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LA LEÇON DU MONDIAL Hymne à la jeunesse et à sa soif de vie

Publie le samedi 21 novembre 2009 par Open-Publishing

« Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer »

Guillaume d’Orange

Mercredi 20h 50, le coup de sifflet final retentit. L’Algérie est propulsée en Afrique du Sud. Ce fut l’hymne à la joie en Algérie et dans le Monde partout où il y a un Algérien de coeur, de naissance, d’adoption. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Il y a un an de cela, personne n’aurait misé un kopeck sur l’équipe dont on disait - et je suis du nombre - que c’était une machine à perdre, que sa réputation était surfaite. Et pourtant, elle nous a donné du bonheur !

L’Algérie, écrit Smail Rouha, prendra part au Mondial sud-africain, le premier organisé en Afrique. La sélection nationale a frappé un grand coup, hier, à Al Merrikh Stadium (Soudan). Les Fennecs ont décroché leur billet qualificatif au Mondial sud-africain. Un résultat d’autant plus méritoire que les Verts ont pris leur revanche sur le terrain. Les coéquipiers de Chaouchi, héros du jour, offrent au football algérien sa troisième participation à un Mondial, 24 ans après celui de Mexico. Délicieusement bigarrée, hautement qualifiée, cette équipe-là respire la solidarité, le partage et le talent. Elle donne envie de s’identifier à elle. D’aller au bout des choses tant qu’il y aura des hommes. Les Verts ont administré aux Egyptiens une leçon de football et une autre de dignité. Une liesse populaire fête la qualification de l’Algérie pour le Mondial 2010 (1). »

« Merci ! Merci ! écrit Tahar Fattani, Trente-cinq millions de fois, Merci ! On ne saurait trouver les mots qu’il faut pour rendre un grand hommage à nos héros de l’Equipe nationale qui ont offert à l’Algérie une troisième participation au Mondial, après celles de 1982 et 1986. L’Algérie entre dans l’histoire par la grande porte. Les mots ne suffisent pas pour décrire l’exploit des Verts. Les gestes non plus. Toute une nation est en liesse. Le peuple est au comble du bonheur. C’est une sélection nationale armée d’une volonté de fer qui s’est battue hier au stade d’El Merrikh, à Khartoum, lors du match d’appui devant départager les deux équipes, pour rendre le sourire à 35 millions d’Algériens. (..). Les Verts ont, ainsi, redonné à l’Algérie son statut et la place qu’elle mérite sur la scène footballistique continentale. » (2)

Le rôle énigmatique de la FIFA

Pourtant « cette rencontre fut tout, sauf calme. Est-ce que cette violence est spécifique à cette rencontre ? », pour Jean-Luc Ferre. « Dès le début des années 1960, le football africain est très violent avec de véritables batailles rangées lors de rencontres entre le Congo et le Gabon ou entre le Ghana et le Nigeria », raconte l’historien Pierre Dietschy. « Mais à l’époque, l’attention ne se porte guère sur le continent. Ce qui est plus nouveau désormais, notamment en Afrique du Nord, c’est de voir une partie de la jeunesse reprendre parfois des éléments du hooliganisme à la mode européenne. Comme partout, le Maghreb et l’Afrique n’échappent pas au retour du sentiment nationaliste qui répond à une mondialisation inquiétante », commente Youcef Fateh, politologue, maître de conférences à l’université Paris-X. Avec des moyens nettement supérieurs, l’Europe a du mal, elle aussi, à enrayer les dérives des supporters. « Le nationalisme travaille fortement les anciens pays de l’ex-Yougoslavie, certains pays de l’Est, ou la Grèce et la Turquie », souligne Jean-Michel De Waele, professeur de sciences politiques à l’université libre de Bruxelles. « Prenons l’exemple des supporters grecs, transposable dans de nombreux pays », conclut Anastasia Tsoukala, criminologue grecque et maître de conférences à Paris XI. « Contre la Turquie ou l’Albanie, ils sauront se montrer nationalistes acharnés, soutenant une certaine idée de la communauté nationale plus ou moins menacée. Mais le reste du temps, ils adopteront plutôt un comportement violent, général, tourné justement contre leur État-nation qui ne les rassure guère et reste incapable de répondre à leur besoin dans un monde mondialisé et instable. Trouver la bonne réponse à cette violence à multiples facettes est de fait très complexe. « (3)
Après avoir attaqué le bus des joueurs et non contents d’avoir gagné un match, les Egyptiens ont lynché les supporters algériens présents dans le stade. On dénombre beaucoup de blessés. Pour ceux qui en doutaient, ils ont eu un aperçu de la signification de « l’amitié arabe ». Cet « accueil » était pourtant prévisible. Où sont passés les engagements écrits demandés aux Egyptiens ? Ils ont été allègrement violés. Les images exclusives de la chaîne française Canal Plus, montrant l’agression des joueurs algériens jeudi dernier à leur arrivée au Caire et qui ont fait le tour du monde, continuent de soulever condamnations et indignations dans les milieux sportifs du monde entier.

