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Ces clandestins venus d’Europe de l’Est qui font le ménage..

Publie le mardi 4 novembre 2003 par Open-Publishing

Ces clandestins venus d’Europe de l’Est qui font le ménage
dans les entreprises américaines

"Tout ce qu’ils m’ont raconté était un mensonge". C’est le constat du Tchèque Martin Opat, convaincu par des passeurs qu’il ferait fortune en nettoyant les sols dans l’Eldorado américain, pour ne vivre en fait qu’une triste odyssée clandestine, comme des milliers d’autres Européens de l’Est.
Ancien videur de boîte de nuit, Martin Opat est un "dur". Mais pas suffisamment encore pour le calvaire qu’il a vécu. Comme des milliers d’autres venus d’Europe orientale, attirés aux Etats-Unis par des employeurs sans scrupules, exploités, sous-payés, menacés d’être arrêtés et expulsés.

Aux Etats-Unis, la semaine dernière, à l’issue de cinq ans d’enquête, un vaste coup de filet dans 58 grands magasins Wal-Mart aura abouti à l’interpellation de 245 clandestins présumés, dont 35 Tchèques et des ressortissants de l’ex-URSS.
"Une personne sur deux m’achetant un billet pour les Etats-Unis y va pour se faire de l’argent", explique Tomas Rambousek, voyagiste tchèque qui aide ses compatriotes à trouver du travail clandestin outre-Atlantique, et affirme travailler directement avec des entreprises américaines. Refusant de les nommer, il accuse : "je pense que les autorités américaines ferment les yeux".
"Il y a un important réseau en Europe de l’Est, connecté à un important réseau de gens principalement originaires d’Europe de l’Est, qui se consacrent exclusivement à convaincre les gens pauvres de là-bas d’essayer de venir ici", explique Richard Krpac, consul de République tchèque à Washington. "Ils font beaucoup de promesses, qui ne sont jamais respectées".

La filière est classique : arrivée avec un visa de touriste, et travail fourni par des entreprises de sous-traitance gérées par des Européens de l’Est installés aux Etats-Unis, qui exploitent sans scrupules ces nouveaux clandestins.
Après avoir dépensé 1.300 dollars pour son visa et son billet, Martin Opat est arrivé à Dallas (Texas) en 2000. Son contact tchèque, "M. Vavra", lui annonce alors que le mirifique travail promis, 1.900 dollars pour nettoyer dans un supermarché de l’Oklahoma, n’existe pas. On lui propose un autre emploi, mais son contact refuse de lui verser tout salaire pendant trois mois. Une commission de 500 dollars, un dépôt de garantie d’autant, et un loyer de 170 dollars seraient en outre prélevés sur sa première paye... "Je voulais lui casser la gueule", raconte Opat.

Malgré tout, les Tchèques continuent à tenter leur chance en Amérique... Ils y seraient 200.000 immigrés illégaux, selon un responsable occidental s’exprimant sous le couvert de l’anonymat. Et des centaines d’autres arrivent chaque jour, même si les consulats refusent de plus en plus de candidats au "visa de tourisme".
Selon l’estimation basse, deux millions de personnes auraient quitté l’Europe orientale ces dernières années. Mais le chiffre réel pourrait atteindre le double. En Bulgarie, 700.000 jeunes seraient partis "à l’ouest". En Bosnie, où le chômage atteint 40%, six jeunes sur dix veulent partir, selon l’ONU.

Un désespoir devenu poule aux oeufs d’or pour certains. Comme Suno Tours, voyagiste de Sarajevo se flattant d’obtenir en Turquie des visas d’immigration aux Etats-Unis. Et ce, alors que seule l’ambassade américaine à Sarajevo a le droit de délivrer des visas aux Bosniaques... Un journaliste de l’agence Associated Press se rendant à Suno Tours s’est entendu dire qu’il n’était pas nécessaire de passer par l’ambassade : "il n’ont rien à y voir", lui a-t-on seulement expliqué.
Chez Wal-Mart, où la plupart des clandestins étaient mexicains, il y avait 18 nationalités, dont 22 Mongols et 20 Brésiliens. Payés entre six et huit dollars de l’heure pour nettoyer sols et toilettes pendant la nuit, travail que peu d’Américains acceptent de faire. Et que les grosses entreprises et chaînes de supermarchés confient, depuis 1986 et le durcissement des textes sur l’emploi des illégaux, à des entreprises sous-traitantes, histoire de se simplifier les choses.

Dans toute l’Europe de l’Est, on trouve dans les journaux des annonces accrocheuses, photos ensoleillées de la Floride ou de Las Vegas à l’appui. Et, sur Internet, d’innombrables sites évocateurs comme "AmericaGo.biz"...
La manne ne risque pas de se tarir. Même exploités, les clandestins continuent d’affluer, attirés par des sommes folles au regard des économies dévastées de leurs pays d’origine... Avec des semaines de 60 heures, même en ne gagnant que six dollars l’heure, non-déclaré, on engrange un pécule de 18.000 dollars annuels. Soit, en deux ans, de quoi monter une petite entreprise au pays, explique le journaliste tchèque Radek Adamec. "Les sociétés américaines se fichent complètement de savoir qui nettoie les bureaux la nuit. Tout le monde s’en fiche, et pourquoi devraient-ils s’en préoccuper ?".

En attendant, l’histoire d’Opat se termine bien. A Chicago, où vivraient quelque 10.000 clandestins tchèques, il a travaillé au noir comme couvreur et gagné 150 dollars par jour... "En deux mois, j’ai fait plus d’argent que ce que M. Vavra m’aurait payé en un an". Avec sa femme et sa petite fille, il n’exclut pas de repartir pour les Etats-Unis... Mais ajoute : "j’ai encore vu une de ces annonces dans le journal, la même que celle à laquelle j’avais répondu. Alors, méfiez-vous..." PRAGUE (AP)