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FROMM AVEC MARCUSE : UNE ETHIQUE BIOPHILE LIBEREE

Publie le lundi 24 décembre 2007 par Open-Publishing
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FROMM AVEC MARCUSE :
UNE ETHIQUE BIOPHILE LIBEREE

Une lecture « marcusienne » de l’éthique biophile d’Erich Fromm

Peut-on lire Fromm et Marcuse ensemble ? J’ai cru longtemps – naïvement ?- qu’il fallait choisir. Le premier s’inscrivait dans une tradition freudo-culturaliste à la portée critique réelle mais circonscrite alors que le second était un critique de la société capitaliste répressive. Plus tard j’ai pensé que l’on pouvait lire Fromm avec des « lunettes » marcusienne. Un tel « mariage » est-il rigoureusement possible ? Peut-être pas…

1- L’ETHIQUE BIOPHILE d’Erich Fromm.

La nécrophilie se déploie avec des intensités variables. Elle désigne au sens strict le goût prononcé pour la mort mais aussi de façon plus "douce" un goût pour ce qui est froid et mécanique. Préférer, sous l’influence de Thanatos, la « bagnole » aux fleurs n’est évidemment pas aussi morbide et dangereux que l’esprit et la pratique de destruction d’une fraction de l’humanité que Fromm décrit longuement chez Hitler . A un niveau intermédiaire, la nécrophilie manifeste une tendance à l’avilissement de soi et des autres. La sexualité placée sous le signe de thanatos cherchera à faire l’économie de la réciprocité, du consentement de l’autre, de sa participation, de son plaisir. Le prototype en est l’homme qui ne trouve son plaisir qu’avec une femme inconsciente (le nécrophile viole des femmes saoules comme si elles étaient mortes).

Par opposition, la biophilie et le bien ce sont le respect pour la vie et la recherche de tout ce qui favorise la croissance et l’épanouissement de soi et de l’autre, le tout sans remords et sans culpabilité. Le mal vise à brider l’existence humaine, à la rétrécir, à l’atrophier. Il empêche de grandir, de s’épanouir.

Le lien avec Spinoza est constamment réalisé chez Fromm : être et non avoir, vivre et non posséder c’est connaître la joie. Des philosophes contemporains comme Comte-Sponville ou Mishari ont vulgarisé cette opposition spinozienne joie / tristesse. J’y renvoie. Une lecture inspirée de Marcuse (2) et Reich incline à dire sensiblement la même chose mais en moins "conformiste", en moins austère de par l’introduction du plaisir, ce qui donne le propos suivant : Mener une existence misérable incline à la tristesse alors que le mouvement vers la vie et le plaisir est source de joie. En fait l’intégration du plaisir pour aller vers la joie est plus explicite chez Alexander Lowen disciple de W Reich. Ce même W Reich a aussi conservé une référence plus forte au marxisme.

2 - CONTRE L’INTENSIFICATION DU TRAVAIL ET LE "FAMILIALISME".

La restriction du moi sur du quotidien répétitif, ennuyeux et aliénant est source de tristesse. Cette misère est triple, elle concerne la vie au travail, la vie de couple et notre façon d’utiliser le temps libre (la fréquentation de la télévision ou des temples de la consommation marchande). Je souligne deux champs ou le choix d’une éthique biophile se pose.

a) Dans le champ du travail salarié :

Pour FROMM l’individu libre et épanoui est créatif et productif mais à la suite de Spinoza il ne confond pas actif et activisme . Par ailleurs, il s’agit d’une productivité non contrainte, loin des subordinations du monde du travail salarié, en tout cas, loin du travail à la chaîne ou sous la pression des statistiques, . Le prototype de l’individu productif pourrait être soit l’artisan (en voie de disparition face à la généralisation du salariat et à l’extension du capital) soit (ainsi que le répète Bernard FRIOT) le « jeune » retraité de 55 ans qui poursuit ou qui s’engage dans des activités citoyennes et solidaires pour la construction d’un "autre monde".

b) Au sein de la famille patriarcale :