Outre l’Algérie et les pays du Maghreb qui ont été choqués par ces incidents, en se demandant si de tels procédés ont lieu d’être dans un pays qui se dit « Oum Dounia », c’est au tour de certaines voix en France de s’élever pour dénoncer le silence complice de la Fifa. La Fifa de Joseph Blatter a-t-elle minimisé les dégâts ? Ce qui est sûr, c’est que la décision de l’instance mondiale n’a fait qu’encourager les ultras égyptiens, qui ont continué leur sale besogne en s’attaquant aux bus des supporters algériens à la fin du match et aux joueurs à leur retour sur leur lieu de résidence. Pour le joueur Emmanuel Petit, présent dimanche dernier sur le plateau de l’émission Stade 2 de la chaîne publique française France 2, l’ex-joueur de Monaco a déclaré : « On suspend Maradona deux mois pour des insultes et on ferme les yeux sur les incidents graves qui sont survenus au Caire « . Le dossier ne doit pas être clos, Il faut faire la lumière sur les appels au lynchage de Zahir le président de la Fédération égyptienne de football, il y va de la crédibilité de la Fifa. Assurément, Mohamed Raouraoua -au risque de ne pas faire dans l’hypocrisie du politiquement correct- a bien fait de ne pas serrer la main à Zahir.

La nécessité d’une réévaluation de nos rapports avec l’Egypte

Pour El Kadi Ihsane, l’affrontement auquel se sont livrés Algériens et Egyptiens pour obtenir le 5e billet qualificatif continental au Mondial sud-africain de juin 2010 laissera de durables séquelles entre les deux pays qu’opposait déjà une ravageuse rivalité. L’escalade verbale de longues semaines durant a viré au pire. Dimanche dernier, en début de soirée, une rumeur sur la mort de supporters algériens au Caire a mis le feu aux poudres. Les autorités algériennes avaient tenté de jouer l’apaisement jusque-là. Elles ont dû, in fine, « s’adapter « à la déferlante de ferveur, le plus souvent joyeuse, mais teintée de chauvinisme, d’une ampleur totalement inconnue dans le pays. Il faut dire que les Cairotes ont jeté la première pierre. Le bus de la délégation algérienne au Caire a été caillassé, dans un guet-apens, sur le parcours qui le conduisait de l’aéroport à l’hôtel jeudi 12 novembre, 48 heures avant le match décisif au Cairo Stadium. Les images de joueurs ensanglantés ont jeté l’émoi dans le pays. De nombreux spécialistes ont qualifié de « faiblesse ». Une réplique au pont aérien décidé par le gouvernement égyptien quelques heures plus tôt. La ruée pour être du voyage a paralysé les principales artères des grandes villes. 10 000 supporters devaient être convoyés en 30 vols spéciaux. (...) Le Caire et Alger sont partis pour se tourner le dos durablement et perdre ensemble. Un mois durant, les médias des deux pays se sont déchirés.(4)
Le peuple algérien ne doit pas tomber, me semble-t-il, dans le travers du chauvisnime de la haine. L’Egypte est et reste un grand pays. Cependant la mégalomanie du pouvoir égyptien n’a pas de limite voulant être premier partout même s’ils acceptent avec reconnaissance la place de dernier vis-à-vis de l’Europe. A titre d’exemple, ils ont fait l’impossible pour faire passer Farouk Hosni ministre de la Culture depuis 25 ans et qui avait déclaré brûler les livres égyptiens. Les Israéliens lui ont tactiquement pardonné, instruction a été donnée en ce sens, la France officielle lui a pardonné et l’a au début soutenu quand les Américains ont déclaré qu’ils ne voulaient pas de Hosni quand les intellectuels communautaristes français ont fait ce qu’il fallait pour barrer la route à Farouk Hosni. Jaillie de nulle part, une Irina Bokova réussit à faire liguer tout le monde contre Hosni dont à réunir les suffrages pour être élue. Résultat des courses, le diplomate algérien, qui avait le background, non soutenu par son pays mais par un pays asiatique, fut balayé dès le premier tour. Nous voulions rendre service au raïs...Là où la goutte a débordé du vase c’est l’intronisation de l’Egypte comme coprésidente d’une Union méditerranéenne que nous avons à l’époque traité de traquenard. Rien ne prédispose l’Egypte à coprésider et ce faisant à drainer l’essentiel de l’aumône de l’Europe.... Le rappel de l’ambassadeur d’Egypte permettra dans le calme et la sérénité de refonder - je l’espère - les fondations d’une réelle coopération en dehors des phrases creuses de l’unité arabe ou de la prééminence discutable de l’Egypte qui se veut être le seul interlocuteur des Arabes vis-à-vis de l’Occident.

