Accueil > Nouvelles de Birmanie numéro 16

Nouvelles de Birmanie numéro 16

Publie le mardi 13 mars 2007 par Open-Publishing

« Les Nouvelles de Birmanie » numéro 16
Janvier 2007
L’Edito

Il est depuis plusieurs mois question d’éventuels nouveaux investissements de Total en Birmanie. La MOGE (Myanmar Oil and Gas Enterprise) ayant notamment émis une déclaration selon laquelle une mission scientifique sponsorisée par Total avait identifié en Birmanie des gisements de gaz et de pétrole encore inconnus. Interrogé par téléphone, Jean-François Lassalle (Directeur des Relations Extérieures à l’Exploration-Production du groupe), nous répondait qu’il s’agissait de rumeurs infondées. Nous avons voulu savoir si Total accepterait de consigner cela noir sur blanc. Le résultat est l’entretien qui suit.

P.S. La phrase « Total n’a pas de projets d’investissements nouveaux au Myanmar à l’heure actuelle » laissant à l’évidence des portes ouvertes, nous avons, de nouveau, contacté Jean-François Lassalle par téléphone. Il ressort de ses précisions que le pétrolier, tout en précisant n’avoir pas à l’heure actuelle de nouveaux projets d’investissement en Birmanie, n’en exclut pas la possibilité. Seule une mobilisation de la société civile pourrait conduire l’entreprise à s’interrroger sur l’opportunité de tels investissements.

Info Birmanie

Entretien avec Jean-François Lassalle (Total)

1. On parle depuis plusieurs mois d’une possibilité de nouveaux investissements de Total en Birmanie. Avez-vous des mises au point à faire ?

Des rumeurs ont effectivement circulé l’été dernier sur d’éventuels nouveaux investissements de Total au Myanmar. Ces rumeurs sont sans fondement. Total n’a pas de projets d’investissements nouveaux au Myanmar à l’heure actuelle.

2. De nombreuses critiques ont été émises sur le faible niveau de contrôle par Total de l’usage de l’argent généré par le projet Yadana. Au vu de ces critiques récurrentes, un dispositif a-t-il été mis en place pour améliorer ce contrôle ?

L’initiative sur la Transparence dans l’Industrie Extractive (Extractive Industries Transparency Initiative) vise justement à cela. Lancée en 2002, sanctionnée par le Sommet du G8 d’Evian en 2003, adoptée par un nombre croissant de pays, elle cherche à comparer le montant total des revenus tirés par l’Etat des industries extractives avec les sommes qui figurent sur le budget et qui sont utilisées.

Associé dès l’origine à cette initiative, Total est déterminé à y contribuer dans les conditions suivantes :

 en s’associant à une démarche globale impliquant collectivement tous les acteurs pétroliers : les sociétés cotées, indépendantes ou nationales, mais également les Etats-hôtes qui doivent lever les clauses de confidentialité en vigueur dans les contrats.
 en communiquant à un organisme international compétent, reconnu et indépendant dans le respect des contrats signés, le montant des impôts, taxes et redevances versés aux Etats-hôtes.

La mise en oeuvre de l’EITI au Myanmar reste un objectif à moyen et long terme, même si les conditions politiques ne sont pas actuellement réunies.

Au-delà de cette nécessaire démarche de transparence, si un organisme quelconque devait avoir la légitimité pour apprécier l’utilisation des ressources financières mises à disposition d’un Etat par une entreprise privée au travers du règlement de ses impôts, -et ce dans n’importe quel pays-, il ne saurait s’agir que d’une organisation multilatérale telle que le FMI ou la Banque Mondiale, et en aucun cas d’une entreprise
privée.

3. Pouvez-vous nous décrire le détail des différents projets sociaux mis en oeuvre par Total en Birmanie ?

Il s’agit d’un programme lancé début 1995, plus de 6 mois avant le démarrage du chantier, et qui a quatre priorités : la santé, l’éducation, le développement économique et les infrastructures. Son contenu est défini en étroite collaboration avec les habitants des 25 villages bénéficiaires, soit près de 44.000 personnes. Le Groupe et ses partenaires ont déjà consacré plus de 12 millions de dollars à ces actions, qui ont permis de construire ou de rénover un hôpital, des dispensaires, des écoles, des routes, des puits et adductions d’eau, des ponts etc¦ Ce programme est mis en oeuvre par des « Communication Ladies », des médecins, des vétérinaires, des agronomes qui sont tous de nationalité birmane.

La situation sanitaire de la zone est désormais satisfaisante : le paludisme et la mortalité infantile ont enregistré un recul considérable. Tous les enfants peuvent désormais aller à l’école dans de bonnes conditions matérielles, et les effectifs scolaires ont doublé. L’assistance technique et financière a permis de développer des élevages de porcs, de poulets, de bovins, ainsi que différentes cultures saisonnières ou
pérennes : riz, légumes, noix de cajou, palmier à huile ¦ La pêche et le petit commerce ont été également encouragées.

En parallèle, le programme finance des actions sociales hors de la zone du gazoduc. Il soutient des orphelinats dans la région de la capitale, Yangon, ainsi qu’un programme national de lutte contre la cécité, mis en place par la Fondation Helen Keller International. Par ailleurs, Total s’est associé début 2005 à une initiative de santé publique destinée à accompagner et à soigner les personnes malades du sida dans la région de Mandalay. Enfin Total participe aux efforts des Nations Unies pour que le Myanmar rejoigne la communauté internationale, en finançant un programme de formation à la bonne gouvernance par l’UNITAR à destination de hauts fonctionnaires birmans.

