Accueil > Prosper Môquet : au nom du père (video)
Prosper Môquet : au nom du père (video)
Publie le mardi 23 octobre 2007 par Open-Publishing1 commentaire

de Michel Etiévent, écrivain (*).
Il y a l’image du père, forcément. Ses mots, ses cris. Ses espoirs de bout de table, rue Baron, à Paris dans le 17e, là où il a loué un minuscule appartement dans ce quartier populaire des Épinettes. Guy écoute. Et Prosper raconte. Il dit à l’enfant son chemin qui s’ouvre comme une adolescence volée dans les boues des tranchées de 1914.
Parce qu’il est allé à la guerre, le père. Il en a même rapporté cette cicatrice affreuse que lui a tracée l’obus du Chemin des Dames. C’était en 1917, du côté de Fère-en-Tardenois, quand la pluie du phosphore brûlait les corps des hommes. De ces tranchées, le père a ramené aussi des idées. Ce dégoût de la guerre, de ce capitalisme qui l’enfante, comme la nuée, disait Jaurès, porte l’orage. Viendra l’engagement dans la jeunesse de la SFIO, l’entrée en CGT comme on entre en vie et en lutte, un jour de 1919, quand il s’embauche aux rails, gare des Batignolles.
Il racontera à Guy, Prosper, ces nuits passées à rouler le tract pour que fécondent les grèves parisiennes, ces coups reçus au hasard des sorties d’usines de Pantin quand l’armée vient au secours des patrons. Il dira aussi son engagement au PCF dès le congrès de Tours, son sentier de jeune militant barrant la route aux convois armés qui prennent le chemin de la guerre du Rif au Maroc. Forcément, le 34, rue Baron, s’emplira de ces espérances chuchotées au fond de la cellule du 17e que le père anime dans ce quartier où se croisent l’espoir des galochiers de la rue Berzélius ou les cris de misère des chiffonniers de la rue Legendre.
C’est un petit peuple des faubourgs que Guy croise tous les jours au retour de sa petite école des Épinettes. Et ce peuple grogne qu’il faudrait bien changer les choses, s’unir parce que déjà s’entendent les cris de la bête immonde. Le père lui, grimpe en responsabilité syndicale. En 1927, il est secrétaire de la fédération des cheminots CGTU et, avec d’autres, part pour ces chemins de France où il s’agira de rassembler face au fascisme montant.
« Militant ambulant », voilà ce que fut Prosper aux côtés des Ambroise Croizat ou des Marcel Paul qui, eux aussi, valises de VO (1) en main, courent les chemins d’usines entre geôles de passage et grève sur le tas. Vient 1936, le militant cheminot arrache le poste de député du 17e, circonscription des Épinettes. Il l’enlève à la droite locale comme 71 autres députés communistes à Paris ou en province. Et le père emmène l’enfant au coeur des usines, là où il faut aider, organiser les cahiers de revendications, imposer les conventions collectives que vient d’obtenir le Front populaire.
On fait la fête forcément au 34 de la rue Baron. On parle enfin de pain, de paix, de liberté. On chuchote congés payés, salaires multipliés par quatre, dignité des conditions de travail. Et l’enfant grandit dans ces mots nouveaux qu’il va à son tour décliner. Il apprendra vite, le petit Guy. Dans les Pionniers tout d’abord, au sein de la Jeunesse communiste ensuite. Son chemin fécondera entre les solidarités tardives qu’il anime dans le quartier, les Avant-Garde glissés sous les portes du boulevard Bessières ou de la rue Cardinet.
On le voit partout, Guy. Il a maintenant quitté le sillage de Prosper pour accueillir les réfugiés espagnols sur les quais de la gare de Lyon, pour lever le drapeau des ouvriers de Lavalette à Saint- Ouen, pour défendre, au hasard des cours de récré du lycée Carnot, les petits juifs qui courbent déjà sous les insultes des beaux enfants de la plaine Monceau. Parfois, il court au palais Bourbon écouter le père. Ce père qui, à la tribune, tonne contre ceux qui oublient l’Espagne républicaine ou pensent déjà aux revanches sur le bel été de mai. Parce que l’orage viendra.
L’année 1939 sera sombre. Le père entôlé à la Santé avec d’autres députés communistes, l’Allemand qui piétine aux frontières et ce cri qui monte : « Plutôt Hitler que le front populaire ! » Le père commencera son calvaire, 17 prisons avant le bagne d’Alger, l’antichambre de Cayenne. Alors l’enfant prendra naturellement le relais de la dignité. « Mon père est embastillé, dira-t-il, c’est mon devoir de continuer son chemin. » Cette route passera par les nuits folles de la résistance communiste, ces tracts jetés au coeur des cinés de la rue Balagny, ces mots d’espoir balancés au fil des marchés de Saint-Ouen. En vélo, musette plaquée au ventre et les tracts qui volent : « Pétain ment ! » « Résiste ! » « Ne plie pas ! » La leçon du père…
Un jour, à la gare l’Est, on lui passera les menottes, on le battra, on tentera de lui extorquer des noms : « Dis-nous qui sont les amis de ton père et tu es libre ! » C’est une voix de milice qui crie. L’enfant répondra tranquille : « Les amis de mon père ce sont tous les braves gens qui l’ont élu en 1936 et que vous bafouez ! » Il sera de nouveau roué, déporté vers Châteaubriant, ce vivier d’otages qu’il suffira de cueillir. C’est là qu’il va mourir. C’est là qu’il va laisser les plus belles lettres au père : « À toi, petit papa, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre le chemin que tu m’as tracé. » Il y aura l’éblouissement. Les dix balles au coeur du jeune communiste. Au feu et aux nuits des maquis, son nom, bientôt sera un drapeau.
(*) Auteur de : Guy Môquet : « J’aurais voulu vivre ». Éditions Gap.(1) La Vie ouvrière, journal de la CGT.
http://www.humanite.fr/2007-10-22_P...
René Balme s’entretient avec Michel Etiévent à propos de la publication de son ouvrage sur Guy Môquet
Messages
1. Prosper Môquet : au nom du père (video), 27 octobre 2007, 21:36
Bravo michel pour ton travail sur Guy Môquet . Je t’ai connu sur une colo ccas un été 93 dans l’isère et tu n’a pas changé . Tu es toujours aussi sympathique et humain encore bravo à toi .
André , coco de l’Ardèche