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ROSA LUXEMBOURG ET L’ORGANISATION SOCIALISTE / LA PETITION

10 octobre 2007, 21:11

Une femme extraordinaire en 1918 sur la révolution russe (extraits à méditer) :

Mais avec cela la question est loin d’être épuisée : nous n’avons pas fait entrer en ligne de compte la suppression des principales garanties démocratiques d’une vie publique saine et de l’activité politique des masses ouvrières : libertés de la presse, d’association et de réunion, qui ont été entièrement supprimées pour tous les adversaires du gouvernement des soviets.

Pour justifier la suppression de ces droits, l’argumentation de Trotsky sur la lourdeur des corps élus démocratiques est tout à fait insuffisante. Par contre, c’est un fait absolument incontestable que, sans une liberté illimitée de la presse, sans une liberté absolue de réunion et d’association, la domination des larges masses populaires est inconcevable.

Lénine dit : l’Etat bourgeois est un instrument d’oppression de la classe ouvrière, l’Etat socialiste un instrument d’oppression de la bourgeoisie. C’est en quelque sorte l’Etat capitaliste renversé sur la tête. Cette conception simpliste oublie l’essentiel : c’est que si la domination de classe de la bourgeoisie n’avait pas besoin d’une éducation politique des masses populaires, tout au moins au-delà de certaines limites assez étroites, pour la dictature prolétarienne, au contraire, elle est l’élément vital, l’air sans lequel elle ne peut vivre.

Ici, Trotsky se réfute lui-même, et réfute en même temps ses propres amis. C’est justement parce que cela est vrai qu’ils ont, en supprimant toute vie publique, obstrué eux-mêmes la source de l’expérience politique et des progrès du développement..../....

En réalité, c’est tout le contraire. Précisément les tâches gigantesques auxquelles les bolcheviks se sont attelés avec courage et résolution nécessitaient l’éducation politique des masses la plus intense et une accumulation d’expérience qui n’est pas possible sans liberté politique.

La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la "justice", mais parce que tout ce qu’il y a d’instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela et perd de son efficacité quand la "liberté" devient un privilège. .../...

tout comme la nature organique dont elle est en fin de compte une partie, a la bonne habitude de faire naître toujours. avec un besoin social véritable, les moyens de le satisfaire, avec le problème sa solution. Mais s’il en est ainsi, il est clair que le socialisme, d’après son essence même, ne peut être octroyé, introduit par décret. Il suppose toute une série de mesures violentes, contre la propriété, etc. Ce qui est négatif, la destruction, on peut le décréter, ce qui est positif, la construction, on ne le peut pas. Terres vierges. Problèmes par milliers. Seule l’expérience est capable d’apporter les correctifs nécessaires et d’ouvrir des voies nouvelles. Seule une vie bouillonnante, absolument libre, s’engage dans mille formes et improvisations nouvelles, reçoit une force créatrice, corrige elle-même ses propres fautes. Si la vie publique des Etats à liberté limitée est si pauvre, si schématique, si inféconde, c’est précisément parce qu’en excluant la démocratie elle ferme les sources vives de toute richesse et de tout progrès intellectuels..../... Le peuple tout entier doit y prendre part. Autrement le socialisme est décrété, octroyé, par une douzaine d’intellectuels réunis autour d’un tapis vert.

Un contrôle public est absolument nécessaire. Sinon l’échange des expériences n’est possible que dans le cercle fermé des fonctionnaires du nouveau gouvernement. La corruption est inévitable (paroles de Lénine, Bulletin d’informations n°29) . La pratique du socialisme exige toute une transformation intellectuelle dans les masses dégradées par des siècles de domination bourgeoise. Instincts sociaux à la place des instincts égoïstes, initiative des masses à la place de l’inertie, idéalisme, qui fait passer par-dessus toutes les souffrances, etc. Personne ne le sait mieux, ne le montre avec plus de force, ne le répète avec plus d’obstination que Lénine. Seulement il se trompe complètement sur les moyens : décrets, puissance dictatoriale des directeurs d’usines, punitions draconiennes, règne de la terreur, autant de moyens qui empêchent cette renaissance. La seule voie qui y conduise, c’est l’école même de la vie publique, la démocratie la plus large et la plus illimitée, l’opinion publique. C’est justement la terreur qui démoralise.

Tout cela ôté, que reste-t-il ? Lénine et Trotsky ont mis à la place des corps représentatifs issus d’élections générales les soviets comme la seule représentation véritable des masses ouvrières. Mais en étouffant la vie politique dans tout le pays, il est fatal que la vie dans les soviets eux-mêmes soit de plus en plus paralysée. Sans élections générales, sans liberté illimitée de la presse et de réunion, sans lutte libre entre les opinions, la vie se meurt dans toutes les institutions publiques, elle devient une vie apparente, où la bureaucratie reste le seul élément actif. C’est une loi à laquelle nul ne peut se soustraire. La vie publique entre peu à peu en sommeil. Quelques douzaines de chefs d’une énergie inlassable et d’un idéalisme sans borne dirigent le gouvernement, et, parmi eux, ceux qui gouvernent en réalité, ce sont une douzaine de têtes éminentes, tandis qu’une élite de la classe ouvrière est convoquée de temps à autre à des réunions, pour applaudir aux discours des chefs, voter à l’unanimité les résolutions qu’on lui présente, au fond par conséquent un gouvernement de coterie - une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat, mais celle d’une poignée de politiciens, c’est-à-dire une dictature au sens bourgeois, au sens de la domination jacobine (le recul des congrès des soviets de trois mois à six mois !). Et il y a plus : un tel état de choses doit provoquer nécessairement un ensauvagement de la vie publique : attentats, fusillades d’otages. etc.

J’ai essayé d’enlever au maximum l’inutile mais difficile, chaque mot fait mouche sur cette dame et une prescription première : Si l’objectif est bien d’une société de libertés, le parti de tous les communistes devra être d’abord un parti de la liberté, des libertés et du contrôle démocratique par la base, de l’esprit d’initiative, un parti qui ne peut être un parti de caporaux, de chefs, qui dominent l’organisation.

Ce formidable esprit de liberté de Luxembourg est un souffle rafraichissant même dans la façon de concevoir la bataille et les organisations dans un monde toujours soumis au capitalisme.

Travaillons bien, travaillez bien, et après s’être mis de bonnes raclées entre nous tous et toutes, il faudra bien réunifier, non pas rénover, non pas réformer, non pas réviser, mais révolutionner notre chemin vers l’avenir.

Il faut accélérer, la situation sociale se dégrade à très grande vitesse, tout doit être mis au service de la reprise de confiance en soi des travailleurs, des classes populaires, en imaginant des formes d’organisation qui intègrent un problème oublié depuis un siècle : reconstruire en partant d’un niveau très bas, partis, mouvements et syndicats.

Ainsi le mouvement social doit être au centre de nos préoccupations, comme les questions posées là (à dessein relayées dans ce débat) qui permettent de porter des réponses plus satisfaisantes sur une partie des origines de l’autonomisation de castes arrogantes et criminelles dans des pays ayant virer la bourgeoisie par le passé. Convaincre beaucoup de travailleurs à jeter du charbon dans la bataille sociale et la bataille politique c’est convaincre aussi de cette façon un peu qu’on a tiré réellement une grande partie de ce qu’il y avait à tirer d’expériences qui sont encore des repoussoirs terribles.

C’est également être donc ressenti comme le parti de la liberté, le parti de la libération, des libertés individuelles et collectives, et que les travailleurs sont bien à l’aise dedans, libres entre égaux, dominant leurs représentants.

Copas