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Un homme a mordu un chien

Publie le samedi 7 octobre 2006 par Open-Publishing
4 commentaires

de Gideon Lévy

Dans toute leçon inaugurale de journalisme, on apprend ceci : un chien a mordu un homme, on n’a pas une histoire ; un homme a mordu un chien, on a une histoire. Aux yeux des Israéliens, un homme a mordu un chien à Gaza : ce sont des Palestiniens qui tuent des Palestiniens et pas, comme d’habitude, des Israéliens qui tuent des Palestiniens. Dès lors Gaza devient notre centre d’intérêt médiatique.

Subitement, une douzaine de tués à Gaza constitue une histoire en ouverture d’éditions et des images terrifiantes et sanglantes en provenance de la Bande de Gaza deviennent une marchandise journalistique âprement recherchée. Jamais une douzaine de Palestiniens tués n’avaient eu droit à une couverture pareille. Cela fait belle lurette qu’on n’a plus montré, chez nous, d’ambulances palestiniennes déchargeant cadavres et blessés. On parle maintenant chez nous d’ « escadrons de la mort » et de « cellules d’assassinats », mais, Dieu nous garde, pas des nôtres : celles-là, ce sont celles du Fatah, qui menacent d’assassiner les dirigeants du Hamas.

Le fait qu’Israël assassine quasi quotidiennement des militants du Hamas et du Jihad est comme oublié. On nous a même parlé d’une école qui a fermé à cause des incidents violents mais quand avez-vous entendu parlé des écoles qu’Israël a bombardées ?

Plus de 300 Palestiniens ont été tués dans la Bande de Gaza par l’armée israélienne depuis l’enlèvement du soldat Gilad Shalit, et pour la plupart d’entre eux, c’est à peine si on nous en a parlé à la télévision. Pendant des mois, l’armée israélienne se déchaîne dans la Bande de Gaza, assassine, bombarde en faisant appel à la force aérienne et à l’artillerie, et c’est à peine si les images et les sons nous en parviennent sur les écrans. La plupart des habitants de Gaza n’ont pas d’électricité depuis qu’Israël a bombardé la seule centrale électrique de la Bande de Gaza, mais ce n’est pas considéré comme une histoire, ça. Pas plus que les enfants innocents tués ou blessés, dont certains resteront à tout jamais paralysés et sous assistance respiratoire ; ni la terrible misère économique ; ni les monceaux d’ordures qui traînent à cause des grèves des travailleurs qui n’ont pas reçu leur salaire du fait du boycott imposé par Israël et le reste du monde. Gaza ne nous intéressait pas, en dépit du fait que la mort et la destruction étaient semées par l’Armée de Défense d’Israël, au nom de tous ceux qui regardent cette télévision qui est la nôtre.

Hier, le blocus médiatique a été levé. Tout à coup est apparu que Gaza avait une voix, une voix qui parle même un hébreu pas mauvais, et un déluge de compte-rendus faits par des journalistes et des hommes politiques palestiniens a submergé l’écran. Chaque programme d’actualités se trouvait son Mohamed chéri pour raconter ce qui se passe. Pourquoi ne les a-t-on pas interviewés auparavant, quand Israël tuait des Gazaouis ? Si j’avais été un journaliste palestinien, j’aurais, avec tout le respect, raccroché le téléphone au nez de ceux qui téléphonaient de la part de la télévision : où étiez-vous avant ça ? Même Shlomi Eldar, après un silence prolongé, a été retiré de la naphtaline où l’avait placé sa rédaction et il est retourné faire rapport depuis Gaza.

Derrière ce comportement honteux, les messages médiatiques sont transparents : regardez ces êtres bestiaux, comment ils tuent leurs frères ; regardez ce peuple, à la veille d’une guerre civile, ou peut-être en pleine guerre civile, alors pensez : est-ce avec lui que nous ferons la paix ? Avec la conclusion habituelle : il n’y a pas de partenaire. Mais même dans l’assaut médiatique d’hier, les vraies questions n’ont pas été posées : qu’est-ce qui a entraîné ces heurts sanglants et quelle part y a Israël ? Un million et demi d’habitants sont enfermés dans une énorme prison, la plupart sans revenus, au bord de la famine, désemparés devant les brutaux assauts israéliens venant de la mer, du ciel et de la terre ferme, avec un gouvernement impuissant, essentiellement à cause du boycott dont il fait l’objet depuis qu’il a été élu lors d’élections démocratiques. Les compte-rendus d’hier étaient marqués d’une feinte candeur parfaitement scandaleuse.

Les Ministres Amir Peretz et Benjamin Ben Eliezer ainsi que le chœur des commentateurs ont insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une affaire interne palestinienne. Vraiment ? Personne n’a posé de questions sur la responsabilité d’Israël dans cette affaire interne-là. Que pensions-nous qu’il se passerait à Gaza, bouclé et ensanglanté ? Israël a réalisé une expérience sur des êtres humains sans l’accord du « Comité supérieur d’Helsinki » [comité instauré par la Déclaration d’Helsinki concernant l’expérimentation portant sur l’être humain - NdT]. Israël a emprisonné des centaines de milliers de personnes dans une cage, il les a affamés, bombardés, et maintenant venez voir ce qui leur est arrivé. Cet effrayant reality show a réussi exactement comme prévu et la chose la plus attendue s’est produite : les prisonniers ont commencé à s’entretuer. Sauf qu’à la télévision, on ne nous a pas parlé de l’expérience mais uniquement de ses résultats.

Haaretz, 4 octobre 2006

www.haaretz.co.il/hasite/spages/770...

Messages

  • Pas une affaire intérieure palestinienne

    Amira Hass

    publié le jeudi 5 octobre 2006.

    L’expérience a réussi : les Palestiniens s’entretuent. Ils font ce qu’on attendait d’eux à la fin de cette longue expérience, dont l’intitulé est : que se passe-t-il lorsque l’on emprisonne 1,3 million de personnes sur un territoire fermé, comme des poulets dans un poulailler moderne ?

    http://bellaciao.org/fr/article.php...

    • Merci Gidéon. Tu es un grand bonhomme.

    • dommage vous avez répondu avant moi, !oui c’est un grand journaliste honnêteje lui ai envoyé un mail en septembre il a pris le temps de me répondre. et pour tout dire moi qui suis une "activiste" pour la reconnaissance des droits- de tous les droits-pour le peuple palestinien je traque ses écrits depuis des années les conserve jalousement, il me réconcilie avec ce que peut avoir de bon un journaliste comme lui.

      sam

  • Les bourreaux ont toujours adoré le moment du spectacle ou les victimes commencent à se déchirer entre-elles ; c’est même pour le vrai pervers le début de la jouissance...Cela devient vraiment interessant GAZA ! L’imbécile manipulé regarde le cadavre, c’est le gardien qui doit être mis sous les projecteurs et répondre de ses actes.Merci M LEVY
    Jacques RICHAUD