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Réfugiés à ciel ouvert à Lyon

Publie le samedi 9 août 2003 par Open-Publishing

Réfugiés à ciel ouvert à Lyon
Le dispositif d’accueil est engorgé : ils campent au centre-ville.

Par Olivier BERTRAND

vendredi 08 août 2003

Libération
 
Le désespoir monte place Carnot. Lundi, une femme d’une soixantaine d’années
a avalé des médicaments. Mardi, un Géorgien de 50 ans s’est jeté dans le
Rhône. 
Lyon de notre correspondant

Enveloppé dans un tulle, le bébé de deux mois dormait, depuis sa naissance,
sous la canicule, dans une tente plantée au sale milieu d’un bidonville.
Venu d’ex-Yougoslavie, sa famille campe là depuis des mois. Entre un
transformateur EDF et le périphérique, à la lisière de Lyon et de
Vénissieux. Pour l’eau des biberons, jusqu’à ces dernières semaines, elle se
ravitaillait à la borne d’incendie. Découvrant le nourrisson, des
associations ont fourni de l’eau minérale, trouvé une chambre d’hôtel. Almir
et sa mère y dorment depuis hier . Le reste de la famille doit quitter le
bidonville pour s’installer dans le centre, sur la place Carnot, devant la
gare de Perrache.

De nombreuses familles y dorment déjà. Roumaines, kosovares, tché tchènes,
angolai ses... elles ont demandé l’asile et attendent qu’une place se libère
dans un centre d’accueil ou dans un foyer. Il faut compter six semaines en
moyenne. Le système d’hébergement des demandeurs d’asile se trouve en effet
totalement engorgé, à l’entrée et à la sortie. A Lyon, depuis longtemps, le
réseau d’aide aux réfugiés est très actif. Militants, catholiques,
protestants... Les exilés sont accueillis, d’hébergements ponctuels en
foyers, de provisoire en définitif. L’offre crée la demande et ainsi de
suite.

Ceux qui obtiennent le statut de réfugié (80 % des demandeurs hébergés en
centre d’accueil) restent longtemps dans les structures, faute de trouver
des logements de droit commun (le marché du logement social est très saturé
à Lyon). Selon Olivier Brachet, directeur de l’association Forum réfugiés,
environ 400 statutaires restent dans les centres (20 % de la capacité), et
le système s’engorge. A l’autre bout du dispositif, les familles continuent
d’arriver (4 000 nouveaux demandeurs d’asile en moyenne à Lyon chaque
année). Et la demande déborde sur la place Carnot.

Priorités. L’attribution des places d’hébergement se transforme en foire à
la misère. On accueille en priorité les plus fragiles, telle association
avance la maladie de celui-ci, le nourrisson de celle-là. Les familles sur
le carreau tentent ensuite de grappiller quelques nuitées dans les
structures d’urgence, où logent clochards français et réfugiés étrangers.
Les chambres d’hôtel permettaient de compenser un peu la pénurie. Mais
depuis juin, la préfecture ne veut plus payer. Elles deviennent
exceptionnelles. Et certains soirs, des dizaines de personnes dorment en
plein centre, place Carnot.

Les pompiers y sont venus plusieurs fois, ces derniers jours, pour des
débuts de déshydratation. Mercredi, ils ont embarqué Stella (3 ans), une
petite Angolaise arrivée en France il y a quatre semaines. Elle n’avait
guère mangé depuis trois jours quand les pompiers sont arrivés. Le soir, il
y a souvent des bagarres, des clochards. Ou les CRS, qui délogent les
réfugiés à coups de pied. Les familles reviennent rapidement, car elles se
sentent moins vulnérables sur cette place, près des principales structures
d’accueil. La semaine dernière, une jeune femme angolaise a échappé de peu à
un viol. Désormais, elle dort avec une famille de son pays. Lorsque la nuit
tombe, des silhouettes sortent draps et sacs des bosquets. Les familles
s’allongent contre les haies et sous les arbres. Elles seront réveillées
vers 1 heure, lorsque l’arrosage se mettra en route.

Squats. Malgré ses allures de cour des miracles, la place Carnot ne
représente qu’une part infime des réfugiés relégués dans la rue. Selon
l’Alpil, association spé cialisée dans le logement, ils seraient plus de 800
dans les squats et les bidonvilles identifiés dans l’agglomération. Le
quartier de la Mouche, où dormait Almir, compte trois campements pour
environ 250 personnes, Roms pour l’essentiel, de Roumanie ou
d’ex-Yougoslavie. Rejetés aux marges de la ville, ils changent de lieu au
gré des expropriations. Disparaissent parfois dans les squats. Près du lieu
où se trouvait Almir, la police a cassé les caba nes. Les familles se sont
déplacées sur le terrain vague du nourrisson.

Face à cette situation, le monde associatif se divise sur l’attitude à
adopter. Forum réfugiés, qui gère les demandes d’asile conventionnel ainsi
que l’hébergement qui va (théoriquement) avec, souligne l’effort réalisé à
Lyon (la capacité d’accueil aurait décuplé en quatre ans). Son directeur,
Olivier Brachet, comme d’autres responsables associatifs, réclame que les
autres régions françaises prennent leur part de l’asile. Mais il déplore
aussi ce qu’il appelle les « faux gestes » d’autres associations, qui
réquisitionnent des logements vides pour sauver des familles de la rue. Une
injustice selon lui, au regard de familles patientant devant la voie légale.

De leur côté, l’Alpil et Médecins du monde s’investissent dans les squats et
les bidonvilles, ce qui leur est parfois reproché. Ils gèrent l’urgence, et
reçoivent de plein fouet l’impatience, la désolation, les colères. Leur
présence a, sans doute, évité quelques drames dans l’agglomération. Ils
refusent de se détourner du terrain et de rejeter sur les autres régions le
problème posé à l’agglomération. « Plutôt que de rester sur la défensive, et
de renvoyer le problème sur les autres, Lyon devrait assumer et organiser
son rôle de plaque tournante, considère ainsi Nicolas Molle, permanent à
l’Alpil. Il faut organiser un accueil correct, pour centraliser les demandes
et les répartir ensuite vers les autres centres en France ».

Le soir, ce permanent récupère de la nourriture auprès d’un restaurateur
discret. Solidarité anonyme pour des réfugiés invisibles. Mais
l’exaspération monte, et le désespoir. Lundi, place Carnot, une femme d’une
soixantaine d’années a avalé des médicaments. Mardi, un Géorgien de 50 ans
s’est jeté dans le Rhône, épuisé de dormir dehors, selon un compatriote.

Appel d’air. La situation se dégrade fortement, mais les places (d’hôtel
notamment) ne se libèrent que lorsque la situation devient trop pressante,
ou trop voyante. La mairie comme la préfecture craignent qu’une trop grande
solidarité crée un « appel d’air », attirant de nouveaux réfugiés dans
l’agglomération. On laisse la situation pourrir doucement. Aux conditions de
vie dégradantes, s’ajoute la répression de plus en plus forte sur les
Roumains et sur les Roms. L’ensemble est censé produire un effet répulsif.
Sans résultat à ce jour l