La qualité du programme socio-économique a été contrôlée à plusieurs reprises par des experts extérieurs. L’organisation américaine Collaborative for Development Action (CDA), un organisme indépendant travaillant beaucoup pour les agences internationales de développement a effectué quatre missions récentes (2002, 2003 et 2005) sur le site. Les conclusions du CDA soulignent qu’au-delà du réel progrès matériel apporté aux populations, la présence de Total permet d’abord de garantir la paix et la tranquillité dans la zone au bénéfice de toutes les ethnies vivant sur place.

4. Dans quelle mesure pensez-vous que les contrats de type PSC peuvent avoir une incidence sur l’environnement économique et politique global d’un pays, et notamment dans le cas birman ?

Il convient tout d’abord de rappeler les caractéristiques des Contrats de Partage de Production (PSC) ; Contrairement au système de Concession, l’Etat demeure titulaire des droits miniers. La Société Nationale (MOGE, dans le cas du Myanmar) est délégataire des droits et traite avec une ou des entreprises pétrolières pour la mise en valeur des réserves. La compagnie pétrolière conduit et finance l’exploration à ses propres risques. Après décision de développer, prise avec l’accord de l’Etat, la compagnie procure des services financiers et techniques. Elle est remboursée de ses dépenses en bénéficiant d’une part de la production appelée Cost-Oil et rémunérée du risque pris au travers de la part appelée Profit-Oil. La Société Nationale est propriétaire des installations. Ces contrats peuvent être construits avec ou sans fiscalité, l’important étant pour le pétrolier, l’équilibre économique de l’ensemble et non la différence d’affectation entre différents ministères qu’induit souvent cette possibilité.

Il est illusoire de chercher à déterminer si les PSC sont de "meilleurs" contrats pour les Etats que les régimes de concession (en vigueur aux Etats-Unis et en Grande Bretagne notamment). Tout dépend bien évidemment des paramètres économiques retenus au titre du partage pour les PSC, ou dans la fiscalité pour les concessions. Tout au plus, convient-il de remarquer que les PSC, en prévoyant un partenariat avec une entreprise nationale, permet une plus grande implication de l’Etat dans le suivi (voire la conduite) des opérations pétrolières. Certains Etats (Indonésie, Brésil, Malaisie, Chine, Thaïlande...) ont su en tirer une véritable compétence technologique, ce qui permet aujourd’hui à leur Compagnie Nationale d’opérer une partie de leurs ressources propres et d’aller même à la conquête d’autres territoires, hors de leurs frontières, en compétition avec les compagnies privées traditionnelles.

L’actu birmane

Sources : Irrawady, AFP, AP, BBC, RFI, BurmaNet news, Asiantribune.com, Asiantime.com, DVB

Le 29 janvier : Les birmans ouvrent leur cœur

Dans le cadre de sa campagne intitulée « A cœur ouvert », prolongée pour une durée indéterminée en raison de son succès, l’organisation « Génération 88 » a annoncé avoir recueilli environ 500 000 lettres de doléances écrites par des Birmans. Il y a un mois, des étudiants dits de la « génération 88 », en l’honneur du mouvement étudiant réprimé la même année, ont commencé à sillonner tout le pays, avec du papier et des stylos, pour recueillir les témoignages des conditions de vie de la population.

Min Ko Naing a indiqué que « les milliers » de signatures récoltées évoquent notamment les problèmes économiques et qu’ils seraient remis au chef de la junte militaire, le généralissime Than Shwe, afin d’obtenir la libération des prisonniers politiques et la reprise du processus de transition démocratique.

Le 22 janvier : L’Inde continue d’armer la Birmanie

L’Inde a promis une nouvelle aide militaire au régime birman en échange d’une coopération renforcée de la junte dans sa répression de groupes, qualifiés d’insurgés par Delhi, opérant le long de la frontière et qui se réfugient en Birmanie après leurs opérations. Ces déclarations font suite à la visite de trois jours dans la capitale administrative birmane, Naypyidaw, d’une délégation indienne menée par le ministre des Affaires étrangères, Pranab Mukherjee. Ce dernier a rencontré le vice général Maung Aye et le général Thura Shwe Mann, le Premier ministre le général Soe Win et enfin son homologue birman Nyan Win.

Le régime indien va ainsi fournir à la junte des équipements nécessaires à l’entretien d’avions jets MIG achetés à la Russie. Parmi d’autres mesures discutées se trouve la possibilité d’ériger une barrière le long des 1600 Km de frontières communes entre les deux pays. Les discussions entre les deux pays ont aussi porté sur le secteur énergétique et des projets d’infrastructures. L’an dernier, l’Inde avait vendu à la Birmanie tanks, hélicoptères, radars et mortiers, et le régime birman avait renforcé la lutte contre les groupes d’insurgés indiens réfugiés dans l’ouest du pays.
Le 15 janvier : L’Asie du sud-est vise l’intégration régionale ; alors l’influence chinoise et indienne s’imposent sur le sous-continent

Les dix pays de l’Asie du sud-est - Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam – ont exprimé leur souhait de former un bloc économique et politique, mais ils demeurent toujours divisés à propos du cas birman. Telles sont les conclusions du dernier sommet de l’Asean qui s’est tenu du 8 au 13 janvier à Cebu, Philippines.

