Accueil > Qui a gagné à Jabaliya ?
Cent seize morts, 430 blessés, des maisons et des plantations d’agrumes détruites.
Dans le camp de réfugiés de Gaza, on fait un bilan des "Jours de Pénitence" infligés
aux Palestiniens par Sharon. Le Premier Ministre voulait arrêter le Hamas mais
les Islamistes aujourd’hui sont les plus forts
de MICHELE GIORGIO DE RETOUR DE JABALIYA (GAZA)
Fatima Hussein, 78 ans, vivait pour ses 32 petits-enfants. Elle n’avait eu que
trois enfants - c’est peu pour une femme palestinienne de sa génération - et,
surtout après la mort de son mari, elle avait trouvé le bonheur en prenant soin
de cette troupe d’enfants qui, par vagues, mettait les logements de la famille
sens dessus dessous, tous dans le même immeuble, déchaînant les protestations
des parents.
"Sitti (grand-mère)mettait de côté pour moi quelques bonbons, elle disait que j’étais son petit préféré mais en réalité, elle nous aimait tous de la même manière", raconte Adly, le plus "vieux" des petits-enfants. Tout autour, il y a une maison qui raconte la vie de Fatima et de ses enfants : le four pour faire le pain traditionnel, les bocaux d’épices, les tapis de prière, un luth sans cordes, la télévision seul dérivatif dans une agglomération où l’on ne vit pas mais où l’on survit. Sur une étagère, une boîte de contraceptifs oraux indique un programme tardif de planification familiale. Une vie dont Fatima ne fait plus partie. Depuis une semaine, la vieille femme n’est plus avec ses enfants et l’affection de ses petits-enfants ne l’entoure plus, la faisant sourire, heureuse. Le premier jour du Ramadan, un projectile de gros calibre tiré par un char israélien, posté dans les environs de Hazmet Abdel Rabo, à la périphérie du camp de réfugiés de Jabaliya lui a coupé la tête en deux, la tuant sur le coup. La vieille femme était chez un de ses fils et était en train de servir l’eftar, le repas qui, au coucher du soleil, rompt le jeûne que les Musulmans commencent tous les jours à l’aube, durant le mois du Ramadan. "Tout était calme - se souvient Adly -, depuis quelques jours, les soldats israéliens avaient réduit leurs incursions (à Jabaliya) et nous avions compris qu’ils allaient se retirer. Tout d’un coup, nous avons entendu les rafales d’une mitrailleuse puissante. Nous n’avons pas eu le temps de chercher refuge dans une pièce non exposée au feu des chars".
Les soldats font barrage aux secours
Fatima a été touchée tout de suite. Le projectile a pénétré dans les châssis métalliques, a atteint la femme à la tête, a poursuivi sa course et, après avoir percé en son centre la porte qui mène à la véranda, s’est fiché dans un mur. « Ma grand-mère est morte sur le coup, le projectile lui a fait éclater la tête. De toute façon, aucun médecin n’aurait pu la sauver. Non seulement à cause des blessures mortelles mais aussi parce que les troupes israéliennes n’ont permis à l’ambulance d’arriver jusqu’à notre maison qu’au bout d’une heure ». Le porte-parole militaire israélien n’a jamais fourni de version détaillée de ce qui s’est passé. Il s’est limité à dire que certains « terroristes » armés se trouvaient dans la zone où a été tuée la vieille femme. Les membres de la famille démentissent et soutiennent que les chars ont ouvert le feu, sans discrimination, comme le semblent le démontrer les dizaines de trous sur les bâtiments.
Fatima Hussein fait partie des 133 Palestiniens qui, selon les données recueillies par le centre israélien pour les droits humains Betselem, ont été tués par l’armée durant les deux semaines de l’opération « Jours de pénitence », déclenchée dans le Nord de la Bande de Gaza fin septembre, officiellement en réponse aux lancers de roquettes palestiniennes contre la petite ville de Sderot (où la veille deux enfants avaient été tués).
