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Le sous-prolétariat de l’ombre

par Ian

Publie le jeudi 9 février 2012 par Ian - Open-Publishing

Imaginez au coeur de notre pays, des hommes et des femmes qui travaillent. Leur salaire minimum horaire est égal à moins de 50% du SMIC de l’année N-1, ça c’est pour les plus chanceux, celles et ceux qui ont un salaire fixe, car beaucoup sont uniquement rémunérés "à la pièce". Ces hommes et ces femmes n’ont de congés payés, pas d’assurance chômage, pas d’indemnités maladie ou accident de travail, pas de cotisation retraite. Ils sont souvent payés encore moins que la norme, ont souvent des horaires variables, n’ont pas de contrats de travail avec l’entreprise qui les exploite ainsi. Pour expliquer cela, il faut dire qu’ils n’ont ni le droit de grève, ni de droit syndical. Il ne s’agit pas d’une uchronie, pas du dernier rêve de Parisot, ni de clandestins victimes de réseaux illégaux. Ces hommes et femmes, sur tout le territoire français, travaillent dans ces conditions parfaitement légalement, pour des entreprises qui vantent même leur profil social. Il s’agit de prisonniers et prisonnières.

Aujourd’hui, une séance un peu spéciale des prud’hommes devait se tenir (finalement renvoyée au 12 septembre). Une détenue a osé utiliser les outils à la disposition des citoyens français et porter plainte pour licenciement abusif auprès de MKT, l’entreprise pour laquelle elle travaillait en prison. Ces chances de gagner sont très faible, tant les droits du travail ne s’appliquent pas aux taulards (les avocats de la détenue tenteront de faire jouer le fait qu’il existe concrètement les 3 éléments
matériels nécessaires à une relation salariale à savoir la prestation
de travail, la rémunération et le lien de subordination juridique qui justifierait un CDI)
, mais cette affaire aura au moins l’avantage de mettre un peu en lumière une réalité méconnue, et, surtout, elle montre qu’on peut être au placard, déshumanisé, privé de ses droits, et malgré tout garder la tête haute et se battre. Un message important pour tous les taulards mais aussi pour toutes celles et tout ceux qu’on essaye de priver de moyens de défense (sans-papiers, intérimaires, précaires, femmes de chambre) mais qui malgré tout mènent de nombreuses luttes ces temps-ci.
Pour se donner une idée des conditions de travail en prison, on peut lire un rapport de visite à la maison d’arrêt de Versailles (p 24 à 28 sur le travail). Intéressant également (atterrant serait peut-être un mot plus juste), ce texte du blog ban public et celui-ci tirés d’un autre blog nous en apprennent beaucoup sur le monde où le droit du travail n’existe pas.

Le travail des détenus n’est qu’une des illustrations du travail de déshumanisation des prisonniers et prisonnières. On ne peut pas se contenter de réclamer l’application du droit du travail en prison, puis laisser ces êtres humains à leurs conditions de non-citoyens. Cependant, c’est une question primordiale. Travailler dans des conditions décentes permettrait une amélioration nécessaire des conditions matérielles et morales de détention. Surtout, cela redonnerait un statut de travailleurs à ces êtres humains, les redonnerait leur légitime appartenance à la classe ouvrière, leur redonnerait des outils pour se battre. Car une des données du problèmes est là. La déshumanisation des taulards (surtout des longues peines) à en grande partie eut raison des luttes des prisonniers de droits communs (les politiques, de par leur appartenance à une mouvance extérieure, les combats auxquels ils participaient déjà antérieurement, les liens et soutiens organisés qu’ils gardent, seraient à traiter à part). Celles-ci sont aujourd’hui rares et d’autant plus invisibilisées, que le mouvement ouvrier organisé les ignore généralement superbement, entrant ainsi dans le jeu du pouvoir. La lutte pour l’application du droit du travail en cabane permettrait également de concerner les travailleurs et travailleuses dits libres qui subissent de fait une pression sur leurs conditions de travail du même ordre que le chantage à la délocalisation (de l’aveu même de l’entreprise MKT sur leur site internet, "la production au sein des établissements pénitentiaires apporte
une solution très concurrentielle par rapport aux deux autres modes de
production traditionnels" comprendre les plateformes en France et celles délocalisées
). L’auteur Gonzague Rambaud parle d’ailleurs de délocalisation sur place.
L’émancipation des prisonniers viendra des prisonniers eux-mêmes, c’est sûr. Mais quand on est au ballon, c’est pas simple de se battre, on a plus de droits, plus même le sacro-saint droit à la liberté d’expression. D’où l’importance de relayer leurs combats pour la dignité humaine depuis l’extérieur.

Les organisations politiques doivent se saisir de la question des taulards, utiliser la présidentielle pour la médiatiser, s’en faire l’écho dans leur presse, organiser des conférences, des expos sur le sujet. Les syndicats doivent prendre en compte ces milliers de travailleurs (en 2008, ils étaient plus de 16000) dans leur activité qui n’est pas censée exclure de catégories de travailleurs, il faut multiplier les modalités d’alerte, les manifestations et parloirs sauvages (sous les fenêtres des prisons), leur montrer que dans leurs cages, ils ne sont pas seuls, que s’ils se battent ils ne seront pas seuls.

Je l’ai dit, une des principales atrocités à l’encontre des taulards concerne la liberté d’expression, il est plus facile pour le système de faire comme si ces personnes qu’on enferme n’existaient plus, de nier cette zone de non-droits et quand on t’apprend pendant des années à fermer ta gueule, tu gardes le pli, sans compter que la prison est considérée comme honteuse pour les détenus et proche de détenus (mais pas pour ceux qui créent et gèrent ces prisons !) ce qui fait que beaucoup d’anciens détenus ou de proches continuent à se taire. D’où l’importance pour ceux qui sont dehors d’aider à propager la parole des enchristés et de leurs proches, voici quelques adresses sur la toile qui y participent :


 le journal l’envolée, journal anticarcéral.

 un forum pour familles et amis de prisonniers


 sur prisons 2 France : témoignages d’anciens détenus.

 Nous Femmes de Détenus (NFD) : témoignages de détenus et ex-détenus.

 sur ban public : nombreux témoignages

 NFD, le forum

 prison.free (ce n’est pas une blague) publie aussi pas mal de témoignages.

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source : http://red-and-rude.blogspot.com/2012/02/le-sous-proletariat-de-lombre.html