Cette réunion a accouché de deux proclamations lançant un processus d’intégration régionale et visant à former un groupe fondé non plus sur le consensus mais sur un mode réglementaire. La première convention concerne la lutte contre le terrorisme alors que la seconde est une déclaration d’intention sur une charte régionale plus contraignante sur la bonne gouvernance, la démocratie, la paix et la sécurité. Dans un avenir proche, le point crucial sera ainsi de trouver un accord sur les conditions dans lesquelles un Etat membre pourrait être suspendu, voire exclu, pour manquements "aux principes et valeurs communes" du groupe. En somme, la question des droits de l’homme et des libertés ne sera plus régie, une fois la charte adoptée, par le principe de non ingérence dans les affaires intérieures.
Pour Valérie Niquet, directeur du centre Asie de l’Ifri, cette charte est très intéressante : « Pour une institution fondée sur les notions de consensus et de discussions informelles, l’idée d’introduire des éléments plus contraignants et des possibilités d’ingérence serait un progrès certain », estime la chercheuse. C’est d’ailleurs, assure-t-elle, une tendance qui émerge depuis quelques années au sein de l’Asean.

Mais entre les projets et ce qui est réalisable, le sommet de Cebu risque, à nouveau, de déboucher sur quelques déceptions, car il est peu probable que Rangoon paraphe un texte trop contraignant ou faisant référence explicitement à la question des droits de l’homme.

L’Asean n’a jamais pu exercer la moindre pression sur la junte birmane. Sommet après sommet, les recommandations à Rangoon se suivent et se ressemblent. Et cet état de fait s’est encore vérifié lors de ce sommet, puisque les pays du Sud-est asiatique ont encore refusé de sanctionner la junte de Rangoon. Ils ont aussi fait part de leur intention de traiter eux-mêmes le dossier, le communiqué final déclarant que l’Asean veut démontrer sa « capacité à gérer des problèmes importants au sein de la région ».
Le 12 janvier : Rejet au Conseil de Sécurité d’un projet de résolution américaine appelant à des réformes démocratiques en Birmanie

Echec cinglant pour Washington aux Nations unies.

Malgré l’absence de sanctions dans le texte, le projet américain a reçu un double veto de la Chine, et de la Russie, deux pays qui lorgnent sur les ressources naturelles de la Birmanie. Cela n’était pas arrivé depuis plus de 15 ans.

La résolution appelait à de profondes réformes politiques en Birmanie et à la fin des attaques militaires contre les civils dans les régions peuplées de minorités ethniques, exigeait de la junte de Rangoon qu’elle libère tous les prisonniers politiques - dont le prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi - et qu’elle autorise les partis politiques à fonctionner normalement. Elle a recueilli neuf voix pour, trois voix contre (Chine, Russie, Afrique du Sud) et trois abstentions (Congo, Indonésie, Qatar).

Pékin et Moscou ont justifié leur vote négatif par une question de principe. Plus précisément, la Chine a déclaré qu’elle jugeait que le Conseil n’avait pas vocation à condamner le régime birman, dans la mesure où ce dernier ne constitue « pas une menace pour la paix internationale », comme les Etats-Unis l’affirment. "Le Conseil n’a pas à usurper les pouvoirs des (autres) organes de l’ONU", a ajouté l’ambassadeur chinois, Wang Guangya. Il a également souligné que l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (Asean) avait elle-même estimé que la Birmanie ne posait pas une menace à la sécurité régionale. L’ambassadeur de Chine a toutefois reconnu, sans les détailler, l’existence de problèmes en Birmanie.

De son côté, Washington continue à soutenir que le comportement de la junte, qu’il accuse de violations massives des droits de l’homme et de laxisme dans la lutte contre le sida, la grippe aviaire et le trafic de drogue, constitue bel et bien une menace à la paix et à la sécurité régionales. Ils ont fait part de leur déception.

Pour certains, les menaces de l’Occident contre la Birmanie semblent jusqu’à présent davantage renforcer la résistance de la junte militaire au pouvoir. Pour le fondateur de la Free Burma Coalition Maung Zarni, qui vit en exil à Londres depuis 17 ans, « l’offensive menée par Washington pour pousser les Nations unies à intervenir sur le terrain constitue une approche futile ». A ses yeux, « présenter la junte, qui dirige le pays depuis 1962, comme une menace sur la paix dans le monde renforce uniquement la position des militaires ». Il appelle d’ailleurs l’Union européenne à prendre des distances avec les Etats-Unis à propos de la Birmanie.

Le 11 janvier : Libération de cinq activistes étudiants

Les dirigeants étudiants de la génération 88, arrêtés fin septembre 2006, ont été relâchés par les autorités birmanes. Une libération intervenant quelques heures à peine après un appel en faveur des droits politiques en Birmanie, lancé lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des autres pays du Sud-est asiatique.

Min Ko Naing, Ko Ko Gyi, Htay Kywe, Min Zeya et Pyone Cho avaient été interpellés pour un interrogatoire au sujet de plusieurs explosions et d’une aide financière internationale, mais n’ont jamais été mis en examen.

