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proposition d’article sur la télésurveillance

Publie le lundi 10 mars 2008 par Open-Publishing

J’ai pris connaissance des études britanniques sur la télésurveillance (de loin les plus abouties) en écrivant un rapport pour le compte de la Commission Justice des Verts (dont je ne suis pas membre). Je me propose d’écrire un article sur ce sujet (d’une longueur à spécifier) pour votre publication, afin de rendre accessibles les résultats de ces travaux au public francophone.
Ce qui suit est une courte introduction sur le sujet, un résumé de mon rapport, et une bibliographie succinte.
cordialement,
Noé le Blanc

A l’heure où François Scellier, le président (UMP) du conseil général du Val-d’Oise, se réjouit “de voir que [ses] idées en matière de vidéo-protection ont conquis tout le monde” , où Christian Vanneste, premier adjoint et candidat socialiste à la mairie de Tourcoing, se félicite que “la ville de Tourcoing ait mis en place la vidéosurveillance bien avant d’autres villes” , et où Bertrand Delanoë prétend “assurer la sécurité de tous” en installant à Paris des caméras de surveillance “dans le respect strict des libertés individuelles” , il semble opportun que le public français puisse mener une réflexion informée sur le sujet de la vidéosurveillance.

Or, il existe un pays où les caméras de surveillance fleurissent depuis maintenant plus de quinze ans : la Grande-Bretagne, qui compte au moins 4,2 millions de caméras, dont 500 000 pour la seule ville de Londres – soit une caméra pour 14 habitants. Cette extension sans équivalent du réseau de télésurveillance a fourni un vaste champ d’étude et d’expérimentation aux criminologues britanniques, qui ont multiplié les rapports sur le sujet à partir de la fin des années 1990. Une analyse approfondie de ces travaux devrait s’imposer aux décideurs publics français comme un préalable obligé à toute installation de caméras sur le territoire national.

Ce que l’on découvre en effet en lisant ces rapports, c’est la remarquable unanimité avec laquelle ils dénoncent la vidéosurveillance comme une fausse solution, sans effet notable sur le taux de criminalité. C’est en particulier la conclusion que livre le plus complet de ces travaux (et un des plus récents), Assessing the Impact of CCTV, des criminologues de l’université de Leicester, Angela Spriggs et Martin Gill. Commandité par le Home Office (ministère de l’Intérieur britannique) et publié en février 2005, ce rapport étudie 13 systèmes de télésurveillance sur 176 pages et aboutit à la conclusion que “la télésurveillance est inefficace : la majorité des réseaux n’a pas provoqué une baisse de la criminalité, et même quand il y a eu baisse, cette baisse n’a principalement pas été le fait des caméras de surveillance” . Ce résultat ne fait que confirmer ce qui avait été établi précédemment par d’autres chercheurs : en août 1999 déjà, le professeur Clive Norris, de l’université de Sheffield, témoignait devant les parlementaires anglais de l’inefficacité des caméras en des termes sans équivoque : “les résultats montrent que l’idée selon laquelle les caméras de surveillance sont une baguette magique pour combattre le crime équivaut à prendre ses désirs pour la réalité” .

A la lumière de ces travaux, force est de constater que la mise en place des réseaux de vidéosurveillance a surtout été un vaste gaspillage d’argent public. L’enthousiasme (pour ne pas dire l’hystérie) qui continue pourtant d’accompagner l’installation de caméras trahit ainsi une volonté dogmatique (c’est-à-dire dont le pragmatisme est absent) de traiter les problèmes sociaux par la répression plutôt que par le dialogue – volonté dont les caméras sont les lugubres symboles.

