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Elections partielles au Venezuela affliction totale pour l’opposition

Publie le samedi 27 mai 2006 par Open-Publishing

Elections partielles au Venezuela affliction totale dans l’oppositionn c’est l’histoire qu’on vous raconte là pour contribuer à votre édification

de Numancia Martínez Poggi

L’année 2006 est une année électorale continentale qui a commencé fin 2005 avec la victoire écrasante d’Evo en Bolivie ; plusieurs pays doivent encore choisir leur président, très bientôt le Pérou, la Colombie, puis les deux géants, le Mexique et le Brésil, et, géant symbolique, le Nicaragua. Le 3 décembre 2006 il y aura aussi l’élection présidentielle vénézuélienne. Chávez est largement favori. Il oscille dans les sondages, jamais amicaux, entre 60% et 68%, un chiffre hors du commun pour un président qui en est à sa septième année aux commandes. Normalement les présidents latino-américains s’« usent » plus vite. Une dizaine de candidats de l’opposition se partagent le reste des faveurs de l’électorat. Toutes les « tendances » sont représentées, à l’exception du parti Action Démocratique (AD), pilier de la IVème République.

Abstention ou abondance de candidatures

Tous les candidats de l’opposition sans exception défendent l’idée de la nécessité d’une candidature unique pour affronter l’« autocrate » Chávez. Les médias télévisuels, excepté la chaîne publique Venezolana de Televisión (Canal 8), prétendent que le président Chávez jouit d’un taux d’acceptation dans la population qui irait de 10% à 25% au grand maximum. L’opposition qui n’existe que par la grâce des médias prétend aussi que le président Chávez est très impopulaire et s’il n’y pas fraude il sera battu facilement. Dans ces conditions on a du mal à percevoir l’utilité de la candidature unique de l’opposition. C’est comme si en France il fallait une candidature unique au premier tour pour battre le Parti socialiste, qui a effectivement environ 20% de sympathisants en France. Absurde. Cette contradiction fabuleuse dans le discours enchevêtré de l’opposition n’est évidemment pas soulevée par les médias, médias français inclus, qui en sont les promoteurs entêtés.

L’ONG Súmate, organisation « non gouvernementale » publiquement financée par le gouvernement des Etats-Unis, prétend organiser des primaires pour choisir le candidat unique de l’opposition « démocratique ». María Corina Machado, amie de Bush, issue de la très réduite oligarchie traditionnelle, signataire du Décret Carmona en avril 2002 et patronne de l’OG Súmate, n’est pas encore elle-même candidate. Cependant ses fans, selon l’expression consacrée, la pressent amicalement de se présenter. Problème d’impartialité parmi les gens de l’opposition. Autre problème pour ces éventuelles primaires : Qui pourra voter ? Tous les Vénézuéliens ? Tous les militants de l’opposition ? Comment les sélectionner ? La liste Tascón va-t-elle enfin servir ? Les militants chavistes et les militants des partis de l’opposition défendant l’abstention pourraient facilement peser sur le choix du candidat de l’opposition. Etant donné le grand nombre de prétendants, huit inscrits à la primaire le mardi 23 mai 2006, le représentant d’un courant minoritaire pourrait arriver en tête. Cette primaire peut-elle donc comprendre un « deuxième tour » ?

Ces questions essentielles ne reçoivent jusqu’à aujourd’hui que des réponses évasives. Le candidat Teodoro Petkoff, girouette asymétrique déroutant avec son oiseux discours défendant une social-démocratie anti-MAS et anti-AD, une gauche pro-américaine, une démocratie putschiste à l’occasion, une gauche néolibérale toujours, etc., refuse encore pour l’instant le diktat de Súmate, tout en défendant bien sûr la nécessité d’une candidature unique de l’opposition. Roberto Smith, autre militant de l’opposition radicale pré-candidat déclaré à l’élection présidentielle, sans orientation politique identifiable, se tient également à l’écart de l’opération de Súmate : « Je ne participe pas à un concours de jolis visages » (« Ultimas Noticias », mardi 23 mai 2006). Les trois candidats les plus en vue, Petkoff, Julio Borges, du parti Primero Justicia, et Manuel Rosales, gouverneur du puissant Etat du Zulia et signataire du Décret Carmona, ont spectaculairement, avec tout le soutien des médias inutile de dire, scellé un pacte entre trois chevaliers décidés à œuvrer à l’unité de l’opposition. La première épreuve -comment affronter le problème Súmate ?- les a divisés.