Le 07 janvier : Hospitalisation de Than Shwe, chef de la junte

Le général Than Shwe a été hospitalisé dans un des meilleurs établissements publics de Singapour, a annoncé un employé d’ambassade sous le sceau de l’anonymat, sans toutefois donner des précisions sur l’état de santé du général. Un responsable de cet hôpital a déclaré à l’agence de presse Reuters que Than Shwe, âgé de 73 ans, avait déjà quitté l’établissement où ne se trouverait plus que sa famille.

La Voix de Birmanie, une organisation indépendante basée à Oslo et observant la situation birmane, affirme, en citant des sources hospitalières, que Than Shwe est hospitalisé pour recevoir un traitement en raison d’un cancer des intestins.

Le 05 janvier : Des Lauréats de la Paix veulent rencontrer collectivement Aung San Suu Kyi, mais la junte a refusé de leur délivrer les visas nécessaires

Le lendemain du jour de l’indépendance birmane, treize lauréats du Prix Nobel de la paix, ont, de Séoul à Washington, tenté de déposer des demandes de visa auprès du Consulat de Birmanie de leur propre pays. L’objectif, rendre visite à Aung San Suu Kyi, la seule lauréate emprisonnée, et appeler le Conseil de Sécurité des Nations unies à donner un soutien unanime et fort à la résolution américaine condamnant la répression politique en Birmanie.

Le Dr Shirin Ebadi souhaitait montrer à Aung San Suu Kyi que le monde ne l’avait pas oubliée. Le Professeur Jody Williams, Prix Nobel en 1997 et fondateur de l’Initiative des Femmes Nobel, mouvement qui a lancé cette action, a ajouté qu’étant un leader élu par le peuple birman, les lauréats du prix Nobel de la Paix doivent s’assurer que la voix d’Aung San Suu Kyi soit entendue derrière les murs où elle est confinée depuis 4088 jours : « Quand je lui ai rendu visite en 2003, elle m’a demandé que nous usions de notre liberté pour promouvoir la sienne, et c’est ce que nous essayons de faire maintenant » a-t-elle précisé.

Après avoir joint une manifestation à l’extérieur de l’ambassade birmane à Washington DC, Shirin Ebadi et Jody Williams en ont été refoulées sans avoir pu déposer leur dossier de demande de visa. Un employé birman a expliqué que les deux lauréates du Nobel de la Paix ont été offensantes à l’égard de la Birmanie, c’est pourquoi il leur a été demandé de quitter les lieux. Les deux femmes ont alors poursuivi leurs discussions avec les manifestants avant de partir pacifiquement de la zone. « La population birmane mérite la liberté », a déclaré Williams tout en précisant que la situation en Birmanie ne s’améliorera pas sans une action forte de la communauté internationale.

De son côté, la demande de visa du président Kim Da-jung a été rejetée immédiatement par l’ambassade birmane à Séoul. Les officiels birmans ont justifié ce refus par le fait que cette tentative de rendre visite à Aung San Sui Kyi était interprétée comme une intervention dans les affaires intérieures d’un autre Etat.

Ci-dessous la liste des lauréats du Prix Nobel de la Paix qui ont fait une demande de visa :

 Wangari Maathai (Kenya, 2005) en Afrique du Sud
 Shirin Ebadi (Iran, 2003) aux Etats-Unis
 Le Président Kim Dae-jung (Corée du sud, 2000) en Corée du sud
 Jody Williams (US, 1997) aux Etats-Unis
 Le groupe britannique Pugwash, au nom de Joseph Rotblat, et les conferences Pugwash en Science et affaires internationales (UK, 1995), représentés par Sally Milne, au Royaume-Uni
 Rigoberta Menchu Tum (Guatemala, 1992) aux Etats-Unis
 Le mouvement des Physiciens internationaux pour la prévention d’une guerre nucléaire (US, 1985), représenté par Ron McCoy, en Malaisie, Mary-Wynne Ashford, au Canada, Gunnar Westberg, en Suisse, et Ime John, en Allemagne.
 Lech Walesa (Poland, 1983), en Allemagne
 Adolfo Perez Esquivel (Argentina, 1980), aux Etats-Unis
 Betty Williams (UK, 1976), au Royaume-Uni
 Mairead Corrigan Maguire (UK, 1976), Royaume-Uni
 Au nom d’Albert Schweitzer (France, 1952), David Ives, aux Etats-Unis
 Le Bureau international de la paix (Suisse, 1910), représenté par Arielle Denis, en France

Les lauréats n’ont pas déposé de dossiers de visa mais ont exprimé leur soutien à cette action : Le Dalai Lama (Tibet, 1989), Elie Wiesel (US, 1986), L’Evêque Desmond Tutu (South Africa, 1984) et l’association américaine « Friends Service Committee » (US, 1947).

Le 03 janvier : Libération de près de 3.000 prisonniers

Les médias d’Etat et des responsables des partis pro-démocratie ont annoncé que la junte militaire birmane a amnistié 2831 prisonniers, dont une vingtaine de prisonniers politiques. Selon le quotidien gouvernemental "The New Light of Myanmar", les prisonniers ont été remis en liberté pour le 59e anniversaire de l’indépendance du pays et ont été choisis en raison de leur « comportement moral et de valeurs spirituelles » jugées positives.

Parmi les personnes libérées figurait un ancien leader étudiant, Soe Moe Naing, qui avait été condamné à 24 ans de prison.

