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Les emmerdeurs de la jeep tout terrain

Publie le mercredi 30 juin 2004 par Open-Publishing
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de ALESSANDRO ROBECCHI

Question : qu’est-ce qui pousse un être humain, qui
habite peut-être au centre d’une ville italienne, à acheter une jeep tout terrain
avec 4 roues motrices, assez puissante pour monter sur les murs, qui consomme
comme le Shuttle et qui capote facilement puisqu’elle
est moins sûre qu’une Panda ? Probablement le manque
de cervelle. C’est une règle qui existe depuis le
début du monde et sur laquelle s’est déjà penché Darwin : si tu es très, très
sot il te faudra beaucoup
de muscles. Cela ne sauva pas les dinosaures de
l’extinction, ce qui nous donne quelques espoirs sur
la disparition – d’ici quelques siècles – des conducteurs de Suv (Sport Utillity
Vehicles),
c’est-à-dire de ces cons qui vrombissent rapides,
bruyants, très lourds et dangereux dans nos rues. Dans
l’attente que l’évolution suive son cours (il faudra du temps, je le crains),
on peut se réjouir de la campagne de Legambiente qui veut, justement, bannir
les Suv des villes.

A Paris, il y a déjà une lourde surtaxe pour ces
monstres inutiles. En Amérique (particulièrement en
Californie) il y a de fortes limitations pour ceux qui
achètent des voitures qui ne tiennent pas compte de ce
minimum de décence obligatoire en terme d’épargne
énergétique. En Italie, en février 2004 les Suv ont
atteint 4 et demi % du total des immatriculations (ils
étaient moins de 3 % en 1998), ce qui nous donne
quelques indications supplémentaires sur notre pays.
Par exemple : il n’y a pas de crise pour les conneries
qui coûtent cher. Par exemple : nous restons un
endroit privilégié pour la plupart des rustauds.

Les conducteurs de tout terrain de luxe vous diront
tous la même chose : qu’ils conduisent des voitures
sûres. C’est une autre, énorme connerie. Le centre de
gravité est haut, les roues monstrueuses. Le risque de
capoter en cas d’accident avec un seul véhicule (et un
seul crétin qui le conduit) est trois fois supérieur à
celui d’une voiture normale. L’espace de freinage à
vitesse égale est plus long que celui des autres
voitures, si la route est mouillée il vaut mieux prier
le Padre Pio où d’autres charitables collègues.

Ne parlons pas de la consommation : qui est assez con
pour acheter un Suv qui marche à l’essence pensera
avoir constamment un trou dans le réservoir (et donc
dans son portefeuille), avec quelques remarquables
records (le modèle X5 de BMW à 4,6 Km/litre : payer
une carrosse à chevaux avec cocher vous coûterait
moins). Je liste tout cela pour tenter de défendre les
consommateurs, avant tout de leur immense naïveté. Et
pourtant – c’est vrai – ceux à défendre seraient les
autres, ceux qui ne l’ont pas, le Suv, et qui le
subissent sous forme de pollution, de bruit,
d’obstacle et, en élargissant le discours à la
planète, de consommation de ressources insensée. Mais
revenons à la question initiale : qu’est ce qui pousse
un être humain à acheter une chose dangereuse,
antiéconomique et polluante ?

Probablement la
conviction que cela lui donne quelque importance,
qu’elle met en évidence, comme un billet de visite
très voyant, sa capacité de dépense, son être « trendy
 », son je-m’en-foutisme au nom d’un pouvoir qui lui
est octroyé par l’argent. En substance, un égoïsme
personnel extrême, conjugué avec l’ignorance
débordante de celui qui croit qu’acheter un morceau
plus grand de trou dans l’ozone, produire plus de
smog, occuper plus d’espace et faire plus de bruit est
un privilège. C’est là qu’est le problème : de petits
hommes conduisent de grosses voitures. Ils sont
dangereux pour eux-mêmes (et on s’en fiche pas mal) et
pour les autres (et on ne s’en fiche pas). Ils
démontrent par le seul geste de tourner une clef dans
le tableau de bord avoir parfaitement assimilé la
leçon de notre temps : qui détruit le plus de
ressources – et l’étale, et s’en vante – est plus
puissant, et jouit donc d’une plus grande
considération et d’une place meilleure dans la
société.

Consommer plus semble être l’impératif
catégorique du moment et il ne se passe pas un jour
sans que quelqu’un ne nous invite à « relancer la
consommation » pour aider l’économie. Peut-être. Il
n’en reste pas moins que consommer les routes, la
planète, les ressources, l’air et tout le reste d’une
façon inconsidérée pour conduire un monstre
antipathique et arrogant n’est pas le bon moyen pour
se faire aimer. Ils aiment regarder par la fenêtre « 
l’effet que ça fait », confortablement assis sur le
cuir de leur status symbol, absolument imperméables au
sens du ridicule. Puis ils démarrent en trombe,
ignorant peut-être qu’une petite résistance est en
train de se former et de grandir et qu’elle passera
bientôt, on l’espère, à des « voies de fait »
créatives.

Il Manifesto

Traduit de l’italien par Karl et Rosa

29.06.2004
Collectif Bellaciao

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