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Quand Alice et Pierre rencontrent Robin des Bois...

Publie le vendredi 25 juin 2004 par Open-Publishing


de Mina
Kaci


Dans le cadre de la mobilisation contre la privatisation, des agents de l’entreprise
nationale se sont associés à l’opération consistant à rétablir l’électricité aux
familles démunies.

Derrière la porte, au dernier étage de l’immeuble, une voix féminine s’enquiert
 : " Qui est-ce ? " " C’est EDF ", répond-t-on de ce côté-ci. Sans hésiter, la
femme ouvre à l’agent. Que lui veut-il encore celui-là, alors que la veille un
autre collègue s’était déjà déplacé pour couper le courant ? Elle l’écoute, ébahie. " Dans
le cadre de l’action contre la privatisation de notre entreprise, je viens vous
rétablir l’électricité ", lui explique le salarié d’EDF, avant de se mettre au
travail. En quelques minutes, la lumière jaillit dans le modeste logement, illuminant
du coup le visage de la jeune femme. C’est la énième personne qui se retrouve
ainsi face à Robin des Bois, comme se nomment les salariés d’EDF-GDF engagés à travers
toute la France dans cette opération au service des usagers. Robin de Bois, un
hors-la-loi au grand céur pour cette mère élevant seule ses trois enfants

Dans une pièce encombrée, qui sert aussi bien de salle à manger que de chambre à coucher, la télévision se met aussitôt à fonctionner. Instinctivement, Alice y plonge ses yeux rieurs, comme pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un canular. Elle se tourne enfin vers son bienfaiteur : " Je sais que je dois beaucoup d’argent, environ 700 euros. Je n’arrive plus à payer ma facture d’électricité depuis le mois de décembre, en fait depuis que mon compagnon m’a quittée. " Femme de ménage dans un bureau, de 6 heures à 8 h 30 du matin, Alice ne touche pas plus de 400 euros par mois. " Même les allocations familiales que je reçois ne sont pas suffisantes pour tout payer. Je cherche d’autres heures de ménage à faire, mais je n’en trouve pas. "

La situation de cette femme conforte le Robin des Bois qui l’écoute de la justesse de l’action menée depuis plusieurs jours. Il tend à Alice un tract formulant les raisons du profond mouvement. La rassure : " Sur votre compteur, j’ai mis un autocollant, une preuve qui vous dégage de la responsabilité de la remise du courant. Il y a un numéro de téléphone en cas de problème avec la direction d’EDF. " Mais Robin des Bois n’hésite pas à conseiller à Alice de se rendre à l’agence pour déposer ne serait-ce qu’une modique somme pour rassurer sur sa bonne foi. " L’avantage du service public, lui dit-t-il, c’est de permettre aux personnes démunies de négocier un arrangement. Demain, qu’en sera-t-il avec la privatisation ? " L’homme au céur d’or estime que chaque foyer devrait disposer " gratuitement d’un minimum de puissance de 3 KW ". " C’est quand même la vie, l’électricité ! " s’indigne-t-il. Il quitte Alice, se dirige vers un autre appartement où il effectuera le même geste de justice envers une famille où les enfants n’ont pas eu la chance d’avoir des parents riches.

Cela fait une quinzaine de jours que la section syndicale CGT d’EDF-GDF du centre de Bagneux (la zone rayonne de Saint-Cloud à Gentilly, en passant par Longjumeau) organise les opérations baptisées Robin des Bois. Ici, les agents dans l’action ont décidé de ne pas mener des grèves reconductibles, optant pour des initiatives régulières, qui mobilisent environ 45 % de salariés. Dans le local de la CGT, des militants recensent quotidiennement le nombre d’usagers démunis dont l’électricité a été rétablie. Frédéric Probel, responsable syndical de trente-six ans, semble extrêmement motivé par l’opération Robin des Bois, un bon moyen, selon lui, " d’informer et de sensibiliser l’opinion publique sur cette privatisation ". Il croit dur comme fer à la mission de service public de son entreprise : " 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, un agent est présent pour recevoir les appels des usagers et intervenir en cas de panne d’électricité ou de gaz. " Une motivation qui pousse les agents, au-delà de leur situation statutaire, à ne pas baisser les bras. Ils savent que le bras de fer qui les oppose au pouvoir n’est pas simple à remporter. Frédéric Probel affirme : " Le gouvernement a envie d’en découdre. Nous sommes convaincus que, sans l’appui des populations, nous échouerons. En ce sens, nous réfléchissons aux meilleures actions qui permettent la plus large adhésion des usagers. Ces derniers sont notre principale force. On se bat pour que l’électricité et le gaz continuent à arriver chez tout le monde. " La CGT demande l’organisation d’un référendum sur le projet de loi gouvernemental. Car, soutient le responsable syndical, " il s’agit de la transformation d’une entreprise appartenant à la nation. Il est donc tout à fait normal que la population puisse donner son avis ".

Ce jour-là, à Issy-les-Moulineaux, Arcueil ou Cachan, une dizaine de foyers ont reçu la visite de Robin des Bois. Une heureuse rencontre pour Pierre, un jeune coursier au chômage qui doit 200 euros à EDF. Sourire aux lèvres, il bénit l’homme qui lui permet de regarder la Coupe d’Europe de football. Contrairement à Alice, Pierre semble très au fait sur la mobilisation des électriciens et gaziers. Pour lui, " il est clair et net que la privatisation va secouer en premier les plus pauvres. Quand ça va tomber, on en ressentira les conséquences ". Pour l’heure, la lumière a de nouveau brillé dans son petit studio.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-06-25/2004-06-25-396045

25.06.2004
Collectif Bellaciao