Où étaient les intellectuels arabes et égyptiens capables de contribuer à l’apaisement ? Contrairement aux peuples maghrébins qui ont été indignés à des degrés divers par le sort fait à l’équipe et aux Algériens, leurs dirigeants ont vu ces attaques comme du pain béni. Ces potentats que l’on affuble de modérés - il faut entendre par là les fossoyeurs d’une façon ou d’une autre de la cause palestinienne - pourvu que leur siège soit protégé par la VIe flotte ou la marine française se découvrent, à l’instar du zaïm, une âme de redresseur de tort et de gendarme dans l’ombre de la Sixth Fleet en empêchant le ravitaillement des Ghazaouis sur instruction du « Conseil de sécurité d’Israël » ou encore en mouillant à Abou Dhabi. Ces mêmes Ghazaouis qui ont fêté, avec une sincère allégresse, la victoire de l’Algérie à 4000 km d’eux, dans le noir.

Comment transformer cet engouement ?

C’est vrai ! l’image de Rabah Saadane -que lon qualifie étymologiquement de gagnant heureux- parait rassurante. Dans le rôle d’un patriarche il a su ployer sous la tempête quand on a callaissé ses joueurs. Il incarne sous des dehors de bonhomie, une volonté de fer et surtout la force tranquille. Quant à Antar Yahia, il a joué le rôle de Antar,le héros mythique défenseur des nobles causes et chevalier servant ; il a su en tant que défenseur défendre l’Algérie et lui offrir grâce à la complicité de ses coéquipiers, ce pur bonheur qui a propulsé l’Algérie dans la cour des grands. Il a aussi donné du bonheur à tous les Algériens du monde et nous découvrons que partout où nous sommes, le sentiment d’appartenance à une mère patrie est consubstantiel de notre être. On peut être Canadien, Anglais, Italien, et même Français... il n’empêche que l’identité première est là, elle ne s’éteindra pas, elle ne doit pas s’éteindre par une hypothétique assimilation qui n’apporte rien de plus au pays d’accueil, au contraire qui, par contre, fruste ces Algériens de coeur à qui on demande de se dissoudre dans le corps social du pays d’accueil.