Les responsables du ministère chargé des prisons ont précisé que le prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, le député de son parti pro-démocratique Tin Oo ou le journaliste Win Tin ne figuraient pas parmi les personnes libérées. De son côté, l’Association d’assistance aux prisonniers politiques a indiqué que 30 détenus politiques avaient été libérés, principalement des militants de base de la LND.

Au total, la junte a amnistié 23.147 personnes depuis novembre 2004.

Le 02 janvier : Construction de deux projets hydro-électriques avec l’aide de la Chine
Les médias officiels birmans ont annoncé la signature d’un accord entre la Birmanie et la Chine en vue de la construction de deux importantes centrales hydro-électriques d’une capacité cumulée de 5.600 mégawatts, dans le nord-est de l’Etat du Kachin (Birmanie).
La première unité hydro-électrique d’une puissance de 2.000 mégawatts sera établie sur le fleuve Maykha dans le nord-est du Kachin, près de la frontière chinoise. Le second barrage, qui générera 3.600 mégawatts, sera construit à la confluence entre le Maykha et le fleuve Ayeyawady.

Les écologistes ont vivement réagi suite à l’annonce de ce projet en raison des déplacements de populations qu’il pourrait générer.

Ils se mobilisent, Ils en parlent

.« Adversaire du christianisme, la junte Birmane viole la constitution »
Par Bertrand C. Bellaigue, le 26 janvier 2007

Les généraux birmans ont décidé, dans un document secret - mais exfiltré officieusement - par un ministère non défini, de débarrasser le pays du Christianisme, religion principale des ethnies Karen, Kachin et Shan, rebelles aux gouvernements militaires de Rangoon, depuis le coup d’Etat du général Ne Win en mars 1962.

Dans la Birmanie des généraux, le pire est toujours pour demain et le respect des militaires pour les traditions de tolérance bouddhiste – supposée – est inversement proportionnel à l’augmentation inespérée des ressources de cette fédération asiatique sous la forme de gigantesques gisements de gaz et hydrocarbures découverts en 2005 dans le nord du golfe de Bengale, en off shore de l’Arakan.

La dernière décision de junte, prise dans le secret de la jungle montagneuse de Pynmana, vient d’être découverte par le correspondant du Daily Telegraph, longuement cité par l’agence birmane en exil dans son service d’information du 24 janvier.

Selon cette information il existe un document « top secret » dont le texte a été exfiltré – à dessein - des bureaux d’un ministère du gouvernement militaire. Le correspondant du quotidien britannique a révélé dans une de ses dépêches que le document en question porte le titre révélateur de « Programme pour éradiquer la religion chrétienne en Birmanie. » Ce document indique les mesures à prendre pour « chasser les Chrétiens hors du pays ».

Le secret imposé par le Junte est probablement dû au fait que la Constitution du pays (1 974) garantit la liberté de culte pour tous les laïques, l’exception des religieux qui n’ont pas le droit de vote.

On note dans le pays 85 % de Bouddhistes, 5, 6 % de Chrétiens, au sein desquels se trouvant 400 000 catholiques, 14 évêques, 300 prêtres, 800 religieux, 50 anglicans, et 3,6 % de musulmans.

Cette décision secrète ne fait qu’entériner le fait que depuis le mois d’avril 2006, l’armée birmane a lancé une grande campagne contre les chrétiens de l’ethnie des Karen. Ce peuple est en majorité chrétien. Les « ratissages » de l’armée birmane, ont provoqué l’exode de 13 000 personnes et d’un nombre non précisé d’assassinats. Cette population se réfugie dans la jungle et dans les régions frontalières avec la Thaïlande. Les miliaires ont encerclé les villages et en attaquent par surprise les habitants. Les soldats brûlent les maisons, les réserves d’aliments, envoient en camp de travaux forcés ceux qui sont faits prisonniers quand ils ne les tuent pas. Ils placent autour des villages des mines antipersonnel.

En fait s’il se trouve que l’exploitation des zones pétrolière de la bande côtière méridionale de Birmanie a coïncidé avec une intensification de la « ‘pacification » de ces régions considérées comme « rebelles » par les militaires, ce type de campagne d’extermination ethnique et religieuse dure depuis plusieurs années. Elle avait commencé quand j’étais en poste à Rangoon lors de la première dictature. L’activité des « guérillas » populaires des différentes ethnies, était telle qu’il était interdit – par mesure de sécurité affirmait le gouvernement militaire - aux diplomates de sortir de la capitale.

Depuis 1996, dans l’est de la Birmanie,
Plus de 2 500 villages ont été rayés de la carte.
365 000 civils ont été délocalisés
Au moins 260 000 civils sont bloqués dans la jungle.

Une autre ethnie, celle des Chin, subit le même traitement. Dans ce cas également c’est une ethnie à majorité chrétienne qui subit les conséquences des interventions de l’armée. Une des dernières initiatives de la junte a été d’interdire le transport et l’impression de Bibles traduites dans les langues vernaculaires, parlées par les minorités ethniques.

