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Saddam au petit-déjeuner

Publie le lundi 15 décembre 2003 par Open-Publishing


Et puis voilà : moins de dix mois après que l’une de ses plus
massives statues eut été abaissée par grues mécaniques devant
les regards du monde entier, Saddam Hussein a été capturé
vivant et résigné lors d’une nuit irakienne filmée à l’infrarouge.
Il avait sans doute le temps et les moyens de se suicider.
Mais il ne l’a pas fait. Il a été capturé au sens le plus
westernien du terme.

Vaincu par sa barbe pitoyable et les boursouflures presque
grotesques d’un visage trop piqué par la pharmacie pour avoir
encore accès au courage. Et le plus triste, le plus affligeant
n’est même pas là. Le plus désolant, en effet, est que sa
capture, son arrestation, ou sa reddition, a été offerte au
petit-déjeuner du président Bush, samedi dernier à l’heure
américaine, comme on cale une fleur au bord d’un plateau.


La vérité est que M. Bush, qui ne pouvait rêver mieux en pareilles
difficultés pour ce qui lui sert de morale et de politique,
peut plastronner à l’aise. Il a ramené le bandit. Sans égratignure
au visage et sans résistance signalée. « Un homme résigné à
son sort », dit le général Sanchez. « Un captif loquace et coopératif »,
affirme-t-il encore. Et, pour bien cadrer le tableau, 750.000
dollars ont été saisis près du prisonnier.

Qui reprendra du Saddam ? Dix ans de guerre contre l’Iran.
Deux autres plus courtes mais plus coûteuses, pour ce qu’il
peut rester de l’histoire irakienne, face à l’Amérique et
ses alliés. Et l’embargo alimentaire, et les rancoeurs internes
rentrées. Puis l’effondrement rhétorique et militaire dès
l’arrivée des premiers détachements américains aux abords
de l’aéroport de Baghdad. Saddam était fini avant sa dernière
forfanterie. Malheur aux vaincus ? Mais bien sûr que oui.
Nous vivons des temps d’empire recommencés.

Devant les caméras, il y eut hier quelques tirs d’épiciers
baghdadis pour fêter la capture du dictateur déchu. Vengeance
dérisoire et humiliation célébrée. Saddam Hussein avait, il
est vrai, émasculé le légendaire amour-propre irakien. Dès
lors, et ayant rendu sans plus d’honneur sa propre personne
avilie aux traqueuses caméras américaines, il était peut-être
dans l’ordre des choses qu’on tire quelques rafales joyeusement
amères contre son ombre. Mais en attendant la démocratie promise,
l’occupation militaire continue, et la rapine commence.

Avec le scandale Halliburton qui prenait forme et la liste
des cercueils américains qui s’allongeait, le président Bush
a de quoi rêver d’un deuxième mandat sur le dos défait de
Saddam. On peut se demander si ce sera suffisant pour faire
oublier à l’Amérique que, là-bas dans l’Irak désormais sans
dictateur, elle maintient des dizaines de milliers de soldats
qui n’ont plus rien à y faire. Sauf à défendre les vrais bandits.
Et à remettre en appétit les magnats du pétrole.

Maâchou Blidi pour le quotidien d’Oran

15.12.2003
Collectif Bellaciao