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Aujourd’hui, mon Anpe est fermée parce que mon conseiller y fait grève. Pour « refuser une contre-réforme qui vise à transformer les employés de l’ANPE et de l’UNEDIC en police de l’emploi, renforçant le contrôle des chômeurs et les obligeant à accepter n’importe quel poste sous peine de radiation » comme c’est écrit sur les tracts.
Surtout les postes d’emploi de service. Que Fred y dit : vous connaissez la différence entre un domestique et un salarié emploi service ? C’est la mobylette, parce qu’un domestique ça habite dans les combles chez not’ bon maître alors que le salarié emploi service il habite dans la cité à quinze kilomètres.
Y a pas que ça, mais la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC j’y comprends pas grand chose, même si mon conseiller en grève m’a expliqué que c’était pour privatiser le chômage.
Enfin, c’est ça que j’ai compris. Mon ancien délégué syndical CGT, y m’a dit que la privatisation c’était quand l’Etat vendait aux patrons , pas trop cher sinon les riches y sont pas contents, les filières rentables des services publics (publics, y m’a dit que ça voulait dire qu’y z’étaient à nous).
Comme par exemple la filière des chômeurs directement "employables" (ça veut dire que l’on peut ployer) pour l’élevage des riches. Les chômeurs "inemployables" y restent pris en charge par le résidu de service public pour se maintenir "en projet" d’insertion et pas aller rouspéter dans la rue pour crier famine à Sarkozy sa voisine, parce que not’ président, qui est si beau dans son jogging de la police américaine, y dit que ça se fait plus de crier dans la rue, et tout le monde fait ce que not’ président y dit.
C’est comme la privatisation des trains : les patrons y z’achètent les plus belles lignes qui vont vite avec les TGV dessus et plein de monde dedans avec plein de petites pièces dans les poches, et la SNCF elle garde les lignes toutes môches, perdues dans la campagne, avec des corails qui font mal au dos, vu que dans la campagne, y a plus que des vieux pauvres, des hippies sans sous et des anglais hollandais qui prennent pas le train vu qu’y z’ont leurs p’tits avions.
Moi, je dis que si not’ président qu’on a élu y fait ça c’est que ça doit être pour notre bien puisqu’on l’a élu. Même qu’y m’a donné les transports gratuits pour aller chercher du travail, même si des fois je l’utilise pour aller voir les vitrines de Noël au centre de la ville, parce que not’ président y veut qu’on fasse de jolis rêves pour qu’on soit heureux, et y m’a donné aussi la prime de Noël pour que je puisse faire des cadeaux pour pas que je sois ridicule le soir de Noël à être tout seul sans cadeaux, comme ça les commerçants y sont contents aussi, et comme ça tout le monde est content, le champagne y coule à flot et on peut aller mourir sur la route en chantant à la gloire de not’ président qui est not’ saint Nicolas à tous.
Fred y m’a gueulé dessus parce que lui y dit que c’est par la lutte des chômeurs, enfin pas tous parce qu’y en a beaucoup qui ont trop peur d’être punis encore plus et qu’y disent que ça sert à rien, qu’on a eu les transports gratuits et la prime de Noël, et que tous, on en profite, même ceux qui ont pas lutté.
Fred y m’a dit comme ça que ch’uis complètement aliéné par la télévision de not’ président. Je lui ai répondu que la bête, moi je la sentais pas et que je comprenais pas ce qu’il voulait dire. Il m’a dit que c’était justement la preuve que j’étais aliéné et que c’était pour ça que je savais pas ce que c’était le sens de la vie.
A quoi Polo qui va dans la bibliothèque avant qu’elle soit brûlée y lui répond : « Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n’adhère plus à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n’est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses ; et jamais on aura vu tant de crimes, dont la bizarrerie gratuite ne s’explique que par notre impuissance à posséder la vie. », d’Antonin Artaud qu’y dit que c’est.
Polo y dit que la bête, quand elle est en toi, elle prend le commandement de ton cerveau et dirige tes pensées et ton corps et que si tu veux aller, par exemple, boire l’apéro avec les copains, elle, elle te dit que c’est pas bien et t’oblige à aller à l’Anpe même si ça sert à rien. Que c’est pour ça qu’on a mal au dos vu que le ventre y veut aller d’un coté et la tête de l’autre, ça coince la colonne vertébrale. Comme Bernard Thibault, y lance Fred en rigolant.
