liste qui ne paient pas d’impôts parce qu’ils gagnent moins que le panier familial. Il faut fermer, en effet, l’éventail salarial, mais en ne descendant pas la barre des « ouvriers riches » que le gouvernement vise, mais en montant la barre inférieure pour diminuer l’inégalité de salaire qui existe entre les spécialisés et les autres. Il faut en finir avec les impôts indirects et imposer une taxe directe sur les profits des grandes entreprises, des producteurs de soja et des banques. Il faut élaborer un plan ouvrier et national pour faire face à la crise mondiale et pour défendre le marché interne. En fait, tout cela sera posé dans les usines en conclusion de la manifestation du 27 de ce mois, parce que le gouvernement a pris un sérieux coup sur son prestige et sa capacité d’initiative ; il a été défié depuis le front ouvrier sans que la droite oligarchique ne tire de cela le moindre profit et apparaît faible devant les gouverneurs et les maires qui penchent toujours pour celui qui pourrait leur donner plus d’avantages. Moyano peut difficilement parvenir à un accord durable avec le péronisme de droite et, en même temps, radicaliser sa politique ouvrière pour résister au gouvernement.

Cela ouvre un processus de crise dans le cristinisme et dans les alliances moyanistes actuelles. Nous verrons, donc, toute sorte d’émigration de chefs et de mélanges politiques instables. Enfin, le leader camionneur a appelé à une manifestation massive pour faire face au gouvernement, mais il a fini par demander qu’ils le convoquent pour en discuter, qu’ils soient pluralistes. Comme le disait la poésie satirique « Il a calé son chapeau, il a jeté sa cape sur l’épaule, il a sorti l’épée … Il y est allé et il n’a rien eu ». C’est pourquoi, il y a une marge in extremis pour la réconciliation. Tout dépend de la peur que la présidente a.

La Jornada. Mexique, le 1er juillet 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

* Guillermo Almeyra Historien, chercheur et journaliste. Docteur en Sciences Politiques (Univ. Paris VIII), professeur-chercheur de l’Université Autonome Métropolitaine, unité Xochimilco, de Mexico, professeur de Politique Contemporaine de la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Nationale Autonome de México. Domaine de recherche : mouvements sociaux, mondialisation. Journaliste à La Jornada, Mexique.

http://www.elcorreo.eu.org/Les-camionneurs-contre-Cristina-Fernandez

Messages

  • 11 septembre 1973 / 11 mars 1990, 17 ans de dictature avec la complicité du syndicat des camionneurs, certes c’était au Chili et au 20ème siècle... mais les Condoristes sont ils morts ?

    • Se peut-il que Mr Guillermo Almeyra Historien, chercheur et journaliste. Docteur en Sciences Politiques (Univ. Paris VIII), professeur-chercheur de l’Université Autonome Métropolitaine, unité Xochimilco, de Mexico, professeur de Politique Contemporaine de la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Nationale Autonome de México, ait omis d’étudier l’histoire récente de l’Amérique Latine ? Maintenant les coups d’état contre les gouvernements progressistes se font au nom du peuple travailleur et contre la répression des mouvements sociaux (cf ce qui vient de se passer au Paraguay). On se demande comment les peuples travailleurs parviennent à s’y retrouver !