Accueil > Réformer à tout prix.

Réformer à tout prix.

Publie le mardi 15 juillet 2008 par Open-Publishing

Pour que not’ président puisse mener toutes ses réformes à bien, il lui faut aussi réformer les institutions.

Ainsi, lu sur Liberation.fr :

« Un pouvoir supplémentaire pour le parti du Président »

« Institutions. Le constitutionnaliste Dominique Rousseau sur le projet de réforme :
Recueilli par NATHALIE RAULIN
QUOTIDIEN : mardi 15 juillet 2008

Dernière ligne droite pour la réforme des institutions. Le Sénat démarre aujourd’hui la seconde lecture du projet de cette Ve République bis voulue par Nicolas Sarkozy. Si la Haute Assemblée l’approuve sans le modifier, le texte pourra être soumis au vote du Congrès à Versailles, lundi prochain. Professeur de droit constitutionnel à l’université de Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France, Dominique Rousseau dégage les grands traits du projet de loi constitutionnel sur les rails.

Quel est le sens de cette révision constitutionnelle ?

Renforcer le pouvoir présidentiel ! Pour le comprendre, il faut revenir aux origines de la Ve République. En 1958, l’objectif est de mettre fin à la toute puissance du Parlement et de restaurer l’autorité de l’exécutif. Mais les constituants hésitent entre donner le pouvoir au Premier ministre - thèse de Michel Debré - ou au président de la République - thèse du Général. Résultat : ils le donnent à l’un et à l’autre et une dyarchie s’installe au sommet de l’Etat. D’où de multiples conflits au sein de l’exécutif, entre de Gaulle et Pompidou, Pompidou et Chaban, Giscard et Chirac, Mitterrand et Rocard, et aujourd’hui Sarkozy et Fillon. En 2000, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral commencent à trancher cette ambiguïté fondatrice : élus sur le nom du Président et dans la foulée de son élection, les députés sont pris dans un lien direct et de subordination au chef de l’Etat. La figure du Premier ministre est zappée.

L’actuel projet de réforme poursuit donc un mouvement déjà entamé ?

Oui, elle enlève, cette fois, des pouvoirs au Premier ministre. Par exemple, ce n’est plus lui mais le Président qui prononcera le discours de politique générale. Le Premier ministre perd aussi la maîtrise de l’ordre du jour puisqu’il devra le partager avec les présidents des groupes parlementaires. En outre, et c’est fondamental, les discussions des projets de loi ne se feront plus sur le projet rédigé par le Premier ministre mais sur le projet réécrit par les parlementaires. Il s’agit donc bien d’affaiblir la position du Premier ministre pour affirmer la primauté du Président.

Vous ne croyez donc pas à la volonté de l’Elysée de rééquilibrer les pouvoirs en faveur du Parlement ?

C’est un faux-semblant. Aujourd’hui, le Parlement ne peut plus être un lieu de contre-pouvoir ou d’équilibre du pouvoir exécutif. En France comme en Allemagne, en Espagne ou en Grande-Bretagne, partout, le Parlement et l’exécutif sont soudés. Il y a longtemps que Maurice Duverger a montré que celui qui gagne les élections gagne à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le Parlement fait aujourd’hui partie de ce que Montesquieu appelait « la faculté de statuer ». Quels sont, en 2008, les lieux « modernes » de la faculté d’empêcher, du contrepoids au bloc exécutif-législatif ? Les citoyens, la presse, la justice, la décentralisation… Or, sur tous ces sujets « modernes », la réforme est muette !

Pourtant, elle accorde beaucoup de nouveaux droits au Parlement…

De la poudre aux yeux. La vraie question n’est pas de renforcer le Parlement, lequel a peu ou prou les mêmes compétences que les parlements anglais, allemand, italien et espagnol. La vraie question, qui n’est pas dans la réforme, c’est le non-cumul des mandats : si les députés sont la moitié du temps dans leur mairie, leur conseil général ou régional, vous aurez beau donner tous les pouvoirs du monde au Parlement, si les députés ne sont pas là pour les exercer, rien ne changera.

A qui profite cette réforme alors ?

Au parti du Président. Prenons l’exemple de l’ordre du jour : aujourd’hui, il est fixé par le Premier ministre, trente jours sur trente. Si la réforme est votée, ce sera quinze jours pour François Fillon, quatorze jours pour le patron des députés UMP, Jean-François Copé, et un jour pour celui des députés PS, Jean-Marc Ayrault. Il ne s’agit pas d’un pouvoir gagné par le Parlement mais d’un pouvoir supplémentaire pour le parti du Président. D’où l’intérêt porté par Nicolas Sarkozy aux députés UMP. D’où leur convocation régulière à l’Elysée, d’où sa tentation de « décopéiser » le groupe UMP de l’Assemblée. Cette réforme donne un pouvoir de négociation réelle à l’UMP. Au point que certains craignent un retour au régime de partis, très décrié sous la IVe République. Tout dépendra de l’importance et de la discipline du groupe majoritaire.

Y a t-il une avancée réelle ?

Oui, l’exception d’inconstitutionnalité est un progrès net. L’idée avait été émise par Robert Badinter quand il présidait le Conseil constitutionnel en 1989, et retoquée par le Sénat en 1990 et 1993. Il s’agit de donner à un justiciable la possibilité de critiquer devant le juge ordinaire la constitutionnalité de la loi qu’on veut lui appliquer. Son procès est alors momentanément suspendu, le temps que le Conseil constitutionnel se prononce sur la réalité de l’atteinte portée par la loi à tel ou tel droit fondamental. C’est une banalité pour nos voisins qui disposent depuis longtemps de cette possibilité, mais pour la France, c’est une petite révolution puisque nous vivons depuis 1789 dans l’idée qu’une loi promulguée est inattaquable.

Pour justifier son rejet du texte, le PS invoque l’absence de réforme du Sénat. Qu’en pensez-vous ?

L’argument du PS est pertinent au regard de l’objectif officiel de la réforme. S’il s’agissait de moderniser le Parlement, alors la réforme aurait dû conduire à réformer le Sénat, la plus archaïque des deux assemblées. D’autant que le Sénat est devenu plus légitime depuis la réforme Raffarin de 2003 qui définit la République comme ayant une organisation décentralisée. Une refonte de la composition et de la représentation du Sénat s’imposait.

Un geste sur le décompte du temps de parole du Président peut-il modifier le regard de la gauche sur cette réforme ?

Si tel devait être le cas, ce serait grave pour la capacité visuelle de la gauche. Chacun voit bien que Sarkozy agite là un hochet pour gagner une voix par ci par là. L’équilibre du temps de parole est un problème lié au pluralisme et à l’indépendance de la presse qui devrait relever d’une autorité constitutionnelle elle-même indépendante. Ce n’est, ni ne sera, le cas du CSA. »