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Pourquoi un collectif des « profs indigènes » ?

Publie le vendredi 17 juin 2005 par Open-Publishing
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Nous sommes des professeurs du primaire et du secondaire,
signataires de l’Appel des indigènes de la République : nous partageons
donc le constat d’une persistance des discriminations sociales,
culturelles, économiques et juridiques subies au premier chef par les
personnes issues de la colonisation, de la Traite négrière et de
l’immigration postcoloniale.

Il s’agit d’affirmer que le racisme qui touche ces populations ne
relève pas d’une « peur de l’autre » inscrite dans la « nature
humaine », mais a des causes historiques et politiques déterminées. Il
s’agit de comprendre que le fait colonial a contribué à fabriquer la
« République française » : l’Etat français est postcolonial parce qu’il a
reçu entre autres héritages celui de la colonisation.

La solution au problème des discriminations n’est donc pas morale
mais avant tout politique : les appels au « civisme », au « respect » et
les « touche pas à mon pote » resteront voux pieux tant que nous ne nous
attèlerons pas à une véritable décolonisation des esprits et des
institutions de la République. Nous contestons aussi l’injonction à
l’ « intégration » comme relevant de cette même logique postcoloniale et,
en retour, nous clamons : « première, deuxième, troisième
génération, on s’en fout, on est chez nous ». L’identité politique
d’ « indigènes de la République » revendiquée par les signataires de
l’appel nous semble à ce titre pertinente, car elle signifie d’abord et
avant tout que, comme au temps des colonies, l’Etat de Droit proclamé par
la République française continue d’entretenir les exceptions à la règle en
« indigénisant » les plus démunis de ses citoyens et, plus largement, de
ceux qui vivent sur son sol. Se dire « indigène de la République », c’est
constater la contradiction entre les principes et la réalité, et
revendiquer l’égalité réelle.

Notre collectif a pour objet de décliner cette analyse et d’agir au
sein de l’Ecole de la République ; notre cri spécifique est donc : nous
sommes les « indigènes de l’Ecole de la République » !

Notre collectif ne rassemble pas spécifiquement des professeurs
issus de l’immigration : il rassemble d’abord des professeurs conscients
de cette réalité et revendiquant une école véritablement égalitaire. Nous
nous intéresserons bien sûr aux personnels les plus précaires dans notre
institution : vacataires, contractuels, atoss, stagiaires,
surveillants, aides éducateurs, assistants d’éducation (avec ce constat
que, dans la plupart de ces catégories, beaucoup sont issus de
l’immigration postcoloniale et de la Traite). Mais les indigènes de
l’école de la République, ce sont avant tout les élèves.

Les élèves qui sont :

 indigénisés parce que scolarisés dans les écoles, collèges et
lycées des quartiers défavorisés des grandes villes, des zones rurales, ou
encore dans des « classes ghettos », et qu’à ce titre ne leur sont pas
garantis les moyens d’accéder à une éducation à la hauteur de toutes les
vocations et à la mesure de tous les goûts ; à une éducation qui ouvrirait
véritablement sur des diplômes et des compétences reconnues dans la
société et qui ne se contenterait pas de valider une
reproduction sociale plus qu’inique ; à une éducation qui donnerait des
savoirs, des outils critiques, des armes pour comprendre et transformer le
monde. Nous ne voulons pas former des sujets dociles. Nous
revendiquons « le meilleur pour tous ».

 indigénisés parce que traités en « sauvageons », en « enfants
loups », en « nouveaux barbares », en « racailles » alors que ce sont eux
qui subissent de plein fouet la violence des institutions et des
inégalités de la société. Nous n’avons ni le pouvoir ni l’envie de
pacifier des situations qui s’enracinent dans une profonde injustice
sociale. Nous constatons « pas de justice, pas de paix ».

 indigénisés parce que « mineurs », ayant droit à un simulacre de
vie citoyenne lycéenne, ils sont délégitimés, infantilisés voire
criminalisés dès qu’ils prennent la parole et la rue et luttent pour leur
droit à l’éducation. Avec eux nous disons « non à la répression du
mouvement lycéen ».

 indigénisés parce que sans papiers, ils vivent dans le secret, la
honte, l’incertitude et la peur. Dans la situation actuelle, il faut
d’importantes mobilisations pour qu’ils obtiennent dans le meilleur des
cas un titre de séjour de courte durée, dont le renouvellement est loin
d’être assuré et qui ne leur donne pas le droit de travailler pour
financer leurs études. Nous revendiquons le plein droit à une carte de
résident pour tous les élèves étrangers. Avec eux nous disons « un
enfant = un élève, des papiers pour chaque élève ».

 indigénisés en tant que « fils et filles de personne » : leurs
parents sont niés par l’institution scolaire. Des obstacles multiples
comme celui de la langue et de l’opacité de l’institution scolaire
écartent les parents étrangers du dialogue avec le corps enseignant, de
l’accès à l’information et du conseil pour l’orientation. Leur capacité à
être des parents à part entière est mise en cause (on les présume trop
souvent « parents démissionnaires »). Nous constatons également que les
parents issus de l’immigration postcoloniale sont sous représentés dans
les organisations de parents d’élèves. Avec eux nous réclamons la parole
et la reconnaissance.

 indigénisés car perçus comme une masse à civiliser. Jules Ferry,
l’auteur des grandes lois scolaires de 1881-1882 prétendait dans un même
élan « civiliser » les « races inférieures » et « moraliser » les
enfants des « classes inférieures ». En un temps où les policiers sont les
bienvenus dans les établissements scolaires, où le lyrisme de
l’autorité banalise l’idée méprisante selon laquelle face à des élèves
ignorants de tout et dangereux, des maîtres omniscients doivent remplir
leur rôle civilisateur, nous voulons opérer un retour critique sur la
mission scolaire et lutter contre le mépris des élèves. Ce mépris qui
existe à l’égard de la jeunesse est redoublé à l’égard des élèves issus de
l’immigration postcoloniale et de la Traite : le corps enseignant et les
acteurs du système éducatif n’échappent pas aux représentations héritées
du colonialisme, perpétuant ainsi des logiques d’un autre temps dans le
rapport à l’élève indigène.

C’est bien, par exemple, le mépris de l’identité des descendants de
la colonisation qu’illustre la loi sur l’enseignement de l’ouvre
positive de la France outre-mer, et bien souvent aussi les programmes
scolaires, comme en témoigne la trop faible part accordée à l’histoire de
l’esclavage, à l’histoire de l’immigration et à l’histoire de la
colonisation. Cette loi constitue d’ailleurs aussi une marque de mépris
pour tous les élèves et les professeurs puisqu’elle impose une
conception idéologique de la France comme puissance civilisatrice au
détriment d’une histoire critique ou dialectique. Nous réclamons toute
l’histoire de toutes et de tous.

 indigénisés enfin en tant qu’ « islamistes », assimilés à une
« cinquième colonne » complotant contre la République. La stigmatisation
des musulmans et l’islamophobie ont trouvé leur expression dans l’espace
scolaire sous la forme de la loi anti-foulard. Là aussi, c’est le mépris
qui autorise à exclure des jeunes filles qui portent le foulard, en les
privant d’école et en définissant à leur place ce qu’est leur bien et ce
en quoi consiste leur émancipation. Avec les filles voilées, nous
réclamons l’école pour toutes et tous et nous disons : « école
publique, choisis pas ton public ».

Il est dit dans le premier article de la loi d’orientation de 1989 que
« l’école de la Nation ne peut pas tolérer que l’offre de formation, la
qualité des maîtres, les modes d’accès aux savoirs ne soient pas les mêmes
pour tous ». L’école républicaine vise donc l’égalité pour tout élève quel
que soit l’établissement qu’il fréquente. Ce qui implique aussi son
origine sociale, ethnique, son quartier d’habitat. Pourtant, toutes les
enquêtes sociologiques montrent qu’aujourd’hui encore le milieu
socio-économique reste l’un des principaux facteurs qui
influencent la performance des élèves. Avec tous les professeurs en lutte,
nous disons : « Dans tous les quartiers, dans toutes les régions, un même
droit à l’éducation. »

Nous pensons que l’héritage colonial et le mépris qu’il entretient est un
des facteurs explicatifs de la perpétuation de cette injustice
scolaire. Contre ce mépris, nous disons que l’élève n’est ni un bon, ni un
mauvais sauvage, ni une menace, ni une pâte à modeler, mais une personne
avec une histoire, un parcours , un savoir et une capacité politique qu’il
faut prendre en considération. Nous demandons
l’abrogation des dernières lois violentes, arrogantes et injustes qui
viennent d’affecter l’espace scolaire, et l’ouverture d’un débat
cathartique et constructif sur l’ensemble de ces problématiques.

La tâche est immense, il faut que nous soyons les plus nombreux
possibles à nous en saisir. Nous appelons donc tous les acteurs du système
scolaire, professeurs, CPE, surveillants, assistants
d’éducation, ATOSS, élèves, parents, à nous rejoindre ou à fonder leurs
propres collectifs d’indigènes de l’éducation nationale.

Contact : lesprofsindigenes@hotmail.fr

Messages

  • Les auteurs évoquent des "classes-ghetto".

    Pour les enseignants qui rejettent les thèses du FN, et qui sont bien plus de95 %, une classe-ghetto n’est pas une classe où il y a une proportion supérieure à la moyenne d’élèves issus d’ethnies étrangères. Une classe-ghetto est une classe où il n’est pas possible de mener un programme défini nationalement : c’est le même à Henri IV où à la Courneuve. Pourquoi cela ?
    Parce que les élèves passent pratiquement mécaniquement d’une classe à l’autre, quel que soit leur niveau. Parce que la "négociation" avec les petits caïds est permanente et consomme l’essentiel du temps d’enseignement. Parce que la culture consumériste ne touche les populations "défavorisées" pas moins que celles qui ont les moyens de consommer. Chaque année, arrivent dans les "classes-ghetto" de nouveaux enseignants venus de tous le pays. La très grande majorité demande dès que possible une mutation vers des classes que nos "profs indigènes" n’appelleront pas classes-ghetto.

    Vouloir exercer son métier sans être interrompu toutes les deux minutes, c’est à n’en pas douter, "une représentation héritée du colonialisme", c’est être un "prof omniscient"...
    Vouloir sauvegarder la laïcité de plus en plus attaquée, c’est manifester son "mépris à exclure"...

    Essayez d’oublier l’invective, lâchez le victimisme, mais pas les combats qui méritent d’être menés, comme celui contre la loi du 23 février 2005.

    Un professeur d’origine étrangère, mais qui ne se reconnaît pas dans les inepties de l’article ci-dessus.