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Pauvreté, une notion relative

Publie le lundi 9 février 2004 par Open-Publishing

Les pauvres d’aujourd’hui n’ont que peu de points communs avec ceux d’il
y a cinquante ans. Tout comme les pauvres en France n’ont rien à voir
avec ceux du tiers-monde. Ils n’en sont pas moins marginalisés.

Il y a cinquante ans, le fantastique abbé Pierre entrait en résistance
contre la misère et, fort de sa seule conviction, entraînait derrière
lui les foules dans une véritable croisade de la générosité et de la
solidarité. La semaine dernière, il a renouvelé son appel place du
Trocadéro et à l’Elysée. Les politiques - qui s’étaient fait tirer
l’oreille en 1954 - ont, cette fois, organisé l’accueil de la
personnalité la plus célèbre de France : réception standardisée et
savamment médiatisée. La France entière s’est à nouveau attendrie. Mais
personne ne s’est précipité pour aller chercher un pauvre dans la rue et
le ramener chez lui. Il est vrai que la période n’a rien de comparable.

De « rien » à « trop peu »

En 1954, neuf ans après la fin de la guerre, il manquait en France
quatre millions de logements. Chacun faisait donc comme il pouvait entre
bidonvilles et surpeuplement des appartements. Dans une France de moins
de quarante-trois millions d’habitants, quinze millions s’entassaient
dans des locaux inadaptés. 40 % de la population n’avait pas l’eau
courante et 75 % pas de WC intérieurs.
Aujourd’hui, le rapport sur le « mal-logement », présenté lundi dernier,
souligne les difficultés d’accès au logement rencontrées par les
salariés précaires et modestes, qui gagnent entre 1 000 et 1 200 euros
par mois. Il n’y a plus en France « que » (même si c’est toujours trop)
86 500 sans domicile fixe (SDF), dont une petite partie a choisi cette « 
liberté ».
La grande majorité de la population française est désormais plutôt bien
logée, après qu’un effort de construction considérable eut été déployé
entre 1954 et 1980. Et les appartements vides sont actuellement légion
Ce qui rend d’autant plus inacceptables certaines situations qui
offensent le nouveau « droit au logement », désormais reconnu par la
mauvaise conscience de la « confortable » société française qui s’est
dotée d’un arsenal d’allocations et d’aides sociales en tous genres.

Précarité et loi du marché

L’inacceptable aujourd’hui c’est que, dans une société qui se précarise,
les bailleurs, souvent échaudés par des abus constatés et un risque
important d’impayés, ne louent que bardés de garanties et de cautions.
Et c’est cela qui exclut du logement non seulement les personnes en
situation irrégulière, mais également les 30 % de SDF qui travaillent,
les intérimaires, les petits boulots et même les salariés modestes.
L’emballement de la dérive libérale et de la loi du marché qui fait
s’envoler les loyers, fait le reste.
Il suffirait en fait de peu de chose pour régler le problème du
mal-logement en France : soit que le gouvernement se donne les moyens de
garantir les loyers des bailleurs privés, soit qu’il lance la
construction de 600 000 logements bon marché destinés aux ménages les
plus modestes.
La décision n’est pas prise. Du coup les derniers chiffres font état de
41 000 personnes vivant sous des tentes, dans des caravanes ou des
constructions précaires, 50 000 habitant dans des chambres d’hôtel, 100
000 hébergées par des proches, 500 000 dans des meublés Rien à voir
cependant avec le complet dénuement dans lequel se trouvait un Français
sur trois dans l’après-guerre.

Générosité défiscalisée

C’est sans doute ce qui explique que la générosité ait changé de nature.
Lors de l’hiver 1954, alors que la France grelottait, qu’un bébé et une
femme venaient de mourir de froid, ceux qui avaient un toit s’étaient
largement mobilisés pour héberger ceux qui n’en avaient pas. Ce fut un
grand élan de solidarité.
Aujourd’hui l’individualisme gagne du terrain. La générosité s’est
aseptisée, dépersonnalisée, professionnalisée. Les Français les plus
généreux se donnent bonne conscience en envoyant un chèque à une des
nombreuses associations qui constituent désormais le charity-business et
qui se développent à grands coups de campagnes de sensibilisation
marketing, quand ce n’est pas de publicité. Dans ce cadre, les bénévoles
se font malheureusement trop rares et les salariés de plus en plus
nombreux. La générosité défiscalisée a largement pris le pas sur la
solidarité.

Autre temps, autres pauvres, autres moeurs.

Progrès de Lyon