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Scrupules tardifs d’un employeur de sans-papiers

Publie le jeudi 25 mai 2006 par Open-Publishing

Une société de sécurité de Bondy argue de la situation irrégulière de ses salariés maliens embauchés en 2003 pour s’en débarrasser.

par Catherine COROLLER

Ce sont quatre grands blacks découplés comme ceux que la grande distribution poste volontiers à l’entrée de ses magasins. Depuis septembre 2003, Moussa, Karim, Cheikh et Mamadou (1) étaient employés par la société OSP (Omnium de sécurité privée) de Bondy (Seine-Saint-Denis). Et OSP ayant l’enseigne Monoprix comme client, ces Maliens se sont vu confier la surveillance de différentes implantations franciliennes de cette marque.

A l’époque, comme aujourd’hui, les quatre garçons étaient sans papiers. Ou plutôt titulaires de fausses cartes de résident de dix ans. Ce qui n’a pas empêché Claude Zanga, patron d’OSP, de leur faire signer des contrats à durée indéterminée. Hier, Claude Zanga a reçu Moussa, Karim, Cheikh et Mamadou, ainsi qu’une dizaine d’autres employés maliens sans papiers, pour un entretien préalable en vue d’un licenciement pour faute grave. Motif : ils sont en situation irrégulière. Le patron d’OSP affirme avoir découvert il y a quelques semaines seulement que ces employés n’étaient pas en règle. Ce que contestent ces derniers.

Recours. Pour Moussa, Karim, Cheikh, Mamadou et les autres, ce licenciement brutal n’est pas réellement une surprise. « Quand on a été embauchés, il venait de virer un premier lot de compatriotes, raconte Moussa. L’un d’entre eux nous a avertis. » Selon lui, cet homme aurait déposé un recours pour licenciement abusif devant les prud’hommes et aurait eu gain de cause. L’histoire semble se répéter : toujours selon les Maliens, OSP aurait déjà embauché d’autres compatriotes à eux, également en situation irrégulière, pour les remplacer. De 2003 à 2006, la société OSP leur délivre des feuilles de paie en règle. Ils disposent tous d’une carte Vitale. Moussa gagne 1 249 euros brut par mois pour 157 heures de travail. De congés payés, point, affirme-t-il. Bien qu’en situation irrégulière, ces Maliens sont censés contrôler la régularité des achats effectués par les clients. A plusieurs reprises, Moussa doit appeler la police. Il affirme également avoir été mandaté par Monoprix pour aller déposer plainte au commissariat. Où personne ne s’est jamais inquiété de la régularité de sa situation.

En février 2005, les quinze hommes se syndiquent à la CGT. Coïncidence ou pas, ce sont eux qui font l’objet aujourd’hui de la procédure de licenciement. Début 2006, Claude Zanga, Français d’origine zaïroise, écrit à la préfecture pour « solliciter [pour eux] un agrément en vue d’exercer en tant que salarié une activité privée de sécurité ». Une précaution bien tardive. Jean-Claude Decreux, conseiller salarié agréé par la préfecture sur la liste CGT, qui a accompagné les Maliens pour leur entretien en vue de leur licenciement, explique que les entreprises de sécurité ont l’obligation de demander l’agrément de la Préfecture avant toute embauche de salarié. Ce qui ne semble pas avoir été fait. Et qui aurait pourtant permis de découvrir que Moussa, Karim, Cheikh, Mamadou et les autres étaient en situation irrégulière. La réponse de l’administration aux quinze Maliens est d’ailleurs sans appel : « J’ai le regret de vous informer que j’ai l’intention de ne pas vous accorder cet agrément [...]. En effet, il apparaît que vous avez produit une copie d’un faux titre d’identité. » Le patron d’OSP enclenche alors la procédure de licenciement. L’administration, elle, en reste apparemment là. Elle ne lance pas d’enquête. Ni à l’encontre du patron, ni des sans-papiers.

Convocation. Hier, Moussa, Karim, Cheikh et Mamadou se sont rendus à la convocation de leur patron, accompagnés de Jean-Claude Decreux. Jocelyne Le Sur, secrétaire générale de l’union locale CGT de Bondy-Pavillons-sous-Bois, Vincent Duguet, maire adjoint (PCF) de Bondy, ceint de son écharpe tricolore, et le responsable de la coordination des sans-papiers de Seine- Saint-Denis étaient venus soutenir les futurs licenciés. A en croire Jean-Claude Decreux, les entretiens n’ont pas donné grand-chose. Claude Zanga aurait continué d’affirmer qu’il n’était pas au courant de la situation irrégulière de ses salariés (2). A l’issue de la réunion, la CGT a saisi l’inspection du travail. Celle-ci n’était visiblement au courant de rien. Selon les Maliens, OSP emploierait une centaine de personnes. Dont beaucoup au noir.

(1) Les prénoms ont été changés.

(2) Le patron d’OSP a refusé de répondre aux questions de Libération.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=384834