Accueil > Nouvelles de Cancun ( 4 ) - Raoul Marc JENNAR

Nouvelles de Cancun ( 4 ) - Raoul Marc JENNAR

Publie le mardi 16 septembre 2003 par Open-Publishing

Vu ici : http://www.legrandsoir.info

12 septembre 2003

Voici quelques nouvelles du "off", l’autre Cancun.

Grâce à Rachelle Gascoin, qui travaille avec Agnès Bertrand à l’Institut pour la Relocalisation de l’Economie (Sauve, Gard, France) et à Julie Clerc, rencontrée à Cancun, l’ URFIG est en mesure de partager avec ses correspondant(e)s quelques éclairages sur ce qui se passe en ville. Là où la vie n’est pas rythmée par les séances de travail des négociateurs et les "workshops" des ONG.

De Cancun ciudad, au km.

Nous nous sommes rencontrées à Cancun alors que nous habitons à une dizaine de km l’une de l’autre en France et avons décidé de rédiger ensemble quelques notes, si possible tous les jours, et de vous les livrer. Nous vivons cette contre-ministérielle par petites touches, tant les forums sont nombreux, ponctués d’actions de rues. Rien d’exhaustif donc. Juste les compte-rendus de ce à quoi il nous est physiquement possible d’assister.

Mercredi 10 septembre :

Marche internationale des paysans pour les droits des paysans et la souveraineté alimentaire. Début de journée : prises de paroles qui précèdent la marche. Salle plénière de la Casa de la Cultura.

Vandana Shiva, met l’accent sur la supercherie que représentent les brevets : "utilisés par les pirates et les voleurs, ils sont créés sous couvert d’amélioration des semences". Elle évoque la nécessité de la réappropriation des semences et de l’agriculture par les paysans afin de mettre hors jeu les lois de l’OMC.Un représentant des paysans coréens, évoque la crise que les paysans de son pays traversent depuis 10 ans. Il rappelle que l’ouverture des marchés agricoles et la baisse des prix restent un problème commun à toutes les paysanneries du monde.

Paul Nicholson : dans la lutte menée par Via Campesina, les peuples indigènes ont une place prépondérante. Ils apportent une force de proposition et une façon de penser radicalement différente. Leur sens de l’éthique, de l’écologie, de l’usage de la terre et des ressources naturelles s’affronte directement avec la logique libérale.

Ces populations apportent à Via Campesina des idées et des stratégies indispensables à l’organisation. C’est notamment à la suite de réflexions menées avec les peuples indigènes que Via Campesina a investi le thème des semences comme patrimoine de l’Humanité. "Nous avons compris que les semences appartiennent aux populations paysannes, mais sont au service de la communauté toute entière". "Fuera la OMC de la agricultura" "Sortons l’agriculture de l’OMC", thème central de cette marche internationale des paysans.

Le cortège de plusieurs milliers de personnes, composé principalement de paysans mexicains venus de différents Etats du pays (Chiapas, Oaxaca, Mexico, Quintana Roo,...) accompagnés par des étudiants et des militants anti-globalisation du monde entier s’est dirigé vers le km 0, entrée de la zone hôtelière de Cancun qui abrite pour 5 jours la 5e conférence ministérielle de l’OMC. Les slogans et banderoles : "En avant, que la lutte soit constante", "Les peuples indigènes sont l’espoir de l’humanité" (EZLN), "Transnationales, hors de l’agriculture", "Le dieu de la lune Chac est en colère contre l’OMC qui privatise l’eau", "El pueblo unido, jamas sera vencido", "Vive Zapata, la lucha signe",...

Marche tranquille qui semble suivre le mot d’ordre des portes parole : calme et ordre. A l’arrivée devant les grilles, la quasi totalité des paysans mexicains, en tête de cortège durant toute la manifestation, s’alignent en différentes files, alors que militants, étudiants et d’autres paysans (coréens notamment) démantèlent les grilles. Le mouvement de foule (qui durera plus de 2 heures) ouvre une brèche, rapidement "colmatée" par les forces de police.

Raphaël Alegria (Via Campesina) appelle au calme : "nos ennemis ne sont pas les policiers mais bien le libéralisme et le capitalisme sauvage. Nous manifestons ici de manière pacifique, nous avons la raison avec nous. Que tout le monde se calme, nous avons un accord avec la police pour passer de l’autre coté". La manifestation tente son "droit de passage", qu’elle n’ obtient finalement pas. Prises de paroles en fin de manifestation : Raphaël Alegria (Via Campesina) : "La manifestation fut un triomphe. Pourtant, la situation est difficile, parce que Paul Nicholson est à l’hôpital après avoir reçu un coup sur la tête. Un paysan coréen s’est immolé et est actuellement entre la vie et la mort. C’est un signe symbolique que l’OMC assassine des femmes, des paysans et des indigènes. Nous venons d’assister à un assassinat de plus."

