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UNE APPROCHE DU MOUVEMENT LIBERTAIRE JUIF
D’APRÈS UN TEXTE DE JEAN-MARC IZRINE
samedi 19 juillet 2003
Il convient de rappeler une page singuliere de l’histoire de l’humanite,
menacee de tomber peu a peu dans l’oubli : le mouvement anarchiste juif.
Voici un rapide apercu d’un mouvement qui exerca une influence meconnue
sur les luttes politiques menees a son epoque.
Aussi bien dans le monde occidental que dans les pays du marxisme
triomphant, l’historiographie officielle voulut faire sombrer les
mouvements libertaires dans l’oubli. A fortiori lorsque ceux-ci etaient
juifs, phenomene qui peut meme paraitre aujourd’hui invraisemblable.
Le sionisme a aggrave encore cet oubli, en dotant les Juifs d’une histoire
officielle, qui generalement attenue dans la memoire collective le passe
des revolutionnaires juifs, et particulierement celui des anarchistes. Or,
les Juifs furent nombreux parmi les anarchistes. Ils etaient pour
l’essentiel ashkenazes, originaires d’Europe Orientale. A dire vrai,
l’engagement des Juifs se fit dans le sein du mouvement revolutionnaire
general, plutôt que sous une banniere nationale.
A la fin du XIXeme siecle et au debut du XXeme, les anarchistes etaient
la principale composante revolutionnaire en Europe occidentale et aux
Etats Unis, et les anarchistes juifs etaient particulierement actifs.
C’est que les conditions de vie economiques, sociales et culturelles des
masses juives poussaient cellesci vers la revolution. En effet, dans
l’Europe Orientale ils etaient pratiquement en voie de clochardisation,
alors que dans les pays d’emigration ils se trouvaient dans une situation
d’extreme pauvrete.
Pour finir, l’antijudaisme et l’antisemitisme les cantonnerent dans les
marges de la societe, les incitant a un repli identitaire - ou a la
revolte.
** Les conditions de l’engagement libertaire
Il est a noter que le mouvement anarchiste naquit d’abord en Occident et
non dans la "zone de residence" russe, ou pourtant la presence des Juifs
etait massive - et leur pauvrete extreme. A cela, quelques raisons
possibles :
– La Revolution Francaise, qui declara les Juifs de France libres et
egaux en droit aux autres citoyens, et les incita a participer activemant
a la vie publique ;
– La Commune de Paris : a cette epoque Montmartre et le Marais
rassemblaient deja un proletariat juif significatif. Des revolutionnaires
issus de ce milieu, a l’issue de l’experience parisienne, lancerent les
premiers clubs ouvriers en Angleterre et en France ; par rebondissement
d’autres les imiterent aux EtatsUnis et jusqu’en Argentine. Ces clubs
ouvriers servirent de support au developpement de l’anarchosyndicalisme.
– La fin du XIXeme siecle vit le mouvement libertaire prendre de
l’ampleur. Des passerelles se creerent entre des figures du mouvement
libertaire juif et ceux des pays d’accueil, en particulier avec les
Allemands refugies politiques, dont la langue se rapprochait du yiddish.
L’attachement sentimental a la Russie les rapprocha aussi des radicaux
russes, tels que Kropotkine, dont le charisme fut certain dans leur
milieu.
– L’engagement des libertaires dans l’affaire Dreyfus eut certainement
en France un rôle important. Ainsi, la creation de sections CGT dans
l’habillement ne fut pas le fait du hasard.
Paris et Londres furent les plaques tournantes de la propagande et de la
formation militante des revolutionnaires, souvent en transit, car le but
ultime pour beaucoup de Juifs etait l’Amerique. Cependant, l’attachement
a la Russie restait profond, et des echanges se poursuivirent. Des
brochures de propagande partaient vers les militants restes ou repartis
en Europe Orientale. Et les emigres furent toujours partages entre la
nostalgie de la "Mere Russie" et leur nouvelle vie.
** Quelques caracteristiques des anarchistes juifs
En Europe Orientale, le yiddish fut leur principal vecteur de
communication. Les conditions miserables dans lesquels ils vivaient leur
donna un sentiment d’appartenance a la classe des exploites ; il s’y
ajoutait la marginalisation due a l’antisemitisme. Leur mouvement fut
anime par des travailleurs semi-intellectuels. La plupart sont passees en
effet dans les ecoles religieuses et avaient donc un niveau scolaire
relativementavance. Leurs idees les eloignant ensuite de la religion, ils se
retrouverent declasses et rejoignirent le proletariat juif.
