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Les droits des plus pauvres sont toujours bafoués

Publie le dimanche 17 octobre 2004 par Open-Publishing
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de Émilie Rive

Il y a, en France, 200 000 personnes très pauvres, complètement marginales, qui survivent dans l’errance. Et trois millions et demi qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 600 euros par mois pour une personne seule. « C’est le noyau dur, explique Michel Legros, de l’École nationale de santé publique et de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Ce sont des gens qui pourraient travailler, s’ils avaient accès au marché du travail, ou s’ils n’en étaient pas sortis. Et nous trouvons, maintenant, des gens qui travaillent et sont, malgré cela, au-dessous du seuil de pauvreté. »

Sept millions guettés par la misère

Terrible constat, mais incomplet, selon Michel Legros : « Si seulement on décide de remonter la barre du seuil de pauvreté de 120 euros, on atteint les sept millions de personnes. Ce qui veut dire que nous avons une grosse partie de la population qui se trouve en situation limite, sans réelle sécurité. Qu’il soit insupportable que des gens meurent de faim en France, comme le déclarait Coluche en créant les Restos du coeur, c’est vrai. Mais il devrait être aussi insupportable d’avoir autant de Français dans cette situation limite, une masse de gens qui, au moindre frémissement de la situation de l’emploi, risquent de verser dans la pauvreté. C’est là que se pose la question de l’insécurité sociale. On ne peut pas dire que l’État baisse complètement les bras, il existe la loi de 1998 ; le plan de cohésion sociale sera, peut-être, intéressant, mais de là à mordre en profondeur sur quelque chose qui renvoie plus à de l’emploi, on a une énorme marge. Il faut une véritable politique d’emploi et dans la durée. »

C’est dans ce contexte que se situe ce 17 octobre, journée de lutte, d’affirmation de soi, de refus du fatalisme, à l’initiative d’ATD Quart-Monde, depuis dix-sept ans. Le temps de fédérer des énergies, comme celles de Médecins

du monde (voir ci-dessous) ou d’Amnesty International avec laquelle l’association édite maintenant Résistances, le journal du refus de la misère, disponible gratuitement jusqu’à dimanche dans les principaux bureaux de poste pour réaffirmer que les droits de l’homme sont indivisibles et interdépendants. Les « rendez-vous civiques » sont toujours d’actualité pour témoigner, dimanche, à travers la France.

Des pauvres sans droits

Pour ATD Quart-Monde, les pouvoirs publics n’ont toujours pas pris la mesure du problème, ainsi que le cons- tate Yvette Boissarie : « Les lois se succèdent à toute vitesse et se contredisent quelquefois. Cela veut dire qu’il est pratiquement impossible, pour les populations concernées, d’avoir les informations sur leur devenir et leurs droits. Je ne parlerai pas de mauvaise volonté, parce que ce n’est pas ce qui caractérise le plan Borloo qui a été pour nous un moment d’oxygène après une série de mesures étouffantes, mais il y a précipitation, imprécision, inquiétude aussi, sur la décentralisation particulièrement, avec des financements dont on n’est pas sûr. En fait, nous ne sommes sûrs de rien. Comment l’État va-t-il pouvoir rester garant alors qu’il ne sera plus gérant ? On ne connaît ni les obligations de résultats ni les possibilités d’évaluation. Quel va être le volontarisme des départements pour lutter contre la misère ? Et ce qui nous fait le plus hurler, c’est la possibilité de donner aux maires la gestion du contingent préfectoral des logements. C’est aussi le report de la réalisation des aires du voyage de deux ans. La première loi Besson date de 1991 et nous y arriverons, peut-être, en 2006. C’est encore la future loi sur la délinquance juvénile, qui prévoit la dénonciation des noms. Le tout sécuritaire nous impose des reculs, alors que l’insécurité sociale est très forte, que les vécus sont très difficiles, que la France s’appauvrit... On installe des normes de sécurité qui nuisent à la libération des personnes les plus pauvres. Et nous attendons toujours la campagne d’information sur les droits, promise il y a trois ans par Dominique Versini, et celle sur le regard que l’on porte sur les pauvres. Comme nous man- que toujours une véritable formation des professionnels. »

Le pire, c’est le rejet

L’augmentation de la fréquentation des banques alimentaires, des Restos du coeur, des libres-services de la solidarité, des épiceries solidaires, si elle traduit l’aggravation de la pauvreté ne réjouit pas particulièrement ATD Quart-Monde. « Ce dont souffrent le plus les pauvres, c’est du rejet, explique Yvette Boissarie. Les pauvres ne sont pas dans la communauté des autres. Ils en ont honte, ils en ont peur. Et ce n’est pas en créant des réseaux, des circuits parallèles que l’on va vaincre cette honte et cette peur. Les pau- vres revendiquent d’être "comme les autres". Ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est l’impression de regarder passer un train dans lequel on ne peut pas monter. »

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-16/2004-10-16-446100

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