Ceci dit, il est certain que de tout temps, il a été considéré que les « religions occidentales avaient eu peu d’impact » sur un pays dont 85 % des habitants sont bouddhistes. Déjà en en 1959, un « vade mecum » publié à l’époque de la république parlementaire conduite par U. Nu – déposé en mars 1962 par le coup d’Etat organisé par le général Ne Win et son armée, apprenait que le sixième « Grand Conseil bouddhiste » s’était réuni en 1954 à Rangoon en présence de 5 000 « bikhus » (moines bouddhistes) du monde entier, six ans après l’indépendance proclamée le 4 janvier 1948. On y remarquait, en passant, que le premier « Grand Conseil » s’était tenu 2 500 ans auparavant et que le cinquième en 1871, sous le règne du roi Mindon le Pieux.-, avant l’invasion anglaise. Façon de faire comprendre à l’étranger que la Birmanie n’avait besoin des conseils de personne en matière religieuse.

« Il n’y aura pas, dit ce texte, de vraie patrie partout où la religion chrétienne sera pratiquée » et avertit les citoyens birmans que quiconque sera pris en flagrant délit “d’évangélisation” sera jeté en prison. « Cette religion est gentille, aimable, elle est facile à identifier. Il faut donc utiliser cette faiblesse ».

Emportés par leur zèle réformateur, les généraux de la junte font maintenant appel à plus de rigueur bouddhiste pour justifier leur entreprise d’exploitation de leur pays à titre personnel.

Lorsque je suis arrivé en poste à Rangoon, pour l’Agence France-Presse, le général Ne Win et ses généraux venaient de prendre le pouvoir. Leurs premières initiatives avaient été de faire plier le pays tout entier sous leur joug. D’éliminer les étrangers qu’ils fussent européens ou indiens et de nationaliser toutes les activités industrielles, les rizeries, le commerce du riz, les banques, tous les commerces, des plus petites « échoppes de marchandes de soupe » des coins de rues aux grands magasins. L’argent démonétisé, la bourgeoisie ruinée et jetée en prison. Tous les Birmans possédant du bien commencèrent à quitter le pays en direction de Bangkok puis de l’Occident.
Les moines bouddhistes qui étaient plusieurs centaines de milliers ne se révoltèrent pas. Ils se bornèrent avec leur prudence ancestrale, à se livrer à des cérémonies propitiatoires quand il arriva à l’Université de Rangoon que les étudiants révoltés contre les militaires fussent tués par centaines lors de la répression lancée par l’armée bimane. Cérémonie propitiatoire obligatoire au cours de laquelle le rite exige que l’on offre riz et fruits aux moines en échange de leur intercession auprès de défunts. En Asie il existe, en effet, la croyance selon laquelle tout être humain ayant succombé à une mort violente, ne peut pas immédiatement se réincarner. Or il n’est jamais bon de laisser ces esprits en fureur entre terre et ciel, se venger sur les responsables de leur trépas, militaires ou civils.

Les diplomates, représentant presque tous les pays membres des Nations Unies se mirent très vite à la botte du nouveau pouvoir pour ne pas risquer de perdre tous les marchés, de tous ordres, qui à cette époque, commençaient à se multiplier.

Dès 1962 « Tatmadaw » c’est ainsi qu’on nomme l’armée birmane, a représenté l’unique base du pouvoir. En 1988, ses effectifs se montaient à 186 000 hommes au total. En 2005, elle avait atteint plus de 400 000 hommes répartis entre 360 à 370 00 pour l’armée de terre, 15 000 pour l’armée de l’air et la Marine, de 50 à 60 000 pour les unités paramilitaires. Plus de 40 % du budget de l’Etat lui sont consacrés. Équipée par la Chine, le Pakistan, l’Ukraine, Israël et Singapour, elle reçoit depuis le début l’assistance de la Russie. Les spécialistes du Sud Est asiatique estiment que l’un des objectifs de cet effort spectaculaire, concerne la « pacification » du pays et l’élimination de la résistance des Karen, des Kachin et des Shans. Il a été possible grâce, principalement, aux revenus que la Birmanie retire de ses gisements d’hydrocarbure et de gaz naturel.

Le programme antichrétien de la junte birmane qui paraît être une nouveauté,
n’est pas complètement une surprise.

L’intolérance qu’elle manifeste n’est pas le seul fait de la Birmanie, comme tend à le prouver une dépêche signalant qu’un touriste allemand portant un nom mulsuman avait été arrêté à Agadir par la police marocaine, puis, jugé et condamné à six mois de prison ferme et 5 000 dirhams (50 euros) pour s’être livré à du prosélytisme chrétien auprès d’un jeune musulman de cette ville balnéaire. Que ce soit chez les bouddhistes birmans ou chez certains autres croyants en un Dieu unique, la tolérance n’est pas vraiment à l’ordre du jour en ce début de siècle dont le mysticisme annoncé, se manifeste plutôt par un fanatisme irrépressible au nom de leur Dieu.

C’est ainsi que la Birmanie est victime, depuis quarante ans, de l’arrogance et l’antipathie qu’éprouvent les militaires pour tout ce qui est étranger. En cela rien de bien nouveau, pour ces militaires intégristes qui se proclament, à tort ou à raison, descendants des Mons et des Khmers et tibétains venus d’Asie centrale à l’époque proto historique.

En réalité, le dernier recensement de 1999 a établi que 48 852 098 habitants vivent dans les sept « Etats » que compte la fédération de Birmanie. Ce sont d’une part les Birmans (Bamars) qui représentent quelque 72 % de la population, et par ailleurs, la diversité de tous les autres 27,50 %, constituée par les Shans (11 %), les Arakans (6 %), les Karens (5 %), les Môns (3 %), les Kachins (2,5 %), les Chins, les Karennis (Kayahs), les Lahus, les Rohingyas, les Gurkhas, les Palaungs, les Méos (Hmongs), les Nagas, les Akhas, les Lisaws, les Kadus, les Was, les Mokens (ou Mawkens), etc. Le pays compte aussi 150 000 Chinois et 800 000 Indiens. Trois ethnies n’ont jamais admis la prédominance de Rangoon, sans cesser d’être en révolte contre l’ethnie majoritaire birmane : les Karens, les Kachins et les Shans. De plus, les Was vivant sur la frontière avec la Chine sont périodiquement en insurrection.

C’est ainsi qu’une quarantaine d’ethnies et tribus différentes sont réparties sur tout le territoire, tandis que le peuple dominant, le « Bamars » (Birmans) occupe la plus grande partie dans la plaine de l’Irrawadi, le grand fleuve qui coupe en deux verticalement la Birmanie et demeure la principalement voie de communication du Sud et au Nord.
Déjà dans les années soixante j’avais appris par des missionnaires vivant dans le pays, par des religieuses qui soignaient les lépreux, que ces religieux se trouvaient en Birmanie comme l’oiseau sur la banche et que leurs ouailles étaient régulièrement victimes de violences et sévices dont le caractère antichrétien était camouflé par l’évocation d’autre causes politiques et par la révolte permanente de ces tribus que le gouvernement central n’arrivait pas a soumettre.

Dans ce cadre, le tribalisme avec ses préjugés et ses haines, et le communisme birman sous couvert de bouddhisme n’hésitaient pas, à mettre à l’écart de la Nation les Karen, les Shans, Chin d’Arakan et autres peuples non-bamars, l’ethnie dominante.
En fait, la politique de la junte a toujours eu pour but de « normaliser » la population d’un pays pluri-ethniques.

Le but final prêté aux militaires est de former un pays « purement birman »,
n’ayant qu’une seule langue et une seule religion

Quant au Christianisme il demeure une religion très minoritaire en Birmanie. Elle représente selon les statistiques quelques 5,6 cent de la population dont la liberté de culte avait été définie par le Constitution.

Le régime militaire instauré en 1962 avait déjà tous les aspects d’une dictature policière. Il y avait peu d’endroit – à l’exception des parcs de quelques ambassades – où l’on pouvait s’exprimer sans avoir la crainte – ou la certitude – d’avoir un policier dans le dos. Pourtant à distance, la première dictature, en dépit de ses rigueurs « surréalistes » - celle des années soixante à 80 - paraît avoir été un jardin d’enfants, maintenant que de plus jeunes officiers généraux, plus puissants, plus avides de pourvoir et de richesses, ont fait table rase dès 1988 de l’évolution inévitable du régime du général Ne Win vieillissant et malade vers une organisation économique plus clémente. S’étant emparé du pouvoir en septembre 1988 la génération suivante de généraux a restauré toutes les nationalisations et réglementations collectivistes de la première dictature, et invalidé les résultats des élections législatives de 1990 à l’issue desquelles, le parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie ou NLD, mené par Daw Aung San Suu Kyi, (actuellement captive ) avait remporté plus de 80 % de voix en sa faveur, à la surprise de la junte qui espérait légitimer ainsi son pouvoir.

Au cours de ces seize dernières années, les généraux de la nouvelle junte, (le SLORC – State Law Order Restauration Council – Conseil d’Etat pour la restauration de l’ordre de la Loi) ont été bien placés pour mettre leur pays en coupe réglée et s’emparer de toutes les branches des secteurs les plus riches comme les mines de Mogok où ils se partagent la production des rubis, des saphirs et des jades les plus beaux du monde, et également – au nom de l’Etat - tout le domaine pétrolier où est exploité un véritable pactole d’hydrocarbure et de gaz découvert en 2005. Cet immense potentiel vient s’ajouter aux gisements de pétrole déjà connus. Ce flux de nouvelles richesses provient des activités partagées avec des compagnies pétrolières française et américaine notamment, avec l’assistance technique d’ingénieurs russes et chinois.

Cette collaboration a déclenché, mollement, les critiques du monde occidental et celles du prix Nobel de la paix, Daw Aung San Suu Kyi dans une rare interview l’an dernier paru dans le quotidien italien « Unita », en dépit des restrictions imposées sur elle par la junte. Elle estime, entre autres choses, que la France, avec sa compagnie Total, occupée notamment à construire également un gazoduc commandité par le Slorc, néglige des initiatives qui seraient utiles à un processus démocratique en Birmanie ».

Non seulement les hydrocarbures… Au cours de ces seize dernières années la production d’opium en Birmanie a triplé, passant de 800 tonnes annuelles à 2 500, faisant de ce pays le premier producteur mondial de " poudre " Environ 70 % de l’héroïne saisie aux Etats-Unis provient de la zone birmane du Triangle d’or.

Sources : Informations et archives personnelles de BCB, The Guardian (UK), L’agence d’information birmane en exil, Top Chrétien francophone, CERI.

« Des symboles aux actes : pour la démocratie en Birmanie »
Par Jean-Louis Roy, président, Droits et Démocratie – Canada (*)

Demain, pendant que plusieurs d’entre nous, se rendront dans les magasins, pour y acheter des cadeaux et se préparer pour les Fêtes, Su Su Nway, 34 ans, vivant en Birmanie, passera la Journée internationale des droits de la personne à faire des préparatifs bien particuliers.