En Occident, le gros du proletariat juif fut employe dans l’habillement,
dans les metiers de soustraitance. Ce fut le "sweating systeme" [1] : de
petits patrons juifs exploitaient les derniers arrivants dans des
conditions extremes. Ils travaillaient dans des taudis pour des salaires
de misere, de l’aube au soir. Louise Michel parla de l’East End de
Londres comme du " cloaque de l’humanite ".
Dans les deux regions, l’anarchosyndicalisme eut une implantation
importante dans le proletariat juif, meme s’il revetit des realites
differentes suivant les pays. Le discours ideologique fut tres present.
L’antielectoralisme, l’antimilitarisme en furent le fer de lance.
** Le rapport a la religion
Un libertaire du XXIeme siecle pourrait s’etonner du rôle que put jouer
pour ces hommes la religion de leurs peres. Il faut se souvenir du fait
qu’elle etait un facteur important dans la societe dont ils etaient
issus. Elle joua d’ailleurs de maniere contradictoire :
– L’aspect messianique de liberation fut souvent valorise (la sortie
d’Egypte, la revolte des freres Machabee). C’est que la formation de ces
revolutionnaires ayant ete faite dans les yeshivas, leur langage faisait
souvent appel aux references religieuses. Leur fort anticlericalisme fut
rythme par le calendrier religieux : bals antiYom Kippour, manifestations
devant les synagogues.
– La haine de la religion fut forte ; il faut rappeler que dans la zone
de residence russe, les Juifs subissaient une terreur mystique de la part
des religieux integristes. En revanche, la democratie occidentale leur
permit de s’en affranchir.
– On peut rappeler la collaboration qui fut reprochee aux rabbins avec
les pouvoirs locaux et la bourgeoisie juive, source de frequents
conflits. Cependant, cette haine fut aussi la cause d’une perte
d’influence dans les pays d’accueil, car une partie du petit proletariat
restait attache aux traditions religieuses et se lassa de la propagande
outranciere des revolutionnaires. Ces phenomenes ne furent d’ailleurs pas
limites aux milieux juifs, ils etaient dans l’air du temps. Faut-il
rappeler, par exemple, que Sebastien Faure sortit de chez les jesuites,
ou que les freres Reclus avaient un pere pasteur ?
– La religion eut des effets differents suivant les pays. Si l’expose
cidessus peut s’appliquer pour l’ensemble des Juifs issus de la zone de
residence, il y a un particularisme chez ceux d’Europe Centrale,
notamment en Allemagne. Ici, les Juifs furent souvent d’origine
bourgeoise, leurs familles etaient en voie d’assimilation. La rupture se
faisait alors en liaison avec une revendication identitaire fondee sur la
religion, avec l’ajout d’un desir de soutien au camp des exploites. Ce
furent souvent des intellectuels appeles anarchistesmessianistes. Le
Francais Bernard Lazare pourrait etre classe dans cette categorie.
** Mourir les armes a la main...
Autre fait qui bouscule les a priori : de nombreux Juifs prirent les
armes pour defendre l’ideal de la liberte universelle. Tous ne se
laisserent pas tuer comme des moutons, victimes des pogroms ou, plus
tard, dans les camps de la mort.
Pourtant, s’armer dans ce milieu n’etait pas facile. Emma Goldman raconte
dans ses souvenirs qu’elle tenta de se prostituer pour pouvoir acheter le
pistolet dont Alexandre Berkman devait se servir pour tuer un patron de
la metallurgie, coupable d’avoir reprime brutalement une greve. Le
terroriste ecopa d’ailleurs de 15 ans de prison.
L’histoire de Simon Radowitski, qui attenta aux jours d’un prefet a
Buenos Aires, fut aussi terrible, et se termina par 15 ans de bagne a
Ushouaia.
Rappelons que parmi les anarcho terroristes russes de 1905 la moitie
furent des Juifs, que quelques annees plus tard, c’est l’anarchiste
Samuel Schwatzbard qui assassina a Paris le pogromiste ukrainien
Petlioura [2], qu’il y eu une section de canonniers juifs dans "l’armee
noire" de Nestor Makno, " armee " anarchiste en Ukraine durant la guerre
civile.
Quelques annees plus tard, lors de la Guerre d’Espagne, tous les engages
volontaires juifs des Brigades Internationales ne furent pas des
communistes C’est Karl Einstein, neveu du grand physicien, qui prononca
l’eloge funebre de Durutti a Barcelone en 1936, en tant que membre de la
colonne du nom du celebre militant anarcho-syndicaliste..
** La presse et les ecrits
Il y eut une profusion de titres de journaux et de revues d’expression
anarchiste. On en compta des dizaines dans le monde entier. Cependant, en
Europe Orientale cette presse fut ephemere a cause de la repression
tsariste. Aussi c’est d’Occident que venait principalement la propagande.
Le Freie Arbeiter Stimme dura 100 ans, le tirage atteignant jusqu’a 12000
exemplaires. Germinal et l’Arbeiter Freind, journaux a la fois politiques
et culturels, se vendaient a plusieurs milliers d’exemplaires et
rayonnaient a travers le monde.
En Argentine, la FORA (organisation des anarchosyndicalistes argentins)
ouvrit une page en yiddish dans son journal national.En France dans les
annees 1960 La Libre Pensee tirait encore a 1000 exemplaires.
Le mouvement libertaire des decennies passees laissa aussi un testament
litteraire important et diversifie. Par exemple David Edelstat et Moris
Rosenfeld, qui ecrivirent de nombreux poemes exprimant la misere
populaire. Ernst Tollers etait connu comme un dramaturge important.
Gustave Landauer theorisa l’anarchisme, Bernard Lazare, Martin Buber
expliquerent le messianisme juif. Chaoul Yanovsky et Josef Cohen furent
de brillants journalistes et polemistes.
Certains survivants de la revolution Russe laisserent une analyse
historique perspicace de la prise de pouvoir par les bolcheviques, la
description du vecu du peuple russe durant la periode revolutionnaire et
les debuts de la contre revolution bolchevique a de quoi a faire palir
les historiens de la droite liberale actuelle : les ecrits humanistes de
Gorelik, Berkman, Goldman, ou de Voline expriment une critique
revolutionnaire du centralisme autoritaire et s’inscrivent dans une
aspiration de liberation collective et communiste des individus.
Alexandre Berkman laissa un souvenir emouvant de sa vie dans les prisons
americaines, et son amie Emma Goldman retraca sa vie de militante
feministe, de libertaire dans " l’Epopee d’une anarchiste ", avec la
passion qui caracterisa toute sa vie.
L’un des plus beaux ecrits sur la guerre d’Espagne est un livre ecrit par
Kaminsky, Ceux de Barcelone. Ce livre est l’equivalent libertaire de "
l’Espoir " de Malraux ou du film " Land and Freedom " de Ken Loach. Ce
meme auteur ecrivit aussi une biographie de Bakounine, ainsi que le
premier pamphlet contre Celine ("Celine en chemise brune", ed. Mille et
une nuit).
** L’implantation par pays
Dans l’Occident, l’Angleterre fut le bastion du mouvement anarchiste ; il
y fut hegemonique jusqu’en 1914. Son mouvement syndical restera autonome
par rapport au TUC. Or, il faut rappeler qu’il y eut plus de juifs parmi
les anarchistes dans ce pays qu’il n’y eut de Britanniques.
En France, ils entrent dans la CGT. Ils furent a l’initiative du seul
meeting tenu dans le milieu juif immigre lors de l’affaire Dreyfus. Ils
furent presents dans le theatre, constituerent des cercles de debats,
ouvrirent des bibliotheques. La prefecture de police recensa 450
anarchocommunistes en 1907 a Paris, pour une communaute estimee a 20 000
personnes. La proportion est importante.
Aux Etats-Unis, ils integrerent les syndicats reformistes ou rejoignent
les IWW, organisation syndicaliste revolutionnaire cree en 1905. Des
groupes s’implanterent dans plusieurs villes et une federation anarchiste
de langue yiddish vit le jour. L’Argentine, comme l’Uruguay, eurent une
presence anarchiste juive attestee. Les sections de l’AIT (FORA et FORU)
publierent des manifestes et des textes en yiddish.