Voici un résumé de mon rapport, qui s’appuie sur la lecture de plus d’une dizaine de travaux universitaires, ainsi que sur des comptes-rendus officiels et sur des articles de presse :

Assessing the impact of CCTV établit que les installations de vidéosurveillance ne réduisent pas la criminalité, pas plus qu’elles ne contribuent à créer un plus grand “sentiment de sécurité” chez les riverains. Ces résultats n’ont rien de nouveau, ni de surprenant, et ne font que confirmer en les généralisant ce que d’autres rapports ont pu démontrer précédemment. Le manque d’efficacité des caméras est en partie dû à des problèmes techniques : éclairage de nuit insuffisant, ou au contraire éblouissant ; disposition hasardeuse des caméras ; obstacles qui bloquent leur champ de vision ; choix de caméras fixes ou mobiles, dont les caractéristiques diffèrent.

Les problèmes tiennent cependant avant tout à la gestion des réseaux : peu d’écrans par caméras, peu d’opérateurs par écrans ; manque de formation des opérateurs ; mauvaise coordination des opérateurs avec les services de police. Plus problématique encore, le fait que les objectifs assignés aux réseaux de vidéosurveillance soient le plus souvent vagues, irréalistes, et même contradictoires. Il est ainsi impossible d’attendre des caméras qu’elles détectent les délits tout en dissuadant les contrevenants de passer à l’acte. L’opacité des objectifs aboutit à une mise en place confuse des réseaux.

Par ailleurs, la vidéosurveillance déplace plus qu’elle ne supprime la criminalité. La surveillance discriminatoire est la règle, plutôt que l’exception : en l’absence de définition précise de ce qui constitue un “comportement suspect”, le visionnage reflète largement les préjugés des opérateurs. Les femmes font beaucoup plus l’objet d’un visionnage voyeuriste que d’une surveillance de protection. La rentabilité en termes de délit prévenu par caméra est très faible. La présence de caméras n’influe pas non plus sur le taux de résolution des délits.

TABLE DES MATIERES :

La télésurveillance en question

1. Effets de la télésurveillance
1.1. Résultats de l’enquête Assessing the impact of CCTV
1.2. Des résultats qui confirment la règle
1.3. Effet sur le “sentiment de sécurité”

2. Une inefficacité prévisible
2.1. Difficultés techniques
2.2. Problèmes de gestion du réseau
2.3. Des objectifs vagues et irréalistes
2.4. Des objectifs contradictoires
2.5. Déplacement plutôt que suppression des délits
2.6. Pratiques discriminatoires, ennui, voyeurisme

3. Coûts de la télésurveillance

Bibliographie non exhaustive :

Armitage, Rachel - To CCTV or not to CCTV ? A Review o f Current Research into the Effectiveness of
CCTV Systems in Reducing Crime, 2002.

Brown, Ben - CCTV in Town Centres : Three Case Studies, 1995.

Bulos, Marjorie & Sarno, Christopher - Codes of Practice and Public Closed Circuit Television Systems, London Local Government Information Unit, 1996.

Ditton, Jason & Short, Emma - Yes it works, no, it doesn’t : comparing the effects of open-street CCTV in two adjacent town centres., Scottish Centre for Criminology, 1999.

Gill, Martin & Spriggs, Angela - Assessing the impact of CCTV, 2005.

Gill, Martin & Turbin, Vicky, Evaluating “Realistic Evaluation” : Evidence from a Study of CCTV, Scarman Centre, University of Leicester, 1998.

Hempel, Leon & Töpfer, Eric -Urbaneye Working Paper 1, Inception report, Centre for Technology and Society, Technical University Berlin, 2002.

Norris, Clive & Armstrong, Gary - The Maximum Surveillance Society : The Rise of CCTV as Social Control, 1999.

Norris, Clive & Armstrong, Gary - CCTV and the Social Structuring of Surveillance, 1999.

Norris, Clive & Armstrong, Gary - The unforgiving Eye : CCTV surveillance in public space, Centre for Criminology and Criminal Justice at Hull University, 1998.

Smith, Gavin. - Behind the Screens : Examining Constructions of Deviance and informal Practices among CCTV Control Room Operators in the UK, 2004.