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Cuba et le "socialisme dans un seul pays"
Publie le samedi 6 octobre 2007 par Open-Publishing9 commentaires
Entretien avec Celia Hart, El Militante, 17 septembre 2004.
Celia Hart, communiste cubaine, internationaliste et défenseuse de la Révolution bolivarienne au Venezuela, a participé dans notre pays à différentes réunions organisées par la Fondation Federico Engels et El Militante. Ces derniers mois, Celia a publié plusieurs travaux publiés sur le site de El Militante comme "Le drapeau de Coyoacan", "La Révolution cubaine et le socialisme dans un seul pays", ou en dernier lieu "Le 15 août, nous prendrons le Palais d’Hiver", travaux qui ont eu un fort impact international. Nous avons discuté avec Celia, qui est membre du Parti Communiste de Cuba et fille des dirigeants historiques de la Révolution cubaine Armando Hart et Haydée Santamaria, de la situation de Cuba à la suite de l’effondrement du stalinisme et des perpectives du socialisme.
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EM. Quelle appréciation portes-tu sur les événements politiques qui ont secoué le continent latino-américain ces dernières années ?
CH. Nous vivons une situation révolutionnaire à l’échelle internationale, due à la globalisation capitaliste et à l’attitude de l’impérialisme. Sur le continent latino-américain cette situation révolutionnaire recouvre tout le territoire, le Venezuela bolivarien, la Bolivie, le Pérou... y compris dans des pays comme le Mexique, où l’on croyait il y a peu que l’impérialisme tenait bien le pays, on observe une montée révolutionnaire. Nous sommes dans un moment optimum pour intervenir, organiser et conduire le continent là où nous voudrions qu’il aille.
EM. Ton implication en faveur de la révolution au Venezuela est très grand. Tu écris des articles, tu organises des actions de solidarité à Cuba. Quel message adresserais-tu, comme révolutionnaire qui vit dans une île où la révolution l’a emporté, aux travailleurs et aux paysans, aux opprimés du Venezuela et à tous ceux qui dans le monde se mobilisent en défense de cette révolution ?
CH. En premier lieu, il faut se consacrer totalement à la défense et au triomphe du processus révolutionnaire au Venezuela. Cela ne veut pas dire, qu’on me comprenne bien, qu’il faut faire tout ce que dit le commandant Chavez. Je crois que tous les travailleurs du Venezuela ont un devoir qui les transcendent comme nation et ce pour la première fois depuis longtemps, peut-être depuis le précédent de la IIe République espagnole et sa révolution manquée, et que Chavez, qu’il ait ou non lu le marxisme, a clairement identifié l’impérialisme et l’oligarchie comme l’ennemi de classe. Cela signifie que la seule manière de libérer le Venezuela de l’oppression impérialiste est la révolution sociale. Bien que Chavez dise que ce n’est pas une révolution socialiste, les faits doivent être interprétés non pas à partir de ce que disent les gens mais de ce qu’ils sont. L’ennemi de classe est là et inévitablement la révolution sociale est liée à toutes les revendic ations du peuple opprimé. Internationalement, nous tous qui luttons pour la cause des travailleurs et qui croyons que la solution aux problèmes de cette planète est dans la révolution socialiste, nous devons nous engager dans cette révolution jusqu’à la moelle.
EM. Dans ton article "La Révolution cubaine et le socialisme dans un seul pays", qui a provoqué une polémique publique très positive, tu défends la Révolution cubaine depuis une perspective internationaliste et sa continuité dans la révolution latino-américaine et mondiale. De plus, tu dresses un bilan très critique sur "le socialisme dans un seul pays", en questionnant de manière dévastatrice cette idée antimarxiste qui consiste à estimer qu’il est possible d’édifier le socialisme à l’intérieur des frontières nationales d’un pays isolé, l’effondrement de l’URSS ayant prouvé que c’est impossible. Quel bilan fais-tu de ce débat et de sa relation avec Cuba ?
CH. Pour moi la pensée de Trotsky est très importante, au même titre que celle de Marx, Engels et Lénine. Après avoir écrit La Bandera de Coyoacan ("Le Drapeau de Coyoacan") qui défendait la nécessité de Trotsky, je devais aller plus loin dans ma propre réflexion. Je suis marxiste et je crois à la lutte de classes, je suis une amoureuse de ma révolution, je crois que Fidel Castro et Che Guevara sont d’énormes internationalistes très martianiens et que José Marti, justement, est un personnage qu’on devrait étudier beaucoup plus, car il détestait les frontières et ne donnait d’autre direction à l’indépendance nationale au XIXe siècle que d’empêcher l’impérialisme yankee de prendre le contrôle de l’Amérique Latine et du monde. Il avait un fort instinct internationaliste. Il était donc pour moi essentiel de reprendre les idées de Trotsky et son internationalisme afin de défendre ma révolution. Il est certain qu’il y a un lien entre les deux (je suis physicienne), c’est ma conviction. J’aimerais aussi qu’il soit parfaitement clair pour mes camarades à Cuba que si je m’appuie sur les idées de Trotsky dans la période actuelle, c’est pour la révolution cubaine, pour la révolution en Amérique Latine et pour la révolution mondiale. L’issue de la révolution cubaine, sa défense et sa continuité dépendent du monde, de la révolution internationale. Telles sont les leçons de l’histoire. Trotsky, relégué et calomnié à tort, est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. J’ai souvent posé cette question : pourquoi lisons-nous Gramsci, pourquoi devons-nous lire Mariategui et Rosa Luxemburg, mais pas Trotsky ? Le lien Trotsky-Révolution est évident.
EM. Tu viens de dire qu’il faut nous baser sur les faits et pas seulement sur les définitions. C’est Karl Marx qui expliqua la nécessité de la révolution mondiale et qui aussi introduisit l’