En Europe Orientale, ils devaient affronter la repression feroce
organisee par l’absolutisme tsariste, ce qui les obligeait a la
clandestinite. Les militants furent souvent de tres jeunes gens peu
aguerris ; la presse et le materiel de propagande venaient de l’etranger.
Cependant, une imprimerie clandestine tint quelques semaines a Bialystok.
Les reunions politiques se faisaient souvent, comme pour d’autres
mouvements revolutionnaires, a l’exterieur des bourgs, dans les bois et
les forets. La violence etait tres importante. Lors des manifestations
dans les villes, les anarchistes defilaient habilles de noir, sous des
drapeaux noirs. Ils jouerent un rôle important lors des insurrections,
autant en 1905 qu’en 1917. Beaucoup donnerent leur vie en combattant
aussi bien les blancs que les bolcheviques.
A la peripherie de la zone de residence, les libertaires juifs furent
presents en Bulgarie, en Roumanie et jusqu’a Thessalonique, ou on nota
meme quelques foyers libertaires d’origine sefarade. La personnalite la
plus connue parmi eux fut Alcalay, qui participa a la revolution
espagnole en tant qu’instituteur, aide par sa connaissance du
judeo-espagnol. En Boukovine, David Stetner raconte que dans les annees
30 un groupe d’une centaine de personnes se reunissait dans une clairiere
pour y lire des textes libertaires.
Le cas particulier de l’Europe centrale : Ici, la plupart des anarchistes
juifs furent issus de la bourgeoisie locale. Ils furent en rupture avec
l’assimilation prônee par leurs parents. Ils se forgerent une
personnalite particuliere en theorisant le côte messianique du judaisme,
tout en se referant a la lutte de classes. Si l’Allemagne fut la
principale reference, il exista aussi une variante en Yiddish a Vienne,
et un groupe a Prague dans lequel le jeune Kafka fit quelques
apparitions. Le francais Bernard Lazare se trouva dans le meme genre de
configuration.
Certains eurent un destin tragique. Landauer fut assassine lors de la
repression des conseils ouvriers de Baviere. Les nazis continuerent le
travail, soit directement, par exemple avec Musham, qui perit assassine
dans une latrine du camp d’Orienbourg en 1933, ou bien indirectement :
Tollers se suicida a NewYork, Karl Einstein et Walter Benjamin en firent
de meme au pied des Pyrenees. Pierre Rasmus mourut dans des conditions
etranges sur un bateau qui l’emmenait en Amerique.
** La ou on ne les attendait pas...
Ils se solidariserent avec une revolution qui ne les concernait pas
directement : l’Espagne libertaire de 36. Certains s’engagerent
directement sur le terrain dans les rangs anarcho-syndicalistes de la CNT
et la FAI, d’autres organiserent dans leurs pays respectifs la solidarite
financiere ou medicale, et l’envoi de materiel.
Les libertaires juifs furent aussi passionnes par l’education. Les revues
qu’ils editaient incluaient de la poesie, des romans litteraires, de
l’initiation aux mathematiques ou a la physique. Des ecoles libres furent
creees dans les communautes autogerees. La plus fameuse fut l’ecole
Francisco Ferrer, qui appliquait les methodes de ce pedagogue libertaire
espagnol. Il y eu des colonies autogerees aux Etats Unis, telle la
colonie de Stanton dans l’Est du pays, qui comprenait notamment un petit
atelier et un service de bus. Un atelier autogere de tailleurs fonctionna
a Paris apres la Deuxieme Guerre mondiale. Par la suite, certains
investirent des kibboutz en Israel.
** Le rapport aux "goim" libertaires
Quelques figures de nonJuifs marquerent profondement le mouvement
libertaire juif. En voici quelques exemples :
– L’americaine Voltayrine de Clerc, qui fit de l’alphabetisation dans
ce milieu d’immigration.
– L’allemand Johan Most fut la reference ideologique des Americains.
