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Libéria : un pays en guerre

Publie le samedi 26 juillet 2003 par Open-Publishing

Les combats ont repris près de Monrovia, la capitale libérienne.
Le cessez-le-feu signé la semaine dernière entre les rebelles
et les forces gouvernementales n’aura pas survécu à la tension
qui restait extrêmement vive dans le pays. Les rebelles des
Lurd (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie)
ont attaqué les forces régulières près du pont du fleuve
Po, à environ 12 kilomètres seulement des banlieues de Monrovia.

Des milliers de civils ont fui vers le centre-ville en provenance
des banlieues Nord. Les deux parties belligérantes s’accusent
mutuellement d’avoir violé le cessez-le-feu et les négociations
de paix sont dans l’impasse en raison de divergences sur
les interprétations de l’accord censé conduire à un accord
de paix global dans les 30 jours.

L’ambassadeur britannique aux Nations unies Jeremy Greenstock
a estimé mercredi 25 juin que « les Etats-Unis (...) sont
le pays pressenti par tout le monde comme le candidat idéal à une
intervention au Liberia ». Il a ajouté que qu’il a « cru
comprendre que des discussions sont actuellement en cours à Washington
entre les partisans et les opposants à une telle action ».

Face à la détérioration de la situation au Liberia, le Secrétaire
général de l’ONU Kofi Annan à fait une déclaration dans laquelle
il condamne la résurgence des combats a Monrovia et appelle
la communauté internationale à appuyer les efforts de facilitation
de la Cedeao.

Le président George W. Bush, pressé d’agir, a finalement
décidé vendredi le déploiement "limité" de navires et moyens
militaires au Liberia pour soutenir l’intervention d’une
force africaine d’interposition dans la guerre civile.

"J’ai ordonné que nos soldats, en nombre limité, se rendent dans la zone afin
d’aider à préparer l’arrivée de la Communauté économique des Etats d’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO) pour alléger les souffrances humanitaires", a déclaré le
président américain à la presse. "Des troupes américaines seront sur place pour
aider la CEDEAO à entrer au Liberia et servir au maintien de la paix afin de
créer les conditions pour l’arrivée de l’aide humanitaire et aider la population",
a ajouté M. Bush. Il s’est dit "très préoccupé" de la crise humanitaire croissante
et des menaces d’épidémies.

Trois bateaux amphibies, dont le Iwo Jima, le Carter Hall
et le Nashville, avec 4.500 marins et Marines, achèvent de
passer de mer Rouge en Méditerranée pour pouvoir éventuellement
intervenir "en sept à dix jours" au Liberia, selon le Pentagone. "Mais
il n’y a pas eu d’ordre de quitter la Méditerranée et il
ne devrait pas y en avoir ce week-end", a déclaré un porte-parole,
le lieutenant Dan Hetlage. En fait, d’autres sources au Pentagone
n’excluent pas que la force américaine Bush soit aéroportée.

Les Etats-Unis vont fournir 10 millions de dollars à la compagnie
privée Pacific Architects and Engineers, pour l’aide logistique
au déploiement de deux bataillons de l’armée nigériane, a
indiqué le porte-parole du département d’Etat Richard Boucher.
Une soixantaine de Marines sont déjà à Monrovia pour accroître
la sécurité de l’ambassade, qui a été bombardée par les rebelles
du LURD. De plus, une centaine de militaires avec trois hélicoptères
HH-60 et un avion MC- 130 sont basés au Sénégal et en Sierra
Leone, en vue d’une évacuation éventuelle de personnels à Monrovia.

Histoire
du Liberia


- 1er millénaire avant notre ère : Pratique
de la métallurgie du fer par les habitants des forêts. Les
Krou étaient probablement établis de longue date lorsque
des Mandé du Sud s’installent sur le territoire de l’actuel
Liberia.
- XVème siècle : Des mandédu Nord, islamisés,
arrivent du Haut-Niger et s’installent à l’ouest du pays.
- A partir de 1461 : Les Portugais explorent
la côte et créent des comptoirs commerciaux d’où ils exportent
du poivre de Guinée (malaguette), de l’or, avant de se lancer
dans le commerce des esclaves.
- XVIIème siècle jusqu’au début du XIXème
siècle : Traite négrière.

