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Bolivie : Le gouvernement bolivien va relancer la réforme agraire

Publie le mercredi 19 avril 2006 par Open-Publishing

Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine

Le gouvernement bolivien d’Evo Morales cherche à réorienter et à accélérer la réforme agraire pour inverser la situation de la concentration de terres entre peu de mains, la spéculation, le trafic et le transfert de propriétés à des étrangers.

de Franz Chávez

« Le nouveau gouvernement a la légitimité démocratique nécessaire pour prendre des mesures pour une réforme agraire en profondeur, moyennant une réorganisation préalable des institutions chargées de redistribuer la terre, qui furent occupées par de notables, représentants de l’ « agro-pouvoir » des entreprises et des propriétaires terriens », a déclaré à IPS Alfredo Rada, vice-ministre de la Coordination avec les mouvements sociaux.

Depuis son bureau au palais du gouvernement, Rada mène la difficile tâche de réorganiser une réforme agraire quasiment paralysée face à l’influence du grand négoce agricole établi dans la région orientale de Santa Cruz.

Morales annulera des décrets approuvés par ses prédécesseurs Gonzalo Sánchez de Lozada (1993-1997 et 2002-2003), Hugo Banzer (1971-1978 et 1997-2001) et Carlos Mesa (2003-2005) parce qu’en autorisant la concentration de terres, leur contenu constitue un retour en arrière, a expliqué Rada.

La loi 1.715 du Service national de la réforme agraire, a été promulguée le 18 octobre 1996 afin de matérialiser une juste distribution de la terre, une aspiration consacrée dans des lois, mais postposée pendant des décennies en Bolivie.

En neuf ans, selon les dernières données de l’Institut national de la réforme agraire (INRA), l’État bolivien, dans le cadre de cette norme, n’a régularisé que 14 millions d’hectares, soit 13,1% des 107,2 millions [d’hectares] de terres destinées à la production agricole et à l’exploitation forestière. A ce rythme, selon des analystes, il faudra encore 66 ans pour mener à bien une tâche constamment empêchée par des intérêts économiques et politiques.

En octobre de cette année, le délai accordé par la loi pour régulariser des propriétés communales (des peuples indigènes) et de production prendra fin, mais même si 74 millions de dollars ont été investis avec l’assistance financière d’organismes internationaux, le processus semble être arrêté.

« Il a manqué à cette loi, la volonté politique pour être appliquée, mais maintenant on attend une décision radicale, ferme et respectueuse de la loi », a déclaré à IPS Miguel Urioste, président de la Fondation non gouvernementale « Tierra ».

La loi établit des procédures pour éliminer le latifundio improductif [1], réviser et mettre à jour le droit de propriété de toutes les terres des petits propriétaires et des grands entrepreneurs, a rappelé l’expert.

L’arrivée à la Présidence du leader indigène et paysan Evo Morales, le 22 janvier, a réveillé des sentiments de revendications des communautés indigènes qui réclament l’expulsion de chefs d’entreprise et de citoyens brésiliens et paraguayens qui se disent propriétaires de larges territoires à la frontière nord et nord-est avec le Brésil.

La loi bolivienne interdit à des citoyens étrangers de posséder des propriétés dans une zone frontalière de 50 kilomètres, ce qui encourage les organisations indigènes et paysannes à réclamer l’expropriation des ces terres en leur faveur.

Le député Isaac Ávalos, du parti de gauche au pouvoir, le Mouvement vers le socialisme (MAS), a fait savoir que quelque 600.000 hectares ont été occupés de manière illégale, et le ministre du Développement rural et agricole, Hugo Salvatierra, a annoncé la récupération de propriétés accordées en marge de la loi.

Le parquet, des autorités de la migration et des policiers sont mobilisés par ordre du gouvernement afin de vérifier des dénonciations sur la présence illégale de citoyens étrangers dans cette zone frontalière, en particulier dans les provinces Germán Bush et Angel Sandoval, du département oriental de Santa Cruz.

Ceci peut être l’épreuve de feu pour le gouvernement de Morales, qui a obtenu dans les urnes 53,7% des suffrages.

Selon Rada, le gouvernement, avec le soutien des forces armées, « rétablira la souveraineté sur les zones envahies par des citoyens étrangers et nous le ferons de manière décidée ».

Sur le terrain diplomatique, le gouvernement exposera le problème au président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, en sollicitant sa coopération pour éviter des ventes illégales de terres et le trafic de ressources naturelles comme l’or, le bois, etc., disponibles dans l’Amazonie bolivienne.

En entamant son mandat de cinq ans, Morales a exprimé son intérêt à promouvoir une distribution juste de la terre, et a pris en exemple ces propriétaires qui possèdent une vache pour brouter sur 50.000 hectares.

Au début du mois de mars, Morales a lancé un appel aux grands propriétaires terriens pour qu’ils partagent leurs terres improductives avec des paysans pauvres, mais il a signalé en même temps qu’il était d’accord avec l’occupation violente de propriétés, promue par le Mouvement sans terre (MST) [2].

Morales a garanti aux chefs d’entreprises la reconnaissance par l’Etat des propriétés productives de 1.000 à 5.000 hectares ayant une fonction économique et sociale.

La réforme agraire de 1953, née de la révolution de 1952, a été affectée par la corruption et la pression de groupes de pouvoir. Selon une étude de la Fondation Tierra, en 1996, 55 millions d’hectares avaient été remis à des propriétaires terriens, et 45 millions d’hectares à des paysans.

Du fait de cette distribution inégale, l’organisme chargé d’accorder des concessions de terres a été démantelé en 1992. En 1996, il fut remplacé par l’INRA, créé par la loi 1.715. Mais ce nouvel organisme n’est pas parvenu à faire mieux que le précédent.

En 2000 est né le MST, inspiré du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil. Sa première action a été l’occupation d’une grande propriété appelée Pananti, dans le département méridional de Tarija. Mais, suite à l’action d’un escadron illégal formé par les propriétaires terriens, l’expérience s’est terminée le 9 novembre 2001 par la mort de six paysans.

Du mardi 7 mars au vendredi 10 mars, les problèmes de la possession de la terre ont été débattus lors de la seconde Conférence internationale sur la réforme agraire et le développement rural de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui a eu lieu dans la ville brésilienne de Porto Alegre.

Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), 100 familles possèdent à elles seules 25 millions d’hectares, alors que deux millions de familles paysannes ont seulement accès à cinq millions d’hectares.

Selon le recensement de 2001, 3 millions des 8,2 millions de Boliviens, vivent en zone rurale.

Mais les mesures administratives ne mettront pas un point final aux problèmes de la terre. Urioste estime que ce sera l’Assemblée constituante, qui aura lieu en août de cette année, qui sera chargée d’examiner la question de la propriété de la terre et des ressources naturelles comme les forêts, l’eau, l’air, les minéraux, le pétrole et le gaz.

 »Ce seront les principaux thèmes du débat et en particulier le droit à la propriété de la terre qui, selon la Constitution, appartient à l’État et non à une région, un secteur social ou patronal », a affirmé Urioste.
Notes :

[1] [NDLR] Grande extension de terre rurale, en friche ou non cultivée.

[2] [NDLR] Sergio Ferrari, Le mouvement sans terre en Bolivie, RISAL, 24 septembre 2004.

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous :

Source : IPS Noticias ( www.ipsnoticias.org/ ), 7 mars 2006.

Traduction : Diane Quittelier, pour RISAL ( www.risal.collectifs.net/ )

www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1699