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Se rénover dans le mouvement européen ? Non...La myopie nationaliste de certains militants du PCF...

Publie le lundi 22 mars 2004 par Open-Publishing

Lettre ouverte d’André GERIN
à Marie-George BUFFET

Le 4 mars 2004

La direction du PCF nous trompe ou se trompe. La dilution du parti communiste français serait programmée pour le mois de mai ! L’information peut sembler incroyable. Alors que les militants mènent campagne pour les élections régionales et cantonales, la direction du PCF met la dernière main aux statuts du « parti de la gauche européen » dont le congrès fondateur doit se tenir à Rome, les 8 et 9 mai. Après quelle consultation des communistes ? Seul un congrès extraordinaire est souverain pour prendre une décision aussi importante que créer un autre parti.

Après avoir manoeuvré pour que le PCF n’aille pas à la bataille des régionales sous ses propres couleurs, après avoir monté en Ile de France une liste d’abandon de l’identité communiste, la direction s’apprête à mettre en oeuvre ce grand mot d’ordre, dans le plus grand catimini : « Le champ d’action politique majeur, c’est l’Europe » !
« Nous unifions le parti de la Gauche alternative et progressiste sur le continent européen », est-il écrit dans un préambule rédigé à Paris, le 24 janvier. « Nous nous référons aux valeurs et traditions du mouvement socialiste, communiste et ouvrier, du féminisme et du mouvement pour l’égalité des sexes, du mouvement pour l’environnement et le développement durable. »

Pourquoi ce trompe l’oeil européen ? Pourquoi un « parti de la gauche européen », véritable fourre-tout ? Dans une Europe à 25, pilotée par un directoire des puissants, la belle idée d’avenir d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural n’est-elle plus à l’ordre du jour de notre stratégie politique ? Cela mérite pour le moins un débat réfléchi et approfondi. Ne tournons pas autour du pot. La direction s’apprête-t-elle à passer outre en forçant les feux d’ici neuf semaines, dont trois de campagne électorale pour les régionales et la cantonales ?

Le « parti de la gauche européen » se veut un vrai parti avec un congrès souverain qui « adopte les documents fondamentaux », « décide des déclarations politiques », « des orientations communes pour les élections européennes » et « prend l’initiative de débats dans les partis ou organisations politiques membres ». A la supranationalité européenne que les communistes combattent depuis toujours, le « parti de la gauche européen » veut ajouter la supranationalité d’un parti. Une telle organisation rappelle la deuxième internationale qui a failli, malgré les appels pressants de Jaurès, le fondateur de l’Humanité !

Aux fructueuses coopérations que préconise le PCF, à l’internationalisme qui est une valeur fondatrice du mouvement communiste, le « parti de la gauche européen » veut substituer un super appareil. Le projet de statuts précise que le « parti de la gauche européen » sera dirigée par un(e) président(e), un bureau exécutif et un conseil des président(e)s. Les décisions pourront être prises « à la majorité qualifiée ». Un parti membre pourra « déclarer qu’il ne se sent pas lié par ladite décision, dès lors qu’il en a informé les autres partis avant que la décision ne soit adoptée. »

En clair, un parti en désaccord se trouvera dans l’obligation de lutter contre le « parti de la gauche européen », y compris dans son propre pays, si une orientation ne lui convient pas. C’est le droit de tendance poussé à la schizophrénie ! Il n’est nul besoin d’avoir fait de longues études de politologie pour voir les dégâts qu’une telle organisation peut engendrer au niveau des luttes et actions concrètes dans les entreprises, les cités, les quartiers, en France comme en Europe.

Sur quelles bases, le « parti de la gauche européen » prendra-t-il position ? Dans le projet de manifeste du « parti de la gauche européen », on lit : « Nous nous battons pour une société qui dépasse (souligné par les rédacteurs du projet) la logique capitaliste et patriarcale. » Le dépassement du capitalisme, on a vu le résultat avec la gauche plurielle ! Quant à associer le capitalisme et le patriarcat, en matière d’amalgame on peut difficilement faire mieux. Le concept marxiste de « capitalisme » n’est pas une épice que l’on peut saupoudrer sur n’importe quelle cuisine.

