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Projection et débat "Carlo Giuliani, ragazzo"

Publie le jeudi 26 juin 2003 par Open-Publishing

Avec le Collectif Bellaciao, nouveau débat jeudi 26 juin
après la seance de 19.15 à l’Espace Saint Michel

S’IL VOUS PLAÎT
Par la maman de Carlo



J’ai participé à la grande manifestation contre les 8 Grands,
barricadés à Evian, et tout ce qu’ils représentent de négatif.

J’ai marché dans le cortège qui a atteint la frontière avec
Genève, colorié, bruyant, aussi déterminé que pacifique, varié :
au début je l’ai regardé défiler un moment, environ une heure,
après je me suis mise entre les Désobéissants et un groupe tout
habillé en noir, avec les visages couverts et un air dangereux ;
une partie avaient des drapeaux rouges et noirs, une autre seulement
noirs, quelques mots en allemands marqués en blanc. Black Block,
j’ai pensé naturellement, il vaut mieux les surveiller.

Le groupe a fait tout le parcours (comme les autres), avec ses
propres slogans (comme le faisaient les autres), en criant,
en sautant, en un mot : en manifestant.

Quand la rumeur du jeune tombé d’un pont a commencé à circuler,
pendant qu’il essayait de fixer un calicot de protestation,
parce que quelqu’un avait pensé couper la corde qui le tenait
- et au début on disait qu’il était mort - le groupe noir s’est
beaucoup énervé (comme les autres) et a crié plus fort (comme
tout le monde).

Ils n’ont pas cassé des têtes et des dents, je veux dire, ils
n’ont pas coupé de cordes.

Pendant que nous étions à la frontière, quelqu’un sur le viaduc,
d’autres en bas, d’autres dans les pelouses tout autour, la
nouvelle est arrivée comme quoi la police était en train d’encercler
le camping de Lausanne et que beaucoup de manifestants avaient
déjà été arrêtés : les avocats de la Legal Team présents sont
partis aussitôt, sans penser à la fatigue, la chaleur, la distance.


Je suis rentré à la Maison des Associations avec quelques Désobéissants,
en commentant positivement la présence dans le cortège de ce
groupe noir et l’absence de provocations ; en commentant négativement
le fait que, comme à Gênes, la police n’avait pas arrêté ceux
qui dans la nuit avaient cassé des vitrines et allumé le feu
alors que maintenant elle attaquait les manifestants.

Les avocats ont eu un après-midi de travail très intense mais
quand ils sont rentrés à Genève, le soir, presque tous les interpellés
avaient été relâchés.

A ce point-là nous avions faim et étions vraiment fatigués :
il y en avait qui n’avaient pas dormi du tout pendant la nuit
d’avant pour participer aux blocages des voies d’accès à Evian
et les feux qui avaient "incendié" joyeusement le lac. Mais
la nouvelle est arrivée comme quoi la police, s’opposant déjà
à certains groupes de casseurs, était allée au Media Center,
deux rues plus loin, et était en train d’y entrer, on ne comprenait
pas pour quelle raison.

Nous y sommes allés de suite : forces de l’ordre en tenue anti-émeute
rangés en carré sur le carrefour, lacrymogènes CS, blindés.
Les avocats, avec le bandeau de la Legal Team, ont été laissés
passer ; j’ai essayé de les suivre, mais une voix au-delà du
casque, le masque et d’une hauteur de deux mètres m’a arrêtée :


"S’il vous plaît !"


Et oui, - j’ai pensé - la célèbre politesse suisse, mais après
ils te massacrent pareil.

Une fois récupéré un bandeau de la Legal Team, j’ai rejoint
les copains en même temps que plusieurs journalistes et photographes
arrivaient : devant l’entrée du Media Center il y avait d’autres
camionnettes, un autre rangée de policiers.

Vraiment on avait l’impression de revoir en petit les images

prises devant l’école Diaz de Gênes, il y a presque deux ans :
la situation, la puanteur du gaz ; un type costaud en habit civil,
chauve et avec un petit masque ridicule qui lui couvrait le
nez et la bouche, qui s’agitait chaque fois que la porte s’entrouvrait,
et il n’inspirait certainement pas confiance.

J’ai essayé de me faufiler en profitant de la confusion mais
une mais énorme avec un gant s’est placée devant moi, sans me
toucher :

"S’il vous plaît !"

Quand les jeunes ont commencé à sortir un par un, relâchés,
après presque une heure, aucun d’entre eux était blessé ; mis
à part un camarade d’Indymedia, que nous avons rencontré à l’étage
- après que la police était enfin partie - et qui perdait du
sang de la tête à cause d’un coup reçu au moment de l’irruption,
personne n’avait été maltraité, insulté, humilié. Certes, nous
n’aurions pas voulu voir la moindre blessure, mais qu’était-ce
par rapport à ce que l’on craignait ?

A l’intérieur tout était en ordre : accessoires, bibelots, ordinateurs,
vidéos, instruments différents. Hormis l’absurdité de cette
"visite", hormis l’arrogance avec laquelle on continuait à chercher
des terroristes ou on ne sait quelles preuves d’éversion à l’intérieur
du Mouvement, le comportement des forces de l’ordre était resté
dans les limites du correct.

"Hautement professionnelle", l’a défini un camarade avocat,
épuisé, à la sortie "même si on ne comprends pas pourquoi d’abord
ils menacent d’arrêter tout le monde et après ils terminent
la choses en quelques heures : ça fait une journée qu’ils nous
font courir, on dirait une guerre de nerfs."

J’ai quitté Genève après minuit ; dans quelques rues il y avait
encore quelqu’un qui cassait des vitres ou allumait le feu aux
bancs dans les jardins : je crois que cela n’avait rien à voir
avec la protestation, plutôt avec le manque d’instruments, d’expression,
de culture.

De qui est la responsabilité ?

La maman de Carlo

Photo Roberto 26.06.2003
Collectif Bellaciao