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Valérie Pécresse, une héritière au service des héritiers.
Publie le jeudi 12 mars 2009 par Open-Publishing2 commentaires
Nous reproduisons ici un texte distribué par la Fondation Copernic il est la retranscription d’un cours sauvager fait par le cours du département de sociologie de Paris VIII Vincennes- Saint Denis, le vendredi 20 février 2009, sur le trottoir de l’ENA. Dans cette seconde partie, les origines sociales de la vision du monde au principe de la réforme Pécresse des universités, se trouvent singulièrement éclairées.
On peut légitimement s’interroger sur les motivations des promoteurs de ces réformes. Et nous souhaitons pour conclure nous intéresser au cas de Valérie Pécresse en faisant l’hypothèse - sociologiquement somme toute très banale - que sa vision de l’enseignement supérieur, comme de la recherche, s’explique entre autre par sa trajectoire sociale et scolaire. Et que cette vision est sans doute aussi la plus conforme aux intérêts de son milieu. Alors le collectif Papera, qui est un collectif de lutte contre la précarité, a eu la bonne idée de faire la biographie de Valérie Pécresse, comme des membres de son cabinet, laquelle est reproduite sur son site internet (http://www.collectif-papera.org).
Valérie Pécresse est donc née en 1967 à Neuilly sur Seine. Cette ville, où sont concentrées nombre de grosses fortunes et dont Nicolas Sarkozy a été le maire, est l’antithèse à peu près parfaite de St Denis.
> Son père, Dominique Roux, est professeur d’université. Alors rassurez-vous, pas à Paris VIII-St Denis ! Mais à Dauphine, HEC et Science Po, soit dans des établissements haut de gamme et au public très sélectionné. Fait intéressant, on note aussi qu’il enseigne l’économie et la gestion, soit deux disciplines en pleine expansion dans l’université française et qui fournissent nombre d’arguments et méthodes aux réformateurs. Ce qui au passage permet de souligner que les réformes en cours ne nous sont pas qu’imposées du dehors. Mais qu’elles sont aussi préparées en interne par une fraction du corps académique.
De ce point de vue l’évolution du recrutement disciplinaire, tout comme le positionnement politique de la conférence des présidents d’université, sont instructifs.
Mais revenons-en au papa de Valérie Pécresse. Non seulement celui-ci est professeur d’économie-gestion dans les établissements chics, du public comme du privé de la capitale, mais il est aussi membre du Cercle des économistes, administrateur de Radio France Outre Mer, président depuis 2007 de Bolloré télécom (qui contrôle entre autre le journal gratuit Direct soir diffusé dans le métro, la chaîne de télévision Direct 8 et l’agence de publicité Havas), administrateur de la société Omercis spécialisée dans l’envoi massif de courrier électronique, etc. Bref, c’est un parfait exemple d’universitaire entrepreneur, ou d’entrepreneur universitaire, le modèle même de ce que les réformes actuelles voudraient que nous devenions, afin notamment de renflouer les caisses - volontairement toujours plus vides pour cause de plan d’ajustement structurel qui ne dit pas son nom - des universités comme du CNRS.
Quant à la mère de Valérie Pécresse, après des études de lettres, elle est passée par Sciences Po Paris. Enfin, signalons que son grand père maternel fut longtemps le médecin de famille de la famille Chirac, ce qui facilitera considérablement sa carrière politique et qu’il enseignait aussi la médecine à l’université.
Economie, gestion, médecine, IEP de Paris…, on voit que les accointances académiques familiales de Valérie Pécresse ne sont pas anodines et sans doute contribuent-elles à expliquer sa vision de l’enseignement supérieur. Valérie Pécresse, qui se présente aussi comme une « catholique pratiquante », est donc une héritière dans tous les sens du terme. Ceci s’observe notamment dans la célérité de sa trajectoire, tant scolaire que politique. Car comme le dit un journaliste de LCI, c’est « une femme qui va très vite. » Elle sait lire dès l’âge de 4 ans, ce qui lui permet de sauter deux classes. Après avoir étudié au collège Sainte Marie de Neuilly et obtenu son Baccalauréat à l’âge de 16 ans, elle entre dans une classe préparatoire versaillaise au lycée privé Sainte Geneviève et intègre HEC, dont elle sort diplômée en 1988. Elle poursuit ensuite ses études avec un DESS de droit, ainsi qu’un DEA de fiscalité financière. Enfin, et après avoir passé le concours « en cachette », elle sort deuxième de l’ENA en 1992 et entre au conseil d’Etat en tant qu’auditrice. Elle quitte ensuite la fonction publique pour entrer en politique et en 2002, soit à l’âge de 35 ans. Elle est élue députée des Yvelines et devient porte parole de l’UMP à 37 ans.