Au sein du couple la restriction appauvrissante de la vie et du moi serait la situation de simples cohabitants froidement "ensemble" pour gérer les biens patrimoniaux et l’éducation des enfants le tout sans tendresse. A la suite d’Yves Prigent (Vivre la séparation) j’ai évoqué les "couples simplement cohabitants sans passion et peu d’amour". Sans passion au sens de vie affective et libidinale au sein du couple éteinte. Pour Fromm, qui suit ici Spinoza, la passion est de l’ordre du négatif. La passion relève de la passivité et non activité. Il convient de se souvenir de cela mais sans dogmatisme rigide . Pour relativiser une position par trop rigide la lecture d’Alexander LOWEN, (celui de ses premières oeuvres pas celui d’aujourd’hui) est des plus utiles. Un trop fort ressentiment contre la passion ne permet pas, par exemple, de comprendre positivement le « tomber amoureux ». C’est bien un usage tranché de Spinoza donne une teinte rigide et conventionnel « l’art d’aimer » de Fromm notamment avec l’importance donnée à l’entraînement et à la discipline. A tel point que, si Fromm avait moins cité dans ses ouvrages des auteurs athées - comme Freud, Marx et Spinoza - les grandes religions monothéistes auraient pu s’approprier Fromm aisément. Car « l’art d’aimer » peut être lu comme une charte du mariage bourgeois ou du couple chrétien fidèle ad vitam aeternam !

 L’éthique biophile n’est pas mobilisable de façon absolue contre l’avortement .

Se déclarer au nom de FROMM ou de l’éthique biophile contre l’avortement, tout simplement parce-que l’on n’a aucun droit de vie ou de mort sur une personne, un bébé, ou un embryon humain c’est oublier rapidement au moins deux choses : - d’une part que l’avortement n’élimine qu’un embryon ( passé un certain nombre de mois variable selon les pays l’avortement n’est plus autorisé car l’embryon devient réellement être vivant) ; - d’autre part l’embryon n’est pas dans une éprouvette mais dans un ventre, dans un corps vivant, un corps de femme. C’est donc fondamentalement à la mère de se déterminer librement car c’est elle qui porte l’embryon puis l’enfant en gestation, car c’est elle encore qui devra éduquer l’enfant (avec le père biologique éventuellement).

3 - OUVERTURE : LE PROJET D’AMOUR LIBRE DE Jean ZIN !

« La question de la liberté en amour est ce qui nous passionne vraiment et reste notre actualité, l’exigence de s’engager dans un amour libre ». dit Jean ZIN (3)

Il précise car l’amour libre ce n’est pas n’importe quoi avec n’importe qui : "Contrairement à ce qu’on a pu croire, dans l’enthousiasme de Mai 68, il ne s’agit pas de multiplier les partenaires sans rien partager ni construire, sans compagnon pour vivre ensemble, de plus en plus seul et détaché de tous, mais il ne suffit pas d’en dresser un constat d’échec comme s’il suffisait de revenir en arrière et renoncer à ces folies de jeunesse, car nos pratiques amoureuses ont réellement changé, elles ont gagné en authenticité et chacun éprouve dans sa vie les contradictions des exigences d’un amour libre, sans arrêter de le pratiquer (mal). Il faudrait donc bien reprendre le projet d’une libération de l’amour qui ne s’épuise pas dans la dispersion et la solitude mais permette la continuité et la profondeur de fidélités multiples.

Christian DELARUE
Militant altermondialiste

chrismondial blogg

Notes :

1 : "Le coeur de l’homme" : On trouve sur le web un résumé rédigé par Yvon PESQUEUX de "Le coeur de l’homme" d’Eric Fromm