Ça, je l’ai pas dit à mon ancien délégué syndical CGT parce que je sais que ça le fait pas rire. Y me gueulerait dessus : Bernard, il a été élu par la majorité des syndiqués de la CGT, et que donc c’est la voix du syndicat comme not’ président, qui est l’élu du peuple, c’est la voix de la France ! Et qu’y faut pas critiquer le chef du syndicat, parce que c’est dire du mal du syndicat et que ça lui fait perdre des forces pour négocier avec le patron qui est content qu’on dise du mal du syndicat comme lui. Là-dessus, y partirait en colère en disant : Oulala, qu’est-ce que j’ai mal au dos moi aussi. Cette bête-là, c’est plutôt au cul qu’elle fait mal vu que c’est par là qu’elle rentre, y ricane Fred qui a mauvais esprit et que mon ancien délégué syndical CGT y dit que c’est un irresponsable, un gauchiste malade enfantin du communisme, heureusement y’en a pas beaucoup, et que not’ président qui est l’envoyé de not’ Dieu, y va les soigner en leur posant les mains des CRS dessus leur tête.
Alors Polo, qui dit qu’y vaut mieux réfléchir que s’engueuler entre pauvres parce que ça fait le jeu de madame Medef, la patronne des patrons, que moi je la trouve gentille vu qu’elle peut pas être mauvaise vu qu’elle est copine avec not’ président qui nous protège des méchants, et que je vois pas pourquoi je jouerais pas avec elle à gagnant-gagnant, bref, Polo y m’explique que la bête elle rentre en toi dès que t’es sorti du ventre de ta mère, c’est pour ça qu’on veut pas sortir et qu’y paraît qu’on veut toujours y retourner, c’est pour ça qu’on achète la Twingo de m’sieur Renault.
C’est parce qu’y faut que tu te prépares très vite à devenir éleveur de riches, sinon après c’est foutu, tu peux plus, tu restes un enfant sauvageon, et ça c’est grave, parce que not’ président, qui est notre père à tous, y doit construire plein de prisons pour te protéger de toi-même, de tes mauvaises fréquentations et protéger la société des vrais humains, et que not’ président y l’a aut’chose à faire que ça avec la pov’ madame Betancourt. D’ailleurs, y rajoute Fred, les riches aussi on les prépare dès la naissance à se faire élever par les pauvres, parce que sinon y peuvent devenir socialistes et là, c’est grave aussi.
Donc, y continue Polo, dès que t’es né et toute ta vie après, y’a :
les parents, qui sont ta famille et que c’est la base de la société, mets pas les doigts dans ton nez, arrête de te tripoter le portable, ...
l’instituteur, maintenant c’est professeur des écoles qu’on les appelle, comme pour les balayeurs on dit techniciens de surface, mais en fait, nous on les appellent toujours maître pour s’habituer pour notre élevage
le voisin et la voisine qui te délationnent au maire,
le professeur du collège, qui t’apprend comment on fait pour l’élevage des riches,
le président et l’entraîneur du foot qui disent qu’on peut tirer le maillot vu que l’important c’est la victoire, et qui t’apprends la compétition pour gagner-gagner,
l’entraîneur de la boxe qu’on en fait beaucoup dans les quartiers parce que ça canalise notre trop plein d’énergie et que sinon on fait des bêtises comme brûler la voiture du voisin qui délationne,
l’animateur du CLAE, qui nous apprend à nous emmerder en jouant sagement,
le moniteur de la colonie de vacances du comité d’entreprise que c’est mon ancien délégué syndical CGT qui s’en occupe,
le docteur, qui dit qu’y faut pas picoler ni fumer de achich pour se soigner de l’oubli de la misère,
le policier, qui pour nous est toujours trop de proximité,
le commerçant qui te prend tes petites pièces avec son sourire si bon,
le juge, qui te juge,
l’assistante sociale, qui t’assiste pour gérer les économies que t’as pas,
l’éducateur spécialisé (Martine, qui l’est, elle dit qu’ils sont spécialistes de la souffrance humaine sociale, mais Fred y dit que c’est comme les OS, les ouvriers spécialisés avant qu’y soient collaborateurs du patron, c’est parce qu’y sont le bout du bout de la chaîne, qu’y font l’acte concret de travail, y serre le boulon, et l’éduc. spé. comme y s’appellent, c’est celui qui s’occupe physiquement de la personne qui souffre de la proximité du policier qui est encore plus spécialiste du boulon),
le conseiller de l’Anpe, qui t’insère dans l’intégration pour plus avoir ta case à cocher,
le contremaître, qu’on appelle comme ça pas parce qu’il est contre le maître, mais tout contre,
le patron, qui patronne,
le maire, qui est le patron de la délation,
le journaliste de not’ président,
les bonnes soeurs, qu’on en parle pas mais y’en a beaucoup dans les quartiers pour nous apporter la charité et l’acceptation de notre destin d’éleveur de riches,
tous ceux-là qui te disent qu’au lieu de jouer dans les bois à faire l’indien, faut que tu restes sage et que t’apprennes bien à l’école pour savoir utiliser une bibliothèque plutôt que la brûler, vu qu’à eux ça leur sert (les flics, ça m’étonnerait, y rigole Fred. T’es bien placé pour causer, l’animateur, qu’y lui a rétorqué Polo, du tac au tac) pour lire des livres où y a écrit :
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements ?