La création du Liberia

- 1816 : Création de l’American Colonization
Society, société philanthropique anglo-saxonne, dont le but
est de favoriser le retour des victimes de la traite négrière
sur le sol africain. Une première tentative d’installation
des esclaves américains affranchis en Sierra Leone se solde
par un échec.
- 1821 : La société obtient des chefs locaux
des terres sur le cap Mesurado, à l’embouchure du fleuve
Saint-Paul. La ville, bâtie par les premiers esclaves libérés,
prend le nom de Monrovia, en l’honneur de James Monroe, cinquième
président des États-Unis. D’autres colonies séparées s’établissent
peu à peu sur la côte, malgré l’opposition croissante des
populations autochtones qui se sentent exclues.
- 1841 : Joseph Jenkins Roberts devient le
premier Noir gouverneur de Monrovia.
- Juillet 1847 : Une Constitution inspirée
de celle des États-Unis est rédigée, et le Liberia devient
république indépendante. Roberts, son premier président,
gouverne jusqu’en 1856. L’institution du suffrage censitaire
doit permettre aux Américano-Libériens de dominer le pays
politiquement durant un siècle.
- Seconde moitié du XIXème siècle : Les
Américano-Libériens étendent leur influence sur l’intérieur
du pays. Leurs revendications territoriales sont cependant
contestées, non seulement par les populations autochtones,
mais aussi par les États européens.
- 1892 et 1911 : Les pressions exercées
par les États-Unis permettent la conclusion d’une série d’accords
avec la Grande-Bretagne et la France qui fixent les frontières
actuelles. Toutefois, le contrôle des terres et des populations
de l’intérieur ne devient effectif que dans les années quarante.
Des prêts américains et britanniques permettent au nouvel État
de faire face aux difficultés financières.
- 14 août 1917 : Le Liberia déclare la guerre à l’Allemagne,
procurant ainsi aux Alliés une base supplémentaire en Afrique
occidentale.
- 1926 : La Firestone Tire and Rubber Company
obtient du gouvernement libérien une concession pour une
plantation d’hévéas de 400 000 ha. La production de caoutchouc
devient rapidement la principale activité économique du pays.
Mais cette prospérité est largement fondée sur le travail
forcé imposé par les Américano-Libériens aux populations
autochtones.
- 1931 : La Société des Nations (SDN) dénonce
cette pratique, ce qui provoque un scandale contraignant
le gouvernement à la démission.
- 1936 : Le nouveau gouvernement interdit
le travail forcé, mais les autochtones, privés du droit de
vote, sont toujours traités comme des citoyens de seconde
zone.

Le régime de Tubman

- Mai 1943 : Élection du président William
Vacanarat Shadrach Tubman qui resserre les liens entre son
pays et les États-Unis ; ces derniers utilisent le Liberia
comme base militaire contre les puissances de l’Axe.
- 1945 : Tubman tente de s’attirer les faveurs
des Libériens autochtones en leur accordant le droit de vote.
Il met en place un vaste programme de scolarisation pour
tous, valorise l’exploitation de l’ensemble du territoire
et lance un plan d’amélioration des infrastructures.
- Mai 1951 : Scrutin présidentiel, les propriétaires
fonciers autochtones sont autorisés à voter mais le régime
Tubman interdit d’expression les partis de la Réforme et
du Peuple uni dont les dirigeants, qui bénéficient du soutien
des autochtones, sont arrêtés ou exilés. Tubman, candidat
du parti majoritaire à dominante américano-libérienne, le
True Whig Party, est réélu.
- 1958 : Une loi punissant la discrimination
raciale est adoptée.
- 1960 : Le True Whig Party est consacré parti
unique. La personnalité de Tubman va marquer l’histoire institutionnelle
du Liberia pendant 20 ans, période pendant laquelle, grâce à des
concessions offertes à des multinationales étrangères, notamment
américaines et allemandes, pour exploiter les gisements de
minerai de fer que recèle le pays, le Liberia va connaître
la prospérité.
- 1971 : A la mort de Tubman, William Tolbert,
vice-président du Liberia depuis 1951, lui succède.

Un violent changement

Le président Tolbert qui prend quelque distance avec les États-Unis
pour faire entrer son pays dans la communauté africaine indépendante,
fait porter ses efforts sur l’amélioration de la situation économique
amorcée au début des années soixante-dix, et qui a pour effet
d’accentuer le clivage entre la minorité des Américano-Libériens
aisés et la majorité des autochtones, premières victimes
de la crise économique.
- 1979 : Des émeutes, provoquées par l’augmentation
du prix du riz, éclatent. La répression qui s’ensuit fait
plusieurs centaines de victimes. L’année suivante, les adversaires
de Tolbert, enhardis par l’autorisation des partis d’opposition,
tentent de le renverser. Leur meneur, Gabriel B. Matthews,
ainsi qu’une douzaine d’autres insurgés, sont arrêtés.
- 12 avril 1980 : Le sergent-chef Samuel
K. Doe, un Krahn, s’empare du pouvoir à l’issue d’un coup
d’État sanglant. Ce changement de pouvoir subit donne lieu à un
véritable bain de sang : le président Tolbert est éventré et
ses plus proches collaborateurs sont exécutés et offerts à la
vindicte populaire. Cette image sanguinaire va rester comme
une marque indélébile apposée sur le régime de Doe. Ce putsch
marque la fin du contrôle de l’État par la minorité américano-
libérienne et son effacement provisoire de la scène politique.
Le sergent-chef Samuel K. Doe, qui s’octroie le grade de
général, prend la tête d’un Conseil de la rédemption du peuple
(People’s Redemption Council). Il suspend la Constitution,
supprime les libertés politiques et s’attribue les pleins
pouvoirs.
- Juillet 1984 : Sous la pression des États-Unis,
Doe, devenu général, consent à quelques gestes d’apaisement
en promulguant une nouvelle Constitution.
- Octobre 1985 : Doe muselle les partis
d’opposition et manipule les résultats de l’élection présidentielle.
Le régime est alors très clairement caractérisé par la corruption,
la violation systématique des droits de l’Homme, et ce dans
un contexte diplomatique (tension des relations avec les États-Unis)
et économique (chômage, inflation) des plus tendus.