Son sac de voyage est rempli, elle est prête à partir n’importe quand. Elle emporte même l’uniforme qu’elle a dû porter lors de son récent séjour dans ce véritable enfer qu’est la prison d’Insein, à Rangoon. Elle a également mis dans ses bagages les médicaments dont elle a besoin en raison d’un trouble cardiaque, en espérant que les responsables de la prison ne les confisqueront pas comme ils l’ont fait la dernière fois.

Su Su Nway ignore à quel moment les soldats viendront la chercher à la ferme appartenant à sa famille, mais elle sera prête quand ils arriveront. Aucun mandat d’arrestation n’a été émis contre elle, et elle n’a été condamnée à aucune peine d’emprisonnement, mais de telles formalités juridiques ne sont pas nécessaires dans ce pays dont les dirigeants militaires s’arrogent le droit de décréter qu’une personne a trop parlé.

Et s’il y a quelque chose dont Su Su Nway peut être certaine, c’est que le régime n’aime pas la teneur des déclarations qu’elle a faites sur l’utilisation systématique du travail forcé par la junte militaire.

En mars 2004, Su Su Nway a décidé de se porter à la défense de la population de son village face aux pratiques des représentants de la junte militaire qui les avaient forcés, elle et d’autres villageois, à réparer une route sans être rémunérés. Malgré les risques de représailles et face à un système juridique notoirement corrompu, Su Su Nway a intenté une poursuite contre deux représentants du régime, lesquels ont reçu une sentence de huit mois de prison en vertu d’un décret non encore invoqué interdisant le travail forcé. La riposte du régime ne s’est pas faite attendre : de fausses accusations de diffamation ont été portées contre Su Su Nway, qui a écopé d’une sentence de 18 mois de prison. Après avoir passé neuf mois derrière les barreaux, elle a été libérée en juin dernier grâce aux pressions soutenues de la communauté internationale.

Droits et Démocratie a décerné à Su Su Nway son prix John-Humphrey pour la liberté 2006 en reconnaissance de sa lutte contre le travail forcé, de son courage et de sa détermination pour la défense des droits humains et de la démocratie en Birmanie
Depuis la répression meurtrière exercée par le régime militaire contre le mouvement démocratique de Birmanie, en 1988, les efforts du gouvernement canadien pour favoriser le retour de la démocratie dans ce pays on été largement symboliques comparativement à ceux d’autres gouvernements occidentaux. En effet, alors que des pays comme la Norvège, le Danemark, les États-Unis et l’Irlande apportent un soutien politique et financier essentiel au gouvernement en exil ainsi qu’aux autres institutions démocratiques birmanes, le Canada continue de faire des affaires avec le régime militaire.

Même si le Canada a pris quelques mesures contre la junte militaire dont la suspension de son aide publique au développement, l’imposition d’un embargo sur les exportations militaires et l’inscription de la Birmanie sur la liste des pays visées ; l’efficacité de ces politiques est compromise en bout de ligne, par le refus d’Ottawa d’interdire tout investissement en Birmanie.

Selon la Confédération syndicale internationale, 17 entreprises canadiennes exercent présentement leurs activités en Birmanie, dont Ivanhoe Mines et son projet Monywa Copper. Selon un rapport à paraître des Amis de la Terre Canada, ce projet est décrit comme un partenariat à parts égales avec le régime militaire. Il est responsable de la plus grande partie des 534 millions de dollars issus des investissements étrangers directs engrangés par les dirigeants militaires de Birmanie depuis 18 ans. De toute évidence, cette activité financière est vitale pour la survie du régime et garantit inévitablement la poursuite de ses activités, notamment la perpétuation du travail forcé et d’autres violations systématiques des droits humains.

En mai 2005, une majorité de députés siégeant à la Chambre des communes du Canada ont voté en faveur d’une motion demandant au gouvernement d’imposer des mesures économiques plus systématiques à l’encontre du régime militaire de Birmanie, entre autres l’arrêt des investissements canadiens dans ce pays. La motion pressait aussi le gouvernement de fournir un soutien tangible aux autorités légitimes de Birmanie, dont le gouvernement en exil. Seuls les libéraux, alors au pouvoir, ont voté contre la motion. Les Conservateurs, le Bloc québécois et le NPD l’ont tous appuyée.

Au bout de presque 11 mois à la tête du pays, le gouvernement conservateur n’a pas encore mis pleinement en œuvre la motion en faveur de laquelle il a voté, et que le Parlement du Canada a appuyée démocratiquement.

Su Su Nway est prête à aller en prison pour avoir défendu les libertés démocratiques dont notre Chambre des communes constitue l’incarnation. En mettant pleinement en application la motion sur la Birmanie, le gouvernement conservateur respecterait la volonté du Parlement et donnerait à Su Su Nway une raison de croire que les sacrifices qu’elle fait pour la démocratie en valent la peine.

(*) ont également signé la lettre :

Deborah Bourque, présidente nationale, Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), Claudette Carbonneau, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Dave Coles, président, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), Buzz Hargrove, président national, Syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), Kenneth V. Georgetti, président, Congrès du travail du Canada (CTC), John Gordon, président du Fonds de justice sociale et président national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC),
Henri Massé, président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)