Pour les élections de décembre 2006, toute l’opposition est cependant d’accord pour dire que le risque de fraude est très grand. Certains, AD par exemple, considèrent que la farce électorale est déjà montée par Chávez et que ce dernier va voler l’élection ; ils refusent donc de se présenter. D’autres disent qu’il faut, tout en menant la campagne politique, se battre pour que les conditions de transparence et de loyauté soient obtenues par la mobilisation populaire. Le dilemme pour l’opposition médiatique serait le suivant : faut-il participer et légitimer la perpétuation du « tyran » ou faut-il se retirer et céder l’espace politique au chavisme ? Le dilemme est bien réel ; la fraude n’est évidemment qu’un prétexte.

Comme les vieux cogollos d’AD boudent la campagne électorale, les nouvelles forces de la droite un peu modernisée, mais non totalement décomplexée, voudraient bien entendu sauter sur l’occasion pour prendre le leadership dans l’opposition. Primero Justicia (PJ), jeune droite, force montante dans l’opposition, défend férocement l’idée de la participation. Le candidat qui sera vaincu par Chávez, défaite annoncée même si l’opposition ne peut pas le reconnaître publiquement, pourrait en effet éventuellement se positionner en leader de l’opposition pour le futur. Ce n’est évidemment pas une garantie : Henrique Salas « Frijolito » Römer vaincu par Chávez en décembre 1998 a par la suite été mis à l’écart par l’opposition médiatique. Francisco Arías Cárdenas, compañero insurgé avec Chávez en 1992 contre la caste de la IVème République, candidat de l’opposition en l’an 2000, vaincu, avait par la suite été écarté par l’opposition médiatique. Homme de principes, désespéré par les secteurs fascistes dominants l’opposition, ce dernier s’est récemment rallié au chavisme. Silence médiatique, y compris en France, où les médias glosent à l’infini sur l’isolement du régime chaviste. Si leader des Tories David Cameron se ralliait à Tony Blair, leader des Travaillistes britanniques, oserait-on parler de l’« isolement » de ce dernier ?

Encombrante victoire locale

Dimanche 21 mai 2006 il y a eu deux élections partielles au Venezuela. L’hebdomadaire chaviste « Los Papeles de Mandinga » titre en première page le mardi 23 mai : « Victoire électorale, défaite politique ». Effectivement le discours de l’opposition sur la fraude annoncée pour l’élection présidentielle a du plomb dans l’aile. Une de ces deux élections partielles se déroulait à Carrizal, dans l’Etat de Miranda, cité dortoir un peu améliorée dans la lointaine banlieue de Caracas. Le Maire sortant, le militant adeco José Luis Rodríguez, l’emporte pour la quatrième fois, dans ce bastion d’AD, avec 6104 voix ; le candidat chaviste Luis Aponte obtenant 6028. La victoire s’est cette fois jouée à un cheveu : 72 voix. 6104 + 6028 = 12 132 ; 72 X 100 / 12132 = 0,59%. Les murs du bastion AD se craquèlent. Si ce ne fût la désastreuse division entre le MVR et le PPT, la municipalité où vit principalement une petite bourgeoisie d’employés -appelée « classe moyenne » au Venezuela- passait au Processus.

Henry Ramos Allup le secrétaire général du parti AD est allé sur place pour fêter la victoire avec le maire de Carrizal. Ramos Allup prône la non participation à l’élection présidentielle en invoquant différents prétextes : les machines captahuellas (détecteur des empreintes) doivent être retirées ; les machines permettant l’automatisation du vote doivent être supprimées pour laisser la place à un comptage manuel universel. Le problème pour Ramos Allup, ce que les commentateurs les moins fêlés de l’opposition n’ont pas manqué de remarquer, c’est que ces instruments ont donné la victoire au maire de Carrizal. Ces appareils ont d’ailleurs permis aux Vénézuéliens de connaître le résultat officiel exact et définitif à 19H30, alors que les bureaux de vote avaient fermé à 16H00. Ces machines permettent donc, non seulement d’éviter la fraude pratiquée avec entrain sous la IVème République, mais aussi de diffuser les résultats rapidement. Ces appareils auraient pu permettre d’éviter le triste spectacle du premier tour des élections péruviennes, voire le cirque orwellien offert lors de l’élection de Bush fils en l’an 2000.

Le maire de Carrizal déclare que le Conseil National Electoral (CNE), qui scandalise théoriquement les militants de l’opposition en raison de sa partialité pro-chaviste, a géré l’élection de façon claire et loyale. « Ultimas Noticias » (le mardi 23 mai 2006), l’un des rares quotidiens qui ne soient pas hostile au Processus révolutionnaire, signale que le maire « Rodríguez rejette les analyses qui attribuent sa victoire à une ‘‘manœuvre de sacrifice’’ du gouvernement national pour laver l’image du CNE et il a souligné la participation des carrizaleños, lesquels sont allés voter malgré les pronostics qui annonçaient une abstention de 75%. » Effectivement certains défenseurs médiatiques de l’abstention prétendent que cette mairie a été offerte par Chávez à AD pour légitimer le CNE et préserver la face démocratique de régime « autoritaire ». Ce n’est pas respectueux du tout pour les électeurs de Carrizal, et encore moins pour le maire élu, lequel évidemment proteste et refuse de jouer à qui perd gagne. Au vrai le parti AD n’est pas non plus disposé, pour de nombreuses raisons, à se passer des débris de pouvoirs locaux dont il dispose encore.