La guerre civile
L’opposition au régime de Samuel Doe, de plus en plus vigoureuse,
s’organise sous l’impulsion et l’autorité de Charles Taylor,
un économiste formé aux États-Unis et qui s’appuie sur la
communauté de sa mère, les Gio. Amorcée depuis la région
du mont Nimba, la révolte gagne rapidement l’ensemble du
pays, sans rencontrer d’opposition sérieuse de la part des
forces armées, dont la seule action consiste en actions de
représailles contre les populations civiles. Très vite, les
insurgés sont aux portes de Monrovia, mais des dissensions
internes au NPLF empêchent Taylor de remporter la victoire
décisive qui lui semble promise. Elles proviennent, pour
l’essentiel, d’un désaccord entre le chef de la rébellion
et un de ses principaux lieutenants, Prince Johnson qui, à l’été 1990,
fait sécession et entraîne avec lui un millier de partisans
afin de fonder l’INPLF (Independent National Patriotic Front
of Liberia). Parallèlement, la Cedeao décide de l’envoi d’une
force d’interposition, l’Ecomog, chargée de défendre Monrovia,
d’instaurer un cessez-le-feu, de désarmer les factions rivales,
afin d’instaurer une conférence nationale, préalable nécessaire à un
retour à la paix.

- A la fin de l’année 1990 : Charles Taylor
contrôle 90 % du territoire libérien, à l’exception de la
capitale.
- Septembre 1990 : Samuel Doe est assassiné par
les partisans de Prince Johnson . Malgré la pression internationale,
la situation n’évolue guère dans les mois qui suivent
- 1992 : Les forces de Taylor engagent de
nouveaux combats afin de prendre la capitale : l’échec de
cette seconde bataille de Monrovia marque le début du déclin
du NPLF qui doit à la fois faire face aux forces de l’Ecomog
et à l’apparition de nouvelles factions menées par des chefs
de guerre qui s’arrogent le contrôle de certaines portions
du territoire. C’est le cas de l’ULIMO dont une première
faction emmenée par Alhaji Kromah se désolidarise de celle
fédérée par Roosevelt Johnson.
- 1993 : C’est l’enlisement, personne n’arrivant à s’octroyer
un avantage décisif par les armes. A cette date, le nombre
des victimes s’élève au moins à 150 000 morts et le pays
souffre de l’embargo imposé par les Nations Unies. Débute
alors un long processus de négociations, entrecoupé par une
reprise, plus ou moins intense, des combats.
- 1991 : Conférence de réconciliation nationale
organisée sous l’égide de la Cedeao (échec).
- 1993 : Tentative de signature d’accords
de paix.
- 1994 : Tentative de formation d’un gouvernement
transitoire.
- 1995 : L’accord d’Abuja suscite des espoirs
dans la mesure où, pour la première fois, l’ensemble des
chefs des factions rivales, sont invités à participer à un
gouvernement d’union nationale.
- Avril 1996 : Cet accord se révèle cependant
insuffisant pour empêcher la reprise des combats.
- 28 mai 1996 : L’Ecomog reprend le contrôle
de Monrovia, une ville morte, pillée par les combattants.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
arrive à imposer l’organisation d’élections générales et
le désarmement des factions. Le désarmement volontaire ne
concerne de manière effective que le tiers des miliciens
en armes. Les factions se sont transformées en partis politiques
et ont accepté le processus électoral, moins par enthousiasme
que par les effets d’une prise de conscience de l’impasse
dans laquelle cette guerre civile a conduit le pays.
- 19 juillet 1997 : Charles Taylor, le leader
du National Patriotic Front of Liberia (NPFL), est élu président
avec 75 % des voix à la suite d’un scrutin qualifié de "globalement
libre et transparent", expression qui laisse planer des doutes
quant à la validité de l’élection, et ce malgré la présence
de nombreux observateurs étrangers dépêchés par des organisations
internationales afin de valider le scrutin. Malgré les horreurs
de la guerre civile dont il a été l’initiateur, le président
du Liberia bénéficie de la confiance des pays occidentaux.
Ceux-ci voient en lui la seule personne capable de faire
régner l’ordre dans ce pays, dont l’exploitation des richesses
(forêts, diamants) est, pour l’essentiel, à l’origine du
conflit. Les plaies mettront cependant longtemps à cicatriser,
avec des milliers d’enfants utilisés comme combattants et
qu’il faut réinsérer, plus de 200 000 morts et le quart de
la population réfugiée ou déplacée.
- depuis 1998 le nord du Libéria est sujet à des
affrontements sporadiques et à des incursions armées par
des forces dissidentes, particulièrement dans la région du
Lofa. Mais l’embargo qui frappe le pays et les relations
tendues entre Charles Taylor et les acteurs internationaux
les plus présents dans la région (Etats-Unis, Royaume-Uni),
participent également à maintenir le Libéria dans une certaine
précarité.

Roberto F.
26.07.2003
Collectif Bellaciao