Une si belle trajectoire ne pouvait que se conclure par un beau mariage, parfaitement homogame. En effet son mari Jérome Pécresse, qu’elle épouse en 1994 et avec lequel elle aura trois enfants, est versaillais, polytechnicien et ingénieur du corps des Ponts et Chaussées. Après différents postes de responsabilité au sein du Crédit Suisse First Boston, il est devenu directeur général adjoint et membre du comité exécutif d’Imerys, le numéro un mondial des minéraux de spécialité (3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaire).
En fait, quand on connaît un peu le milieu et la trajectoire de Valérie Pécresse, on comprend mieux pourquoi elle veut à toute force aligner les universités et le CNRS sur le modèle - aujourd’hui présenté comme humainement indépassable - de l’entreprise et pourquoi la distinction entre public et privé est si ténu pour elle. Au point même de vouloir transformer chaque université, chaque laboratoire en entreprise, et chaque universitaire, chaque chercheur en entrepreneur ; tout en plaçant à leur tête un autocrate sachant communiquer et disposant à son gré d’un personnel de plus en plus précarisé. Si bien qu’au final, on peut se demander si la politique de Valérie Pécresse n’est pas celle qui est la plus conforme aux intérêts de son milieu, de sa classe sociale. Sans doute cette proposition risque d’apparaître comme un peu trop vulgaire, un peu trop marxiste ou terre à terre. Mais à tout prendre, on peut se demander si elle n’a pas un fond de vérité…
Pour finir, ajoutons un petit complément à cette biographie, qu’il faudrait pouvoir compléter afin de mieux comprendre le sens des réformes en cours et surtout leurs conditions sociales, politiques, intellectuelles, etc., de possibilité. En effet, Valérie Pécresse intègre l’ENA en 1990 en faisant partie - ça ne s’invente pas, la réalité est souvent plus imaginative que la fiction - de la promotion Condorcet... De ce philosophe des Lumières mort sur l’échafaud et qui à la différence de Valérie Pécresse était un laïc militant qui se battra notamment pour le progrès par l’éducation, on peut rappeler une formule particulièrement d’actualité. Voilà ce que disait Condorcet, qui était pourtant d’origine noble : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société où l’égalité n’est pas réelle. » (1793)
Pour notre part, si nous avons tenu à faire ce cours en face de l’ENA, c’est notamment pour rappeler cette exigence d’égalité à ceux qui nous gouvernent. Espérons qu’ils finiront par nous entendre !
Annexes.
1) Dans son premier Rapport d’étape de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) de décembre 2008, que le mouvement Sauvons l’université a eu la bonne idée de mettre sur son site, on apprend que concernant l’université et le monde de la recherche, les objectifs du ministère sont les suivants : « accompagner au mieux les universités vers l’autonomie et la culture de la performance dans le cadre de la mise en oeuvre de la LRU », « Augmenter les activités qui génèrent des ressources complémentaires pour les universités », « modulation de service complète des enseignants-chercheurs », « mobilisation des chercheurs non publiant », « Mise en place d’un financement budgétaire des universités fondé sur la performance. », « Augmentation progressive de la part de financement sur projet pour la recherche », « Financement effectif des unités de recherche sur leurs performances, y compris pour le financement récurrent », etc. Mais ce processus de « colonisation managériale » comme dit Chris Lorenz n’affecte pas que l’université et le CNRS. Et aujourd’hui, c’est toute la fonction publique qui passe sous les fourches caudines de la RGPP et du nouveau management public abondamment enseigné dans les petites et grandes écoles de commerce ou autres.
2) Concernant la sectorisation des étudiants et ses effets sur le recrutement de Paris VIII, voir : « Retour sur les conditions d’accès à l’université », Thibault Cizeau et Brice Le Gall, Mouvements, n°55/56, septembre 2008. Dans ce même numéro, voir aussi l’article particulièrement informé et synthétique de Vanessa Pinto intitulé : « « Démocratisation » et « professionnalisation » de l’enseignement supérieur ».
3) Se reporter en permanence au travail très utile du collectif PAPERA : http://www.collectif-papera.org
4) Concernant le renversement du rapport de forces entre facultés, disciplines dans l’université française, voir : Brice le Gall, Charles Soulié, « Massification, professionnalisation, et réforme du gouvernement des universités : une actualisation du conflit des facultés en France », in Christophe Charle et Charles Soulié, Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe, Syllepse, 2007.
