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lettre à Chirac sur CESEDA, co-signée par ligues des droits de l’homme d’Afrique et du Maghreb
Publie le mercredi 31 mai 2006 par Open-PublishingUne lettre FIDH/LDH à Chirac sur CESEDA, co-signée par plein de
ligues des droits de l’homme d’Afrique et du Maghreb
Lettre ouverte à Monsieur Jacques Chirac
Paris, le 30 mai 2006
Monsieur le Président,
Nous nous adressons à vous en tant que garant du respect des
engagements internationaux souscrits par la France et des principes
fondateurs de la République française par lesquels elle s’engage à
défendre et promouvoir le respect des droits de l’Homme en France et
dans le monde. Or, il apparaît que le projet de loi réformant le code
d’entrée et de séjour des étrangers et le droit d’asile, adopté par
l’Assemblée Nationale et prochainement examiné au Sénat, porte
gravement atteinte à ces engagements et à ces principes.
Nous représentons des organisations issues de la société civile qui
travaillent, parfois dans des conditions difficiles et périlleuses
pour certaines d’entre elles, à la construction d’un Etat de droit et
au respect des libertés individuelles et collectives. Nous sommes aux
côtés de tous ceux et toutes celles dont les droits sont bafoués.
Certains d’entre eux sont contraints de quitter leur pays, soit parce
que leur liberté ou leur vie est soumise à l’arbitraire de régimes
dictatoriaux, soit, plus simplement, parce qu’ils ne peuvent plus y
survivre.
Nous n’ignorons pas la complexité de ce sujet qui mêle la France,
l’Europe, le monde, et qui ne peut être abordé à coup de slogans ou
en flattant une xénophobie toujours grandissante.
Notre propos n’est pas de plaider pour des solutions qui ignorent
toutes contraintes, mais d’affirmer avec force notre refus que les
victimes de ces situations déjà intolérables soient considérées comme
des délinquants et des parias.
De nombreuses associations ont montré en quoi ce projet de loi, ainsi
que deux textes récents ayant la même finalité, constituent autant de
violations des engagements internationaux de la France, mais vont
aussi contribuer à aggraver les situations déjà existantes.
C’est d’abord le droit d’asile qui est réduit à une caricature
d’application de la Convention de Genève. Aujourd’hui, être demandeur
d’asile, c’est d’abord être un suspect de fraude. Jamais l’on a vu
autant les principes de cette Convention foulés aux pieds, ainsi
d’ailleurs que le Haut commissariat aux Réfugiés, à sa manière, s’en
est ému. Derrières les discours officiels garantissant l’exercice du
droit d’asile, c’est en fait une confusion entre l’exercice d’un
droit inaliénable et la question de l’immigration à laquelle se livre
le gouvernement français.
Nous n’acceptons pas que le droit d’asile soit transformé en une
variable d’ajustement des politiques d’immigration. En agissant
ainsi, la France viole, non seulement la Convention de Genève, mais
les principes qu’elle avait offerts au monde dès 1789.
Le projet de loi qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale
s’inscrit dans un processus qui, depuis trois ans, isole les
ressortissants des pays étrangers, et notamment des anciennes
colonies de la France et réduit leurs droits. De plus, c’est le
statut même des étrangers en situation régulière qui a été fragilisé
au bénéfice, sans cesse renforcé, d’un arbitraire de l’Etat. Les
dernières dispositions proposées exposent très clairement que la
France s’appropriera les personnes les plus formées selon ses
besoins, et uniquement selon ses besoins.
On ne peut exprimer plus crûment une volonté impériale qui réaffirme
la primauté de la force sur le droit.
En durcissant considérablement le droit de vivre en famille, en
rabotant les possibilités d’intégration, en créant de nouvelles
situations inextricables qui ne feront que renforcer le nombre de
personnes sans papiers mais non expulsables, en restreignant la
possibilité de se marier entre français et étrangers (même
européens), la loi présentée par le Ministre de l’Intérieur ne fait
que flatter une xénophobie et un racisme dont l’avis de la Commission
nationale consultative des droits de l’Homme montre l’impressionnante
progression.
La logique intrinsèque de telles dispositions, c’est de désigner
l’Autre, celui qui n’a pas l’apparence d’un « Français » comme un
fraudeur et le responsable des maux qui atteignent notre société. Ce
sont les mêmes hommes politiques qui ont ainsi cru devoir expliquer
la crise sociale des banlieues par la polygamie et l’immigration.