Sommes-nous confrontés à une volonté délibérée de saborder à brève échéance le parti communiste français, son originalité, son histoire ; d’abandonner la culture politique propre d’un parti qui a su, dans les tourmentes du siècle dernier, porter haut l’idéal du communisme en lien avec l’idéal républicain, dans l’héritage de la Révolution française ; d’un parti qui a fait un choix historique au congrès de Tours, en 1920 ?

Pourquoi cela ? Un quart de siècle de social-démocratie, cela fait des dégâts ! D’abandons en renoncements, l’appareil du PCF s’est fondu dans le moule d’institutions dont pourtant tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elles dépérissent. 50 % d’abstention, ce n’est plus la démocratie.

Comme le parti socialiste, qui essaie de nous resservir froid les plats du gouvernement Jospin, estimant que les électeurs ont eu tort de ne pas les apprécier, on peut juger que les abstentionnistes se mettent d’eux-mêmes hors-jeu. Le problème, c’est que ce sont les électeurs des milieux populaires qui désertent les urnes, ceux qui souffrent le plus durement de la politique de la droite et devant lesquels on agite frénétiquement le chiffon délavé de l’alternance.

Comment des révolutionnaires pourraient-ils faire l’impasse sur cette douloureuse question ? Comment rester sourd et aveugle à la misère économique, sociale, démocratique, culturelle dont souffrent des millions de gens dans notre pays. Il faut avoir le courage de dire aujourd’hui qu’il ne peut pas y avoir d’issue dans une alternance en 2007 qui rééditerait celle de 1997.

Pour battre la droite, il faut en finir avec les fausses espérances d’un jeu politicien qui n’intéresse plus que ceux qui s’y adonnent. Il faut retrouver le chemin de la lutte, de la solidarité, dans les entreprises, les quartiers, les cités. Il faut ensemble imaginer des formes nouvelles de pouvoirs et de contre pouvoirs pour faire barrage, partout où c’est possible, à l’indécente domination de la finance, ruineuse pour tout notre peuple.

De la même façon, il faut cesser d’imaginer un quelconque salut dans une fuite en avant européenne. Autant il faut se battre pour que l’Europe s’émancipe de la règle drastique de l’argent, autant il est clair qu’elle n’offre pas par elle-même la voie de cette émancipation.

Il est totalement vain de penser que l’on pourrait réussir actuellement en Europe ce que l’on est incapable de mettre en oeuvre si peu que ce soit dans notre pays. Et ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour chacun des pays européens.

La Nation demeure le cadre avancé pour l’émergence de nouveaux combats anticapitalistes et la marche vers le socialisme. Le communisme est une notion qui s’est forgée dans l’histoire, singulièrement en France, depuis la Révolution française et Babeuf. L’idéal communiste colle avec l’idéal national, l’un et l’autre ayant pour socle commun la souveraineté populaire. L’internationalisme, bien loin de conduire à l’amalgame, est l’_expression de cette souveraineté, libérée des enjeux de domination. Qui oserait dire aujourd’hui que l’Europe est autre chose qu’une effroyable machine à contraindre les peuples ?

Quand bien même on créditerait le « parti de la gauche européen » des plus louables intentions, il se verrait broyé en un rien de temps, faute de s’appuyer sur des partis révolutionnaires suffisamment solides dans chacun des pays européens. Faut-il considérer qu’il n’y a plus d’avenir pour des partis communistes en Europe, alors que les valeurs et les idéaux qui ont porté le socialisme et le communisme sont toujours renaissants et que le communisme n’a pas dit son dernier mot ?

La direction du PCF doit ajourner sine die tout projet de rallier le « parti de la gauche européen ». Elle doit mettre en débat la question, largement au sein du parti et organiser un congrès extraordinaire. Pour ma part j’appelle ce débat de mes voeux, un débat loyal et profond. J’ai confiance dans les militants communistes pour lui donner une tenue éminemment pédagogique et combative.

J’espère qu’il n’est pas trop tard. C’est l’existence même du PCF, d’un parti révolutionnaire en France qui est en jeu.

Que chaque adhérent soit acteur et décideur de ce choix stratégique vital !

André GERIN
Député du Rhone, Maire de Vénissieux.