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Remerciements

5 avril 2013, 09:14

Les méthodes musclées des "chasseurs de dettes"

Le jour où il a compris que celui qui était au bout du fil n’était pas un agent de la Sécurité sociale mais un employé d’une société de recouvrement de dettes qui cherchait sa nouvelle adresse, Rudy, 40 ans, s’est dit que c’était allé trop loin et a pris un avocat. Une solution onéreuse dont se serait bien passé ce cadre de production qui, à la suite d’un divorce, s’est retrouvé dans l’impossibilité de payer les mensualités de 800 euros de son crédit à la consommation.

"Quand j’ai commencé à avoir des difficultés, j’ai contacté mon créancier pour demander un échelonnement de ma dette, raconte Rudy. Et là, je me suis heurté à un mur. Aucun arrangement ne m’a été proposé et le cauchemar a commencé."

Lettres au ton menaçant et alléguant de poursuites judiciaires, relances téléphoniques jusque sur le lieu de travail, usurpation d’identité. Avec la crise, de plus en plus de Français confrontés à des impayés ont affaire, comme Rudy, à des "chasseurs de dettes" aux méthodes souvent musclées.

Pour récupérer les sommes qui leur sont dues, opérateurs de téléphonie, commerçants, organismes de crédit... ont recours à des sociétés, indépendantes ou filiales d’établissements financiers, dont la vocation est de pousser le débiteur à rembourser volontairement ce qu’il doit. Si la négociation n’aboutit pas, le créancier peut décider de poursuivre par la voie judiciaire, mais dans ce cas-là, seul un huissier, un officier de justice muni d’un titre exécutoire, peut saisir des biens ou des salaires.

"Les sociétés de recouvrement ont finalement peu de moyens pour récupérer les créances, explique Régis Halter, directeur adjoint de la fédération Cresus, un réseau d’aide aux personnes endettées. Elles se parent souvent des atours des huissiers de justice, en adoptant la forme de papiers officiels, en faisant référence à des textes de loi, en utilisant des termes intimidants, voire comminatoires."

FRAIS ILLÉGAUX DE RECOUVREMENT

"Mise en demeure avant poursuites judiciaires", "avis d’injonction de payer", autant de formules choisies pour faire peur à des débiteurs souvent fragilisés. Des sociétés qui jouent souvent sur la confusion entretenue par la double casquette de l’huissier. Ce dernier peut aussi, comme les sociétés de recouvrement, être mandaté dans la phase amiable et, dans ce cadre, a les mêmes prérogatives qu’une société de recouvrement.

Lire : Les huissiers veulent améliorer leur image

Pour Nathalie Nolen, responsable de l’association Cypres qui accompagne les personnes surendettées sur tout le département de la Somme, "les sociétés commerciales, mais aussi les huissiers, font de ’l’intox’ pour récupérer au plus vite les créances". Leur seul objectif serait d’encaisser la somme réclamée, parfois augmentée d’illégaux frais de recouvrement, alors que la loi prévoit qu’ils sont à la charge du créancier.

Encadrées par un décret de 1996, les sociétés de recouvrement profitent aussi du fait que beaucoup de victimes d’abus n’osent pas réagir. Soit parce qu’elles culpabilisent, soit par peur ou encore parce qu’elles ne savent pas où s’adresser. Rémunérées à la commission sur les sommes récupérées, ces officines sont régulièrement dénoncées par les associations de consommateurs pour avoir fait pression, menacé, voire harcelé les débiteurs en téléphonant à la famille, aux voisins ou à l’employeur...

Sur le site Lesarnaques.com, les témoignages sur les sociétés de recouvrement se comptent par dizaines. "Certaines utilisent des méthodes de voyou pour obtenir des informations sur la personne ou pour qu’elle craque", explique Sacha Leroy, sa responsable juridique. Au printemps 2012, Lesarnaques.com a renvoyé la ligne téléphonique d’une famille en difficulté, avec son accord, sur celle du site pour se rendre compte des pressions exercées par un cabinet de recouvrement. "Menaces de saisie de tous les biens, de placement des enfants... tout y est passé", se rappelle Mme Leroy.

Directeur général de Contentia, filiale du groupe 3SI, spécialisé dans le commerce électronique, Sébastien Dirand ne nie pas que la profession ait ces moutons noirs mais il en relativise les dérives. "Le marché compte de 200 à 500 acteurs, qui vont de la grosse entreprise à de toutes petites avec un seul salarié. Les sociétés importantes ou reconnues ne peuvent pas se permettre de tels agissements", justifie le directeur général d’une société qui revendique une deuxième place sur le marché français, 380 salariés et un chiffre d’affaires de près de 30 millions d’euros.

"NOUS SOMMES UNE ACTIVITÉ QUI SUSCITE PEU DE VOCATIONS"

Pour recouvrer le stock d’impayés de 1,5 milliard qui provient pour "70 % à 80 % des particuliers", Contentia se targue d’un certain code déontologique. "Pas d’appel avant 9 heures, pas d’usurpation d’identité, aucun dommage et intérêt ou frais demandés...", égrène le directeur général. "Nous sommes un secteur respectable", affirme aussi Alexandre Gonzevac, président du Syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux, un des trois syndicats professionnels du secteur.

Selon M. Gonzevac, qui dirige par ailleurs le cabinet d’Ormane (12 salariés et 1,7 million d’euros de chiffre d’affaires), la mauvaise image de son secteur reposerait "sur des clichés qui datent d’il y a vingt ans". Il préfère insister sur les difficultés du métier. "Nous sommes une activité qui suscite peu de vocations. Nous sommes toujours pris entre deux feux, le client qui veut être payé, et un débiteur qui soit légitimement ne peut pas payer soit est de mauvaise foi."

Quant à la crise économique, elle ne serait pas une aubaine pour le secteur, au contraire, affirme M. Gonzevac : "Les dossiers sont plus difficiles, la capacité des ménages à rembourser baisse et in fine cela devient de plus en plus compliqué d’obtenir le remboursement des dettes."

Catherine Rollot

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