Et cette folle logique ne peut que conduire aux pires
représentations. Les enfants étrangers scolarisés en France sont donc
devenus, à entendre le Ministre de l’Intérieur, une « filière ». Ce
ne sont plus, des familles, des gamins ou des adolescents, ce sont
des réseaux assimilés à des bandes criminelles alors qu’ils ne sont
coupables que de vouloir vivre. Que pensent, Monsieur le Président,
des enfants lorsque des membres des forces de l’ordre viennent se
saisir de leurs camarades parce qu’ils sont dénués de papiers ?
Comment, dans ces conditions, désapprouver ceux et celles qui, en
France, au nom de principes internationalement reconnus et admis, ont
décidé de refuser ce déni d’Humanité et de restituer à ces enfants, à
ces jeunes, leur existence en les protégeant, fût-ce en violant la loi ?
La portée inique de ce projet est perçue comme telle par tous les
partenaires de la France et en particulier les pays d’émigration dont
plusieurs de nos organisations sont issues. Les récentes
manifestations auxquelles a donné lieu un déplacement du Ministre de
l’Intérieur en sont un premier symptôme. Il y en aura d’autres. Si
l’on peut croire, avec un certain cynisme, que la distribution
d’aides suffira à estomper ces protestations, c’est oublier qu’être
traité de cette manière laissera des traces profondes chez tous les
peuples.
Aucun de ces peuples n’oubliera le mépris dont il est l’objet pas
plus qu’il n’oubliera qu’il est devenu un instrument dans la
perspective de la prochaine élection présidentielle.
Vous le comprenez, c’est notre indignation et notre révolte que nous
vous exprimons. Nous en appelons à votre autorité et à votre
conscience afin que ce projet soit retiré et qu’un réel débat
démocratique puisse avoir lieu sur ce sujet.
Pour notre part, nous mettrons tout en œuvre pour porter assistance
aux victimes de cette politique. Nous serons aussi présents dans tous
les forums internationaux pour rappeler à la France qu’elle ne peut
tout à la fois porter l’image de la « patrie des droits de l’Homme »
et instituer des lois et des pratiques qui les méprisent aussi
évidemment.
C’est pourquoi, nous vous demandons d’ores et déjà, en même temps que
le retrait de ce texte, que la France ratifie la Convention
internationale sur le droit des travailleurs Migrants et de leurs
familles.
Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de
notre haute considération.
Jean-Pierre Dubois,
Président de la ligue française des droits de l’Homme
Sidiki Kaba,
Président de la Fédération internationale des ligues des droits de
l’Homme
Signataires :
. Ghechir BOUDJEMA, Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADH)
. Houcine ZEHOUANE, Ligue algérienne de défense des droits de
l’Homme (LADDH)
. Abdelhamid AMINE,Association marocaine des droits humains (AMDH)
. Amina BOUAYACH, Organisation marocaine des droits humains (OMDH)
. Mokhtar TRIFI , Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH)
. Sihem Bensedrine, Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT)
. Roger Bouka, Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH)
. Amourlaye TOURE, Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH)
. Patrick NGOUAN, Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDO)
. Brahima KONE, Association malienne des droits de l’Homme (AMDH)
. Boukounta DIALLO, Organisation nationale des droits de l’Homme
(ONDH), Sénégal
. Tine ALIOUNE, Rencontre africaine pour la défense des droits de
l’Homme (RADDHO), Sénégal
. Fatimata MBAYE, Association mauritanienne des droits de l’Homme (AMDH)
. Julien TOGBADjA, Ligue pour la défense des droits de l’Homme
(LDDH), Bénin
. Chrysogome ZOUGMORÉ, Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et
des peuples (MBDHP)
. Amigo NGONDE, Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO),
République Démocratique du Congo
. Dismas KITENGE SENGA, Groupe Lotus, République Démocratique du Congo
. Paul NSAPU, Ligue des électeurs (LE)
. Massalbaye TENEBAYE, Ligue tchadienne des droits de l’Homme
. Jacqueline Moudeina, Association tchadienne pour la promotion et la
défense des droits de l’Homme (ATPDH)
. João CORREIA, Civitas, Portugal
· Dan VAN RAEMDONCK, Association européenne pour la défense des
droits de l’Homme (AEDH)