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Le Liban tire à boulets rouges sur le film israélien "Lebanon"

23 septembre 2009, 15:44, par Roberto Ferrario

CHERS RÉALISATEURS FRANçAIS

de Danielle Arbid

Je suis cinéaste, d’origine libanaise. Et je vis et travaille en France.

Je devais partir à Beyrouth la semaine dernière. Finalement je suis bloquée à Paris, entre Euronews et internet à suivre le cauchemar dans lequel est plongé mon pays.

Les deux premiers jours de cet affrontement barbare, j’étais enragée contre le Hezbollah. Je pensais, de quel droit ce parti d’extrémistes décide de notre sort ? Aujourd’hui, je trouve que le Hezbollah est bien naïf. Aujourd’hui ma colère se tourne vers l’autoproclamée ‘Seule démocratie du Moyen-Orient’, ce monstre d’acier qu’est Israël. Je me demande si les gens qui composent l’armée de Tsahal, si ceux qui gouvernent là-bas, rôdés à écraser les autres comme des mouches, je me demande si ces gens-là n’ont jamais connu des sentiments, comme la compassion par exemple ou l’amour. Je me demande aussi ce qu’ils peuvent bien apprendre à leurs enfants à l’école, ce lieu de confrontation et surtout d’acceptation de l’autre.

Israël me fait froid dans le dos.

Je sais que l’Occident aura toujours une dette envers ce pays. Mais, je refuse que la chair de mes compatriotes civils soit le prix encore de cette dette. C’est pourquoi j’ai honte aujourd’hui de vivre en Occident et en France. J’ai honte du parti pris des socialistes, j’ai honte de celui de Nicolas Sarkozy. Dire aujourd’hui qu’on est l’ami d’Israël et lui reconnaître son droit à se défendre de cette manière. C’est lui reconnaître son droit de tuer à tour de bras. Or Israël a perdu la raison. Il est devenu fou. Et les amis d’Israël, s’ils le sont vraiment, au lieu de pavaner à la télévision, doivent faire tout pour le raisonner. J’ai honte de l’incapacité de la France à réagir, de ses bons sentiments qu’elle traîne comme des casseroles, de son mutisme.

J’ai un fils et depuis sept jours, je me demande quelles valeurs lui inculquer. Les valeurs d’ici ?! C’est-à-dire s’affaler dans un fauteuil jusqu’à la fin de sa vie et voir les corps des plus pauvres, des sans voix, défiler en nombre sur TF1. Moi j’ai une voix et je l’utilise aujourd’hui pour vous dire que tuer des civils innocents n’est pas « un acte d’autodéfense » et raser un pays entier n’est pas « un acte mesuré ». Et le jour où ce sera le contraire, je souhaite au monde alors de ne plus exister. Je vous écris pour vous dire mon mépris de l’Occident, de son silence injuste.

Car nous Libanais, étions deux millions à clamer dans les rues de Beyrouth l’année dernière notre soif de liberté et de démocratie. J’étais là. J’ai vu les deux millions représentant les deux tiers de la population. Vous les avez vu aussi à la télévision. Or depuis l’année dernière, notre gouvernement et tous les acteurs civils de notre société n’ont cessé de raisonner le Hezbollah pour empêcher que le pays ne soit pris une nouvelle fois, en otage. Nos hommes politiques ont peut-être échoué mais jusque la dernière minute, ils ont essayé. Et ils essaient encore. Et nous, l’écrasante majorité des Libanais, nous savons qu’il faut croire au dialogue et au compromis.

Nous le savons parce que nous l’avons payé cher par le passé. Nous l’avons payé de notre guerre civile, des 150 000 morts, de la destruction de nos villes et de nos villages, de notre misère. Nous savons que nous sommes liés, chrétiens et musulmans, pour le meilleur et pour le pire, par un même destin. Par peur de revivre notre guerre civile une deuxième fois, nous ne pouvons pas déclarer la guerre au Hezbollah. Car cela veut dire déclarer la guerre à l’ensemble de la communauté chiite. Nous ne pouvons que dialoguer et négocier et raisonner. Et même réduits aujourd’hui au rang de boucliers humains, nous refuserons cette guerre entre nous et sous toutes ses formes. Nous sommes les démocrates du Moyen-Orient. Car nous avons appris.

Ma colère est là, intacte. Je la ressasse à longueur de journée. Les pétitions affluent. Les appels au secours aussi. Les mails et les sms désespérés pleuvent. Je me demande ce que vous, Français, réalisateurs, artistes, pouvez encore faire pour nous ? Je me dis que la plupart ne feront rien. Mais que peut-être certains signeront des pétitions, iront à des manifestations, souriront en rêvant à une Beyrouth en paix qu’ils connaissent déjà... C’est à ceux-là que je m’adresse en leur demandant de ne pas nous oublier, de faire tout ce qui leur est possible. Car là-bas, sous les bombes, ils se sentent si seuls, lâchés par le monde.

Danielle Arbid

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=31603