François Dufour (Confédération Paysanne) : "Nous devons continuer à défendre les semences des paysans qui constituent la richesse de l’agriculture. Sur les 22 pays en lutte, le Chili, le Mexique, la Colombie et le Costa Rica sont en train de se désolidariser. Nous devons faire pression pour qu’ils résistent aux multinationales européennes et américaines.

Aujourd’hui, nous allons gagner parce que de nombreux citoyens sont avec nous, les paysans. Nous allons détruire l’OMC".- UNORCA (Union Nationale des Organisations Régionales Campesinas Autonomes) : "L’OMC veut nous confisquer les forêts, l’eau et les semences. Nous allons lutter pour que tout cela reste le patrimoine de tous. Nous voulons que les politiques internationales soient guidées par le principe de solidarité, pas par celui du commerce".

Jeudi 11 septembre :

Tout d’abord, un petit retour en arrière sur la marche du 10 et le suicide de Monsieur Lee qui nous a tous laissés le soir-même sans voix, sans mots, choqués. Il y a l’immense tristesse, qui s’abat lorsqu’on touche de près une réalité qui nous était, somme toute, assez lointaine car très peu ancrée dans notre quotidien occidental. Cette réalité entre soudainement dans nos vies et on reste là, abasourdis. Il y a aussi la colère, face à cet acte de désespoir, dont on ne peut s’empêcher de se dire qu’il aurait pu être évité, dont on identifie clairement la cause.

Mais malgré tout le sentiment, peut-être renforcé, que nous ne sommes pas impuissants face à cette énorme machine qui broie les droits humains jusqu’aux plus élémentaires.

10h - Forum international des maquiladoras - Casa de la Cultura. Des représentants d’organisations de défense des travailleurs de maquiladoras (entreprises principalement nord-américaines implantées dans la zone franche qui longe la frontière Mexique / Etats-Unis) s’expriment : les maquiladoras sont des zones de non-droit qui laissent le champ libre aux lois dictées par l’administration des entreprises. Heures de travail, pauses et salaires ne répondent à aucune norme, toute contestation d’un employé est réprimée et immédiatement suivie de sanctions, le plus souvent une expulsion.

Du coté nord-américain, un représentant de l’Union des Travailleurs du Sud-Ouest (Texas) dénonce des conditions de travail proches de l’esclavage et rappelle que les travailleurs latino-américains sont le plus souvent illégaux. "Comment se fait-il que les humains n’ont pas le droit de traverser les frontières alors que le commerce ne connaît plus aucun obstacle ?".Les voix qui s’élèvent des maquiladoras sont encore peu entendues. La zone forme un îlot coupé du reste du monde.

Le gouvernement mexicain, quant à lui, défend les violations de droits perpétrées par les entreprises.

13h - Cérémonie en hommage à Lee Kyung Hae, président d’une organisation paysanne en Corée du sud et membre de la délégation des paysans coréens à Cancun.Une marche paysanne d’environ 300 personnes se rend au km 0, précédée d’une camionnette de fleurs. Les militants bloquent le rond-point et laissent place au cortège qui va se recueillir devant l’autel improvisé. La cérémonie qui suit est très émouvante, les témoignages empreints de beaucoup de dignité. "Le suicide de Monsieur Lee symbolise le désespoir de milliers de paysans que l’OMC ne veut pas entendre".

Cette journée de deuil sera ponctuée jusqu’au soir de recueillements auxquels se joint l’ensemble des militants "globalifóbicos". Entre temps, le campement coréen, installé la nuit précédente au km 0, est renforcé par les tentes de compañeros de toutes nationalités. Les forces de police mexicaines ont doublé, renforcés et repoussé les barrières 150 mètres plus loin. L’accès à la zone hôtelière est maintenant coupé... jusqu’à nouvel ordre.

14h - Rencontre : Zapatisme et résistance globale - Carpa de la juventud (village étudiant) Ce sont les "Jovenes en Resistancia Alternativa" (Jeunes en Résistance Alternative) qui animent le débat. Ils insistent sur la dimension horizontale et non hiérarchique du mouvement zapatiste. L’assistance, essentiellement composée de jeunes, est constituée en groupes de travail, des traducteurs se proposent, tous s’assoient par terre."Stopper les souffrances imposées par les logiques économiques internationales relève de notre volonté à tous de nous autogérer. Nous ne pouvons pas espérer que la solution provienne de ceux-là mêmes - les gouvernements - qui ont causéles tragédies. Nous devons dépasser l’égocentrisme pour entrer dans un processus collectif".

Le village étudiant est studieux, attentif, les yeux pétillent. De jeunes gens italiens, espagnols, mexicains, nord-américains témoignent de la façon dont ils ont traduit le zapatisme dans leur propre pays et dans leurs luttes respectives. Tous cherchent à définir une cohésion internationale de la résistance et à intégrer dans leur univers, souvent en milieu urbain, cet ancien mouvement dont ils se sont appropriés la genèse.

Rachelle Gascoin et Julie Clerc.

Raoul Marc JENNAR

chercheur auprès d’ Oxfam Solidarité (Bruxelles) et de l’ URFIG (Paris-Mosset)

http://www.urfig.org