5) Sur le rapport de V.Pécresse à son engagement et au catholicisme, elle déclare : « Je suis catholique pratiquante. Mon catholicisme est sûrement à la racine de mon engagement politique. », Cf. Le Nouvel économiste, 19 novembre 2004.
6) Selon la biographie rédigée par le collectif Papera, qui s’appuie notamment sur une interview réalisée par Daniel Schick le 30 décembre 2008 et diffusée sur France Info le 8 janvier 2009 en trois parties, Valérie Pécresse aurait « passé le concours d’entrée de l’ENA « en cachette » par « peur d’être dissuadée » par son entourage qui est plutôt à penser que « l’Etat c’est nul » et qu’elle ferait mieux de s’orienter vers la Banque et les finances. »
PS : La découpe du cours et le titre du passage retenu sont de la responsabilité de la Fondation Copernic.
Messages
1. Valérie Pécresse, une héritière au service des héritiers., 12 mars 2009, 12:26, par coconuts
Cela n’a rien de surprenant et vous enfoncer une porte ouverte
Les libéraux font des lois pour eux, pour leur familles et selon leurs préceptes
Ce n’est pas nouveau
Et puis, Pecresse ne fait qu’amalgamer
En premier lieu il faut surveiller les enfants dès l’age de deux ans, puis les bourrer de médicaments a 6 puis les incarcérer a 12
In fine, la fameuse loi égalité des chances est la parfaite illustration de ce que l’on prépare à nos enfants et la caste des plus riches de naissances en sera d’autant plus avantagée que avec les réformes complémentaires du primaires et des collèges la sélection sera encore plus la loi du plus riche contre le plus faible
Les libéraux verrouillent notre pays dans toutes ses structures : politiques, sociales de communications...
Il est indéniable que combattre cette société de castes ne va pas être facile car elle s’arcboute sur ses privilèges et autre passe-droits, mais je crois que notre peuple n’est pas le peuple des lumières par hasard et que le force de résister et de changer ces choses, est au moins aussi forte qu’il y a plus de 219 ans
Il est a noté d’ailleurs que ce gouvernement est de plus en plus contesté et combattu ; ce n’est pas le matin du grand soir, certes, mais c’est un indice important
2. Valérie Pécresse, une héritière au service des héritiers., 12 mars 2009, 15:54
Je croyais qu’il était interdit aux fonctionnaires d’être aussi entrepreneurs !
Est-ce qu’une loi serait passée par là, que j’ignorerais ?
Après lecture de cet article, il y a plein de points à relever :
– d’abord de constater que c’est Neuilly qui gouverne la France ! (Sarko, Hortefeux, Pécresse...). Donc non représentatif de l’ensemble des français ! C’est une bande de copains de Neuilly qui se sont emparés de la France et qui font la loi à leur manière, avec tout le mépris que leur classe sociale voue aux simples salariés. je comprends mieux à présent le bordel généralisé dans notre pays, et les affronts continuels contre le peuple !
– ensuite, que le père et le mari de Pécresse accumulent des fonctions tellement importantes, qu’il n’est pas possible de les mener toutes de front. Ce qui signifie qu’ils empochent le pactole, en payant à un autre niveau des sous-fifres pour faire leur boulot. Ni vu ni connu, tout bénéf pour les pontes. Et quand on est normalement constitué, ce n’est pas possible. Alors, j’ose le dire ces gens-là me daillent sérieux ! Ils ont des titres ronflants, profs de fac pour la façade, et par derrière ils vivent comme des maffieux. Et pendant ce temps, madame est croyante pratiquante et prie "pourvu que ça dure".
– je note aussi que Pécresse a su lire dès 4 ans, sans doute grâce à l’aide de sa mère, qui non seulement avait bien compris que c’est par l’instruction qu’on peut éviter la misère, mais qu’en plus, tant qu’à faire, il fallait viser le plus loin et plus haut possible afin d’avoir la certitude de décrocher un bon boulot, tout en préservant les acquis de la famille (prestige du grand père médecin de Chirac, un autre résistant puis maire en Corrèze. Voir sur Wikipédia).
Ce qui donne parfaitement raison et légitimité à tous les étudiants qui sont actuellement en grève. Il faut croire que la liberté de choisir sa voie et le travail sont au bout des études. C’est pas Pécresse qui dira le contraire. surtout pas elle.
– ben dites, c’est pas donné à tout le monde d’entrer à HEC une fois passée la barrière de la sélection : 15 500 € (année 2009/10). Comme quoi pour ce qui est de l’égalité, on pourra toujours repasser !
http://www.hec.fr/Masteres-Specialises/Accueil-MS-HEC-temps-plein/Financement