La solution militaire a raté
Betselem ajoute que 116 personnes sont mortes à Jabaliya, Beit Hanun et Beit Lahya, les autres durant des raids dans différentes localités au Sud de Gaza. Parmi les victimes, il y a au moins 50 civils innocents (comme Fatima), dont 29 enfants (comme Iman Hams, 13 ans, tuée à Rafah). Il y a eu 430 blessés dont certains sont encore hospitalisés dans de graves conditions. 85 maisons ont été rasées, 150 autres ont subi des dommages irréparables. D’ailleurs, quand on arrive à Jabaliya par le col d’Erez, les destructions immenses qui se trouvent devant nos yeux ne laissent aucun doute sur la force dévastatrice de « Jours de pénitence ». Les infrastructures civiles - en particulier le réseau hydraulique - ont subi de graves dommages. La zone entre Beit Hanun et Beit Lahya qui était une zone agricole est devenue aujourd’hui un amas de détritus. La végétation a disparu. De nombreuses orangeraies, où selon Israël les cellules chargées de lancer les roquettes Qassam trouvaient refuge, ont été "nettoyées" par les soldats.
Les routes goudronnées ont été en de nombreux endroits effacées par le poids des chars et pour atteindre les agglomérations, il faut à présent faire de longs détours sur de petites routes en terre. Ce désastre, semblable à un tremblement de terre, a-t-il servi à atteindre les objectifs que s’était fixés Israël ? Les faits disent le contraire. Malgré l’emploi d’environ 200 chars et de nombreux hélicoptères, l’armée de l’Etat juif n’a pas réussi à priver le mouvement islamique du Hamas de la capacité de tirer les Qassam bien que le porte-parole militaire continue à répéter que de nombreuses cellules armées ont été touchées et anéanties. Mais tout le monde a la vérité sous les yeux. Les lancers de roquettes n’ont pas cessé et reprendront après une période de tassement. C’est bien le Hamas qui crie victoire. La solution militaire qu’Israël continue à prôner ne fait qu’accroître la colère des Palestiniens et renforcer la structure militaire du mouvement islamique. Tout cela même au détriment de l’Autorité nationale palestinienne. "Quand sont apparus les chars dans les rues de Jabaliya, ce sont les militants du Hamas qui ont été les premiers à leur barrer le chemin. Les services de sécurité de l’Anp sont restés à la tribune. Et quand certains ministres palestiniens se sont rendus à Gaza pour vérifier les nécessités immédiates, ils ont dû affronter les protestations du peuple. Sans oublier que tandis que tant de gens était tués par les soldats israéliens, les agents des forces de sécurité de l’Anp ne trouvaient rien de mieux à faire que de se tirer dessus les uns les autres pour de stupides rivalités personnelles", explique le journaliste Safwat Kahlut, originaire précisément de Jabaliya.
Pour les gens de Gaza, le Hamas est sorti la tête haute d’une dure confrontation militaire avec une armée aussi bien organisée que l’armée israélienne. Du point de vue tactique, les moujahidin ont fait preuve de leur capacité à gérer en même temps des situations différentes : tendre des embuscades aux forces d’occupation, lancer des roquettes et des coups de mortier contre les installations juives et les postes militaires mais aussi tenter des infiltrations dans les colonies de Gaza. Tout ceci malgré le meurtre à Jabaliya du commandant local des Brigades "Ezzedin al-Qassam" (le bras armé islamique). Mushir Al-Masri, porte-parole du Hamas, n’a aucun doute : les souffrances de la population palestinienne ne sont pas le fruit des lancers de Qassam ayant déchaîné les réactions dévastatrices d’Israël.
"Sharon n’a pas besoin d’excuses pour attaquer les Palestiniens - affirme-t-il - il aurait de toute façon envoyé ses chars à Jabaliya et dans les autres agglomérations puisqu’il doit porter à terme son plan de destruction des Palestiniens". Ceux qui démentissent ce compte-rendu du Hamas et qui critiquent les lancers de Qassam ne sont pas rares. "Israël ne peut vaincre ce conflit grâce à la force de son armée mais nous non plus, les Palestiniens, nous ne pouvons pas rêver de vaincre un Etat aussi puissant avec quelques roquettes artisanales", soutient l’ex-ministre de la Culture Ziad Abu Amer. L’Anp pendant ce temps semble paralysée, elle n’existe presque plus à Gaza et l’anarchie règne de partout. "On vit au jour le jour - dit Raed Yazji, un commercant - entre l’attente de la prochaine incursion israélienne et une fusillade entre les différentes forces de sécurité de l’Anp".
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/23-Ottobre-2004/art47.html
Traduit de l’italien par Karl et Rosa - Bellaciao