2 – Herbert MARCUSE

 L’INTRODUCTION EN FRANCE d’Herbert MARCUSE

L’introduction en France d’Herbert MARCUSE a pour origine la rencontre en Suisse de trois marxistes Boris FRAENKEL, Lucien GOLDMAN et Kostas AXELOS qui s’installent en France. Lucien GOLDMAN invitera Marcuse en France. Kostas AXELOS marxo-heddeguerien fonde avec Edgar MORIN la revue Argument qui intégrera les apports de Marcuse dans leurs analyses. AXELOS publiera des ouvrages de Marcuse. Boris FRAENKEL non universitaire, membre de l’OCI et connaisseur de Wilhem Reich, puis plus tard Jean-Marie BROHM, déploieront la pensée freudo-marxiste avec des recours à Luckacs et Marcuse pour une critique du sport. Emile COPFERMANN et Boris FRAENKEL produiront chez Partisans une théorie critique de la sexualité : "Sexualité et répression".

cf. Une perspective "argumentativiste" en sociologie de la connaissance philosophique.
Le cas de la réception française d’Herbert Marcuse.
par Manuel QUINON
tmquinon.pdf (Objet application/pdf)
http://www.cess.paris4.sorbonne.fr/dossierpdf/tmquinon.pdf

 MARCUSE ET LE MARXISME :

Marcuse use des catégories marxistes de façon dialectique mais en demeurant dans l’abstrait. Il est cependant moins un sociologue de la domination tel Bourdieu et plus un penseur de la contradiction et de la libération. Mais les forces sociales sont très souvent absentes de son discours car la conflictualité ne met pas aux prises pas des classes sociales. Dans "Eros et civilisation" il fait appel à Freud en plus de Marx pour penser la liberté. Marcuse s’est surtout adressé à la jeunesse pour sortir de l’aliénation. Erich Fromm quand à lui cite Marx, Spinoza et Freud plus qu’il ne met en application sa méthode.

 MARCUSE ET LE FREUDISME :

Marcuse s’est engagé "à combattre la psychanalyse révisionniste néofreudienne à l’américaine qui visait à effacer tout ce que Freud pouvait avoir de révolutionnaire et à promouvoir une thérapeutique de fabrique d’individus « adaptés » à leur environnement en optimisant leur réseau « d’interactions humaines ». Avec plus de quarante ans d’avance, Marcuse avait bien vu tout l’enjeu de cette « adaptation » socio-culturelle : « Cet exploit intellectuel s’accomplit en édulcorant la dynamique des instincts et en réduisant la portée de la vie mentale. Ainsi purifiée, » l’âme « peut à nouveau être sauvée par une éthique et par la religion ; ainsi la théorie freudienne peut être réécrite par une philosophie de l’âme"

Sur l’invitation à relire Marcuse :
L’HOMME POUR QUI LA RÉSIGNATION ÉTAIT RINGARDE
Relire Marcuse pour ne pas vivre comme des porcs Gilles Chatelet
http://1libertaire.free.fr/Marcuse03.html

3 In « Amour libre » de Jean ZIN
http://jeanzin.fr/ecorevo/psy/amourlib.htm

Messages

  • DISCIPLINE : FROMM OU FOUCAULT.

    Erich FROMM fait l’apologie de la discipline notamment dans « L’Art d’aimer ». Tout un courant de l’Ecole de Francfort à la suite d’Herbert Marcuse s’opposera à l’usage culturaliste du freudisme par Fromm. Ce dernier véhiculerait sous couvert de références à Freud, Spinoza et Marx une forme subtile d’adaptation au système répressif.


    LA SEXUALITE SELON FOUCAULT (d’après Anthony GIDENS)

    Extrait de « La transformation de l’intitmité – Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes » d’Anthony GIDENS Ed Le Rouergue / Chambon

    Dans l’Histoire de la sexualité, Foucault entreprend de s’attaquer à ce qu’il appelle, selon une expression désormais célèbre, « l’hypothèse répressive ». D’après cette dernière, les institutions modernes nous contraindraient à payer un prix – en l’occurrence une répression accrue – en échange des avantages dont elles nous font bénéficier. De ce point de vue, la civilisation équivaut purement et simplement à la discipline, et celle-ci implique à son tour le contrôle des pulsions internes –contrôle qui, pour être pleinement efficace, doit être intérieur. Qui dit modernité dit surmoi.