L’autre élection partielle, à Nirgua, municipalité rurale de l’Etat de Yaracuy, nous apporte également quelques enseignements. Comme souvent dans les bastions chavistes, l’opposition -invoquant le risque de fraude- ne présentait pas de candidat à Nirgua et les chavistes se présentaient divisés en deux blocs. D’un côté le chavisme officiel, les « grands » partis du Processus, entre autres Podemos, parti qui gère l’Etat de Yaracuy, le Mouvement Cinquième République (MVR), de Chávez, le parti Patria Para Todos (PPT), des ministres Alí Rodríguez et Aristóbulo Iztúriz ; et de l’autre côté le chavisme populaire aux racines socialistes beaucoup plus solides, héritées de l’opposition ancienne à la IVème République, avec entre autres le Parti communiste (PCV) et les Tupamaros. Cette dernière option, consolidation et radicalisation du Processus, s’est imposée : Luis Vásquez Fuentes l’emporte avec 54,4% sur Miguel César Sánchez. Dépasser la division locale tout en entendant la voix exprimée par le peuple de Yaracuy, tout le chavisme, et c’est heureux, fait la même analyse.

Consolidation continentale

Chaque jour qui passe consolide le Processus bolivarien. D’aucuns prétendent dépités que la popularité de Chávez au Venezuela et en Amérique latine est due à l’augmentation du prix du pétrole. Ceux qui diffusent cette analyse sommaire omettent de préciser que le Venezuela n’est modestement que le cinquième producteur de pétrole dans le monde. Pourquoi les pays plus richement dotés, ou aussi richement dotés, ne suivent-ils pas l’exemple de Chávez ? Est-ce qu’en Arabie saoudite, premier producteur mondial, l’analphabétisme a disparu, est-ce que la santé existe pour tous, est-ce que le panarabisme souverainiste est défendu vigoureusement et concrètement ? Non. Voilà ce qui explique l’impopularité de la monarchie pro-américaine, en Arabie Saoudite même et dans le monde arabe en général. Pour gagner en popularité, il faut autre chose que du pétrole, il faut des dirigeants politiques conscients et sensibles, qui changent radicalement leur relation avec l’impérialisme et la relation entre l’homme et l’économie. Est-ce que l’Arabie saoudite a connu une croissance record de près de 10% en 2005 ? Non. Le Venezuela si. Ce sont des orientations politiques qui déterminent de façon décisive la relation entre l’économie et la société ; ce ne sont pas des sortes d’aléas météorologiques qui décident de la prospérité ou de paupérisation des sociétés. Evidemment ces vérités élémentaires ne seront jamais diffusées par les medias des grands trusts internationaux qui ont pour objectif stratégique la destruction des Etats régulateurs sociaux dans le monde entier.

Par ailleurs, est-ce que les pays pauvres seraient condamnés à l’analphabétisme ? Cuba a montré que non, il y a bien longtemps. La Bolivie s’en va cette année démontrer le contraire également ; on verra certainement bientôt les médias français attribuer les avancées sociales de la Bolivie à ses immenses richesses, qui existent effectivement, et non à l’arrivée d’Evo et son gouvernement de la dignité.

L’hostilité acharnée du gouvernement Bush contribue par contre effectivement à renforcer l’attachement des peuples du continent pour de Chávez. Ils est perçu comme une boussole, comme l’homme fiable, digne dans son comportement, flexible dans ses relations et donc avisé dans ses décisions. Tous les peuples trouvent çà et là, tâtonnant parfois, s’engouffrant parfois, les voies de l’émancipation. Les peuples d’Amérique latine ont bien saisi que cette occasion historique est à saisir : avancer vers l’intégration populaire continentale c’est consolider dès maintenant le camp des forces anti-impérialistes et hâter l’heure de la souveraineté pour tous.

Au peuple vénézuélien, lancé dans les rues en février 1989 face au diktat néolibéral et face à la mitraille de l’oligarchie, on ne pourra jamais retirer la gloire d’avoir donné le signal de l’émancipation de tout un continent à laquelle nous assistons aujourd’hui. Cette reconnaissance envers le peuple de Bolívar ne signifie pas, au contraire, la méconnaissance du combat de tous. Ce combat sera plus long que la guerre d’Indépendance face à l’Espagne, mais le reporter ne ferait qu’en accroître le coût.