Bandit ! Voyou ! Voleurs ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant.
Y sont comme les pauvres, y z’aiment bien la poésie qui fait pleurer.
Eux, ils la lisent dans les livres, alors que nous on la lit dans les CD.
L’homme civilisé, y rajoute Polo qui lit les livres, lui !, il a appris à s’émouvoir devant la beauté de la misère des pauvres dans les livres, puis a construire des bibliothèques pour les pauvres (à l’inauguration de la bibliothèque du quartier, toute en verre, le secrétaire général de la mairie il a dit que c’était « donner du lard aux cochons », tout le monde a bien ri) pour que les pauvres y z’apprennent pourquoi y sont pauvres et que c’est beau l’espérance de l’avenir radieux que not’ président y nous a promis.
L’homme civilisé, il a appris aussi à construire des gros bombardiers pour aller faire la guerre à l’ennemi (l’ennemi, y l’est con, y croit que c’est nous l’ennemi, alors que, justement, c’est lui, le con ! il a dit Desproges, qu’y dit Fred), même s’y nous a rien fait, mais si not’ président qui sait tout y le fait c’est qu’y sait pourquoi, en plus ça rapporte plein de petites pièces aux amis marchands d’armes de not’ président qui peuvent acheter avec les chaînes de télévision et de radio pour not’ président qui aime tant qu’on s’amuse avec Bigeard et Fabrice Lucchini qui a appris toutes les bibliothèques par cœur, et en donner un peu aussi aux ouvriers qui les fabriquent, les armes et les émissions, que ceux-là jamais y font grève parce qu’y z’ont bien appris à être sages et à aller dans les bibliothèques et que sinon ça serait les femmes qui les remplaceraient pour envoyer les bombes tuer leurs enfants au front, pour sauver la patrie, une mère sait faire des sacrifices, et chanter les louanges à not’ président qui les invitera dans son palais pour pleurer avec elles et lire la dernière lettre de leur cher petit. Comme quoi ça sert de savoir lire et écrire. C’est pour ça qu’un homme civilisé, même une femme, y continue Polo, y supporte pas que les enfants brûlent des bibliothèques.
Ouais, y dit Djamel qu’arrive du front, mais les mecs y s’en foutent qu’elle brûle la bibliothèque du quartier, vu qu’y z’ont celle de la prison où y vont souvent. En plus, là-bas, ils ont le temps de lire tranquille. Et les bibliothèques, y lance Fred qui a mauvais esprit, c’est pour la propagande du maire, pour montrer qu’y fait des choses pour les élections, mais y a que les vieux, les associations et les écoles qui y vont, parce que les jeunes, surtout les filles, y préfèrent aller à la médiathèque en ville, c’est plus class pour se cacher des parents pour draguer.
En plus, y dit Fred, depuis vingt cinq ans que la "politique des quartiers" comme y disent dans les ministères (il a appris ça pendant sa formation d’animateur) elle a commencé, rien n’a été fait pour améliorer vraiment la vie quotidienne des pauvres. L’argent qui arrive, on se demande où va le reste, c’est pour casser les immeubles et envoyer les pauvres encore plus loin de la ville, pour les associations et les équipements d’encadrement des pauvres, pas pour les gens eux-mêmes, comme si le but c’était que les quartiers des pauvres y deviennent comme en Amérique que not’ président y dit qu’c’est là qu’y a du fric, avec les gens tellement malheureux qu’y se tuent entre-eux, se volent, se suicident, font la guerre avec la police de plus en plus armée avec le permis de tirer à vue comme dans les belles favélas du tiers monde que c’est si beau à voir de loin dans le soleil couchant, pendant que la cour s’amuse et que les bonnes gens de gauche se disputent pour les prochaines élections.
Pourquoi tu crois qu’y construisent des tas de prisons ? Parce qu’y savent très bien que c’est ça qui va se passer vu qu’y font tout pour ça.
Moi, je dis que si not’ président qui est contre les voyous y savait tout ça, y les laisserait pas faire. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois, y chantonne Fred, pour nous remonter le moral que tout d’un coup on a dans les chaussettes fabriquées par madame Hong que j’ai vu dans Thalassa et qui sait comment on accumule les petites piéces pour être un bon communiste capitaliste.
Peut-être qu’y faut faire comme le bouddha et se répéter « la vie est belle, la vie est belle... » y rajoute Fred, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien...
Alors on a pris not’ permis d’ach’ter et on est allé faire les courses de Noël dans la ville qui brille.