    …/…

    Dans sa critique de « l’hypothèse répressive », Foucault consacre l’essentiel de son attention au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle. C’est en effet à cette époque que sexualité et pouvoir nouèrent des liens extrêmement intimes, de plusieurs manières distinctes. On donna à la sexualité la forme d’un secret, qu’il importa à partir de ce moment précis de traquer inlassablement et contre lequel il se révéla nécessaire de mettre en garde chacun.

    Prenons l’exemple de la masturbation, suggère Foucault.

    Les médecins comme les éducateurs orchestrèrent des campagnes de grande envergure autour de ce phénomène au plus haut point dangereux, afin d’expliquer les conséquences. Pourtant, une attention si grande fut mobilisée en de telles occasions qu’on a tout lieu de se demander si l’objectif ultime n’était pas en réalité d’organiser le développement corporel aussi bien que mental des individus, bien plutôt que d’éradiquer le phénomène en question.

    On peut en dire autant, poursuit Foucault, des multiples perversions recensées par les psychiatres, les médecins et autres personnes de même acabit…..

    Fin de citation

    L’être humain étant par nature contradictoire balance entre l’auto-disciplinarisation de ses passions et instincts et la satisfaction de ceux-ci afin de connaître le bonheur.

    CD

    • FROMM DEFENSEUR DU COUPLE DE "SIMPLES COHABITANTS" SANS PASSION ET PEU D’AMOUR

      pris sous - Les passions de l’amour - sur Bellaciao

      http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=47380


      Qu’est-ce qu’un couple de simples cohabitants ?

      Il est des couples, cohabitants ou non, qui s’aiment amoureusement plusieurs années durant. Ils entretiennent une vie amoureuse plus ou moins intense source de grand bonheur.

      Un couple simplement cohabitant partage un lieu d’habitation - partiellement ou totalement, comme couple marié ou comme couple compagnon mais l’amour tendre a déserté le couple depuis longtemps, voire n’a quasiment jamais existé.

      Ces couples "familialement corrects" ont pu s’être engagés par intérêt du moins sans être réellement amoureux de l’autre. Autre raison : le maintien en couple se justifiera « pour les enfants » (parfois pour la maison). Le motif "enfants" est souvent « un alibi pour préserver une coexistence pseudo-conjugale arrangeant le quant-à-soi de chacun ».

      « Les couples qui s’éloignent sans se séparer, qui cohabitent sans coexister amoureusement... se sont souvent unis sous les signe de l’amour du semblable plutôt que sous le signe de l’amour de l’autre ».

      Si l’absence de sexualité dans le couple est un signe de couple simplement cohabitant la présence d’une sexualité ne suffit pas pour autant à dire qu’il y a plus que de la simple cohabitation.

      Tout cela ne signifie pas que le couple de cohabitants ne connaît pas le bonheur, mais il s’agira alors plus d’un bonheur de contentement que d’un bonheur sublime qui illumine la vie du couple aimant. De plus le couple de cohabitants risque fort de connaître des jalousies ou des infidélités. Car dans la vie un d’un tel couple les périodes moroses ne sont pas rares et génèrent une aspiration à « autre chose » qui forme une disponibilité à la rencontre amoureuse.

      Lak

    • Construire un amour réciproque à partir d’une belle rencontre voilà ce que l’on ne trouve pas chez FROMM trop spinoziste.

      SE RENCONTRER VRAIMENT : "CARTE DU TENDRE" ET CHOIX DU PARTENAIRE
      http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=58628

      Paradoxalement MISRAHI qui est spinoziste mais non psychanaliste (haine de Freud, Lacan et Marx) serait près de reconnaitre la beauté d’une rencontre mais l’expliquer en termes de "carte du tendre"

      Libres extraits de "Qui est l’autre ?" (de Robert MISRAHI)
      http://rennes-info.org/Libres-extraits-de-Qui-est-l-autre.html

      Tout cela n’exclu pas l’engagement :
      AUTHENTICITE DE LA PASSION

      Voici un extrait de l’ouvrage de Valérie DAOUST « De la sexualité en démocratie – L’individu libre et ses espaces identitaires. » PUF 2005.

      ce passage est issu du chapitre "Idéologie romantique ou amour authentique"

      http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=52684