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Conte : le cèdre

Publie le vendredi 11 avril 2008 par Open-Publishing

Le cèdre

Au début de l’été 2006, alors que je faisais la sieste à l’ombre d’un cèdre, sa voix, au dessus de moi, tomba de ses branches les plus basses en un murmure. Il me racontait l’ histoire suivante, que je cite de mémoire, car cette histoire revient souvent à mon souvenir un an et demie après, et maintenant que j’ai quitté les cèdres en pleurs, peut-être à jamais :

La planète Yalfeuôlak

Il était une fois la planète Yalfeuôlak (on dit qu’elle fut nommée "Terre" par la suite). Y vivait parmi d’autres peuples, un peuple d’hommes verts à pois violets sur lequel avait pris le pouvoir un roi colonialiste, sanguinaire, et ne respectant aucune loi. Ce peuple, qui voyageait de par le monde entier, avait été humilié et massacré et c’est alors que le cruel souverain s’était imposé à lui en lui faisant accroire qu’il était un peuple supérieur, et qui ne doit pas se mélanger à d’autres.

Le roi avait pour cela réveillé une vieille légende selon laquelle une "révélation" qu’aurait faite à un seul homme ( sans témoins, cependant), un certain dieu Aitreugourouyaksakipeh le désignait ainsi, et le dieu lui promettait un pays merveilleux, ainsi que le droit de soumettre et faire mourir tous les autres peuples. Ceci à la seule condition qu’ils n"aiment" que lui, et respectent des règles de vie qu’il avait édictées à leur seul usage.

Ce fut fait. Lors, le roi des hommes verts à pois violets leva des armées désormais entièrement dévouées et entreprit de soumettre les peuples voisins, après avoir pris la précaution - aide-toi, le Ciel t’aidera - de s’allier l’empereur très puissant de la moitié d’un continent de la planète.

Celui-ci possédait le plus gros stock d’armes de destructions massive de tout Yalfeuôlak . Il usait de tous les stratagèmes (hypnose collective, dangers créés de toutes pièces pour qu’il apparaisse en sauveur, créations d’ennemis imaginaires aptes à susciter l’épouvante, donc la soumission, etc...) pour se faire passer pour bon et honnête.

Le roi commença à massacrer les habitants des pays voisins dont il convoitait les richesses, pour lui-même d’une part, et pour rembourser à l’empereur le prix de son aide d’autre part.

Les hommes multicolores de toute la planète prirent alors conscience du danger qu’il y avait à ce que le monde entier ne tombe entre les mains de cet empereur son allié, et ils soutinrent les résistants au colonialisme des hommes verts à pois violets.

Ceux-ci ne comprirent pas bien ce qui arrivait. En effet, les peuples, d’après le dieu, étaient censés se soumettre quasiment d’eux-même et à peu de frais : Aitreugourouyaksakipeh l’avait dit ! Ils se mirent alors à hurler au racisme, qui seul pouvait expliquer qu’on ne laisse pas leur roi et son allié l’empereur bafouer toutes les lois et anéantir les nations dont les richesses leur revenaient de droit !
Aitreugourouyaksakipeh ne tiendrait-il pas ses promesses ? Peut-être qu’il n’existait pas ? Ils ne voulaient pas être livrés à l’humanisme, la laïcité, et leur cortège de questions inquiètantes sans réponses rassurantes. Aidés et soutenus par l’empereur ( content d’avoir de si fidèles alliés dans son désir d’appropriation du monde), ils s’obstinèrent à tuer, massacrer, redoubler de prières.

D’ailleurs les hommes verts à pois violets qui refusaient de hurler avec les loups de ce pays sans frontière vivaient mal : traités de traîtres et de renégats par les adorateurs de Aitreugourouyaksakipai, assimilés par nombre de multicolores à ce gouvernement sanguinaire, ils méditaient... parfois en prison, pour insubordination. Personne n’enviait leur sort. Pas plus que celui des descendants (pourtant très nombreux) de ceux qui s’étaient mélangés et offraient aux regards les éléments verts à pois violets que les hasards de la génétique faisaient apparaître sur eux parmi d’autres couleurs.

Cependant, les résistants à l’empire voyaient croître leur determination au fur et à mesure que le sang était versé, afin qu’il ne le fût pas pour rien. Dans le monde entier, les multicolores sortirent de l’hypnose exercée par l’empire, et, se frottant les yeux, virent la réalité sanglante, l’asservissement progressif dont ils étaient victimes, et ils réveillèrent les autres. Ainsi grossit tant la troupe des résistants que le masque de bonté et d’honnêteté de l’empereur apparut à tous pour ce qu’il était : un masque dissimulant cruauté et avidité.

Le peuple de l’empire lui même comprit qu’il était mené par le mensonge et la duplicité depuis longtemps, et il rejoint les résistants, car les prisons de l’empereur, pour vastes et nombreuses qu’elle fussent, ne purent plus le contenir. Le peuple de l’empereur arma de manière déterminante la résistance au moyen d’informations précises, et de preuves communiquées par ses dignitaires, concernant les mensonges et traitrises commis par l’empereur. Ces révélations réveillèrent et révoltèrent les plus endormis et les plus soumis. L’empereur, en effet, avait eu grand soin de maintenir son peuple dans l’ignorance et l’inculture... mais point n’est besoin d’être savant pour que colère et révolte jaillissent quand on est trompé.

Les hommes verts à pois violets, quant à eux, comprirent que Aitreugourouyaksakipeh ne les aidait pas sur ce coup-là. Certains, les plus bernés par leur roi, les plus croyants, les plus désireux aussi de se sentir "supérieurs" en déduisirent qu’ils ne l’avaient pas assez aimé leur "dieu", ne lui avaient pas assez bien obeï, et ils redoublèrent de louanges, de prières, et d’accomplissement de rites, redoutant sa colère. D’autres rejoignirent le groupe des "traitres et des renégats" et, heureusement, furent accuellis chaleureusement dans le monde entier par leurs pairs et par des multicolores, avec lesquels ils se mélangèrent.

Le roi eut désormais du mal à recruter des troupes et fut pris au piège du non-mélange de son peuple avec un autre. Son armée, trop petite, battit en retraite sous les huées.

L’empereur fut renversé, et un autre empereur fut porté au pouvoir par le peuple, à la condition de mettre en oeuvre tous les plans élaborés par la résistance pour assurer à tous la satisfaction des besoins élémentaires, la transmission des cultures et l’acquisition des savoirs, l’élimination des technologies dangereuses, l’interdiction d’asservir aucun être humain, de quelque manière que ce soit.

L’empereur, le roi, et leurs conseillers, furent envoyé finir leurs jours dans une tribu d’Amazonie qui avait accepté de leur apprendre à survivre nus, sans même une cravate, dans la forêt équatoriale. La tribu avait accepté aussi de leur enseigner, dans la mesure du possible et sans obligation de résultats, quelques principes élémentaires d’humanité, de fraternité, et de respect pour Yalfeuôlac qui les hebergeait.

Les multicolores se mélangèrent encore davantage, et eurent beaucoup d’enfants. Pour remplacer tous ceux qui avaient été tués. Et construire un autre monde.