– Rudolf Rocker, lui aussi d’origine allemande, fut l’animateur du
mouvement en Angleterre. Il structura l’agitation politique, les
mouvements de greve, apprit le yiddish et s’occupa - entre autre - des
revues " Germinal " et " Arbeiter Freind ". Sa compagne, Millie Wilcop,
etait d’origine juive. Les Juifs anglais non libertaires le respectaient
et le consideraient comme une sorte de Messie ; ce qui est quelque peu
paradoxal pour un Goy... Il ecrivit un livre qui n’existe qu’en version
anglaise ou espagnole : " Nationalisme et culture ", qui devrait etre une
reference alternative aux guerres ethniques dans le monde. Son experience
au sein de l’East End londonien lui donna cette faculte d’analyse des
problemes ethniques d’un point de vue libertaire.
– Louise Michel, le Francais Sebastien Faure, l’italien Malatesta
eurent l’occasion de frequenter les anarchistes juifs.
En retour, certains Juifs ont eu une influence sur le mouvement
libertaire general ; les Juifs americains aiderent a structurer le
mouvement aux Etats Unis ; en Angleterre ils furent a l’origine de
l’acquisition d’un immeuble pour creer un local de propagande et de
culture a Londres. Parmi les individus a remarquer, une femme, Maria
Korn, alias Marie Isidine ou Goldsmith fut l’une des principales
animatrices de l’organisation etudiante francaise ESRI.
Toutefois, le plus extraordinaire cas se trouve en Chine, : le grand
poete libertaire chinois Pa Kin posa son regard sur le judaisme. Il se
dit etonne, au travers des lectures qu’il put se procurer sur la Russie,
d’apprendre qu’il pouvait y avoir des juifs capitalistes ou rabbins, car
la seule reference du judaisme qu’il connaissait etait le groupe
anarchiste juif de Paris. Dans son livre " Reve en mer " il raconta
l’histoire de Samuel Schwarzbard qu’il traduisit en chinois par " Barbe
Blanche ".
** Identite nationale
La question identitaire se posa aux anarchistes juifs de trois manieres :
– Ceux qui se considererent comme des internationalistes et dont la
reference principale fut l’attachement a la classe des exploites ;
– Ceux qui privilegierent l’identite au travers de la langue et de la
culture, et des conditions particulieres de l’exploitation au sein des
communautes. Ici, l’appartenance identitaire fut reconnue comme une
partie integrante parmi d’autres au sein de l’internationale des peuples
exploites.
– Enfin, la tentation du sionisme revolutionnaire initie par Mose Hess
et Bernard Lazare prit toute son importance du fait que les societes
occidentales ne purent (et l’affaire Dreyfus en fournit une preuve
classique) eradiquer l’antisemitisme. Le pogrom de Kichinev laissa aussi
dans les memoires un traumatisme important. La Shoah finit de faire
basculer une grande partie du mouvement vers l’espoir d’un foyer national
en terre d’Israel. La mystification du kibboutz communiste finit de
parfaire la justification ideologique.
** Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Si le " Freie Abeiter Stime " continua de paraitre a New York jusque en
1981, le mouvement specifique s’essouffla des avant la Deuxieme Guerre
mondiale. Apres la guerre, des groupes continuerent d’exister, mais ils
etaient bien amoindris. Cette courbe descendante est a inscrire dans le
cadre du declin anarchiste en general, ainsi que de l’extermination des
juifs d’Europe centrale et orientale par les nazis. Et il ne fait pas de
doute que dans les pays de l’Est, parce que juifs et parce
qu’anarchistes, les rares survivants ont du faire face a la repression
communiste stalinienne.
Quelques figures sont cependant dans la lignee directe de ce mouvement,
surtout aux EtatUnis. Tel l’universitaire Paul Avrich ou l’ecologiste
Murray Boukchin, ou encore le linguiste Noam Chomsky.
En France, la federation anarchiste edita en 1980 deux numeros de "
Schwartz Fohne ". En Israel quelques militants sont regroupes dans le
mouvement des Kiboutzim et dans les universites, mais tout ceci reste
tres marginal.
Cependant, avec la chute du communisme autoritaire, des Juifs
s’impliquent de nouveau dans les courants libertaires. Ceux la sont
souvent issus du mouvement social dans lequel ils s’engagerent, mais
l’identite yiddish y est inexistante, d’autant plus que plusieurs d’entre
eux ont des origines sefarades.
[1] de l’anglais "to sweat" : suer, designe un systeme d’exploitation a
outrance des travailleurs
[2] La LICRA fut alors creee pour soutenir Schwatzbard lors de son proces.