Dévoiler l’angle mort

Quand l’Occident sermonne l’Iran en foulant ses propres charniers

27 juin 2025 Rayan L’Anduzen

Signaler ce contenu.

L’Occident aime brandir la torche des Lumières, mais le faisceau se tourne rarement vers ses propres ombres. En désignant l’Iran comme baromètre du mal, il masque un champ de ruines qui lui appartient : conquêtes coloniales, villages rasés, gisements pillés, villes pulvérisées sous prétexte de croisade démocratique. Les ruines de Falloujah, les mines éventrées du Katanga, les ossements anonymes d’Algérie et du Kenya le rappellent. Comment juger Téhéran d’une main et, de l’autre, tourner la page de ses propres massacres  ?

Le miroir est cruel. Dans les citadelles euro‑atlantiques, la démocratie se déclame comme un cantique tandis que l’abstention flambe, que la surveillance numérique mord l’espace intime et que la misère gangrène des banlieues livrées à la spéculation. On proclame la liberté de pensée, mais l’opinion se réduit au souffle de quelques magnats. On célèbre la paix, mais chaque guerre pétrolière réveille le vieux démon xénophobe.

Vient alors le procès fait à l’Iran  : République islamique, conservatisme, répression. Rien de cela n’est nié par ceux qui, de l’intérieur, luttent pour davantage de droits. Mais ce combat est le leur, nourri par une histoire millénaire où s’enchevêtrent persan, azéri, kurde, arabe, baloutche  ; un théâtre que les armées occidentales, embourbées dans leurs propres tragédies, ne réformeront jamais.

La vraie décence commence par la décantation. Qu’il s’agisse du sang versé sous le drapeau tricolore en Afrique, des villes irakiennes réduites en poussière, des jungles tropicales transformées en cimetières chimiques, et d’une Libye pulvérisée sous les bombes de Sarkozy pour étouffer un scandale de financement, abandonnée à des dizaines de milliers de morts, tout exige reconnaissance, réparations, repentance.

Faute de quoi, les sermons pleuvent dans le désert. Évoquer Voltaire tout en vendant des drones, citer Rousseau puis étouffer les révoltes à coups de grenades «  made in Europe  » : la «  mission civilisatrice  » n’est plus qu’une feuille d’or craquelée. À quoi bon pointer l’Iran quand l’urgence serait de libérer les nations asservies par l’Occident, afin qu’elles puissent simplement manger à leur faim et accéder à une véritable éducation  ?

Il faut renverser la perspective. Sécher d’abord les larmes que l’on a fait couler, cesser de confondre marché et charité, restituer aux peuples les ressources confisquées. Ensuite, habiter sa propre maison  : rééquilibrer production et vie, démanteler les chaînes psychologiques de la consommation fossile, réinventer l’école comme foyer d’esprit critique plutôt que fabrique d’obéissance.

Alors seulement pourra naître un dialogue d’égal à égal, débarrassé de la suffisance et de la menace. Tant que durera le double langage, la parole occidentale ne sera qu’une porte qui grince, un discours d’empire maquillant son ossuaire.

Faisons taire les trompettes morales et posons la seule question qui vaille  : qui sommes‑nous pour désigner l’ennemi, quand la fumée de nos propres incendies obscurcit encore le ciel  ?

Portfolio

Cet espace est personnel, Bellaciao n'est pas responsable de ce contenu.

Un commentaire ?
Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.


1999-2025 Bellaciao
Contact | Mentions légales | Qui sommes-nous |
L’inscription est obligatoire pour publier sur Bellaciao.
Les publications dans les espaces personnels et les commentaires de forums sont modérés a posteriori.
Les auteurs sont responsables de leurs écrits et assument légalement leurs publications.
En savoir plus

Archives Bellaciao 1999-2021

Bellaciao FR Bellaciao IT Bellaciao EN Bellaciao ES