Cependant, le foot dit-on, est l’opium des peuples... Le symbole d’un pays n’est pas uniquement dans une Equipe nationale de foot, mais ses institutions nationales. Il est aussi dans ses formateurs qui, au quotidien, entretiennent la flamme vacillante de la science. S’il faut une équipe de football pour rassembler les gens et faire qu’ils se parlent, qu’ils se respectent, y a vraiment un problème de fond à régler. Passé l’évènement du football, la réalité crue nous incite à poser les termes du poids réel des deux pays. L’Indicateur du Développement Humain de l’Egypte est de 0,716 (116e sur 179). Celui de l’Algérie n’est guère loin 0,748 (100e sur 179). Un Américain consomme en énergie en un mois ce que consomme un Egyptien en un an ou un Algérien en 8 mois. Voilà la triste réalité !

Que l’on ne s’y trompe pas ! Les Jeunes ne doivent pas être manipulés. On dit souvent que ce sont des grenades dégoupillées. Il faut leur proposer une perspective d’avenir autrement que par la charité et le saupoudrage à géométrie variable. Ce qu’on fait les joueurs de 2009 est magnifique ! Sans remettre en cause leur nationalisme. Ils sont par leur victoire, les héritiers de l’équipe du FLN de 1959 des Makhloufi, Boubekeur, Kermali, les héritiers de l’équipe de 1982 des Madjer, Belloumi, Merezkane et autres Assad. Nous remarquons au passage que tous les 25 ans, l’Algérie se signale à la face du monde. Cependant et au risque de gâcher la fête, le professionnalisme a, d’une façon ou d’une autre, introduit une nouvelle donne, celle des primes que l’on dit faramineuses et on a calculé que ces primes par joueur, un enseignant universitaire doit vivre trois vies pour atteindre ces sommes. En somme, le Duncan McLeod de High- lander !! J’ai bien conscience que ce genre de propos fâche. Il vise à insinuer que nos joueurs ont arraché cette magnifique victoire aussi pour la prime.

Ceci étant dit et au risque de me répéter, ce que nous avons vu nous a rappelé la ferveur de l’Indépendance, l’ambiance la joie de vivre et de communier ensemble sans faux-fuyants. Les jeunes, qui en 4 X4, qui en voiture, qui en bus ou en camionnette, chacun selon ses moyens, voulaient être de la fête. Le ministère de la Jeunesse ne devrait pas être celui uniquement de l’Equipe nationale. La jeunesse est notre richesse commune. Elle doit être la préoccupation de tous les départements ministériels, à commencer par l’éducation qui devrait revoir fondamentalement sa vision de l’éducation, la formation professionnelle mais aussi l’enseignement supérieur qui doit sortir des sentiers battus du mimétisme ravageur d’un Occident, qu’on se le dise, ne veut que son bonheur...

Par ailleurs, il nous faut retrouver cette âme de pionnier que l’on avait à l’Indépendance en mobilisant, quand il y a un cap. Imaginons pour rêver que le pays décide de mettre en oeuvre les grands travaux autrement que de les confier aux Chinois et Japonais sans sédimentation ni transfert de savoir-faire, il mobilisera dans le cadre du Service national, véritable matrice du nationalisme et de l’identité, des jeunes capables de faire reverdir le Sahara, de s’attaquer aux changements climatiques, d’être les chevilles ouvrières à des degrés divers d’une stratégie énergétique qui tourne le dos au tout-hydrocarbure et qui s’engage à marche forcée dans les énergies renouvelables. Nul besoin alors d’une Equipe nationale qui nous donnera le bonheur épisodiquement, le bonheur transparaîtra en chacun de nous par la satisfaction d’avoir été utile, et en contribuant par un travail bien fait par l’intelligence et la sueur, à l’avènement de l’Algérie de nos rêves. Il ne tient qu’à notre volonté de faire de nos rêves une réalité.

1.Smail Rouha : Tant qu’il y aura des hommes. L’Expression du 19 11 2009

2.Tahar Fattani : L’Expression le 19 novembre 2009

3.Jean-Luc Ferre. Nationalisme et violences gangrènent le football. La Croix17/11/2009

4.Ihsane El Kadi, Egypte-Algérie, un ticket sur un champ de ruines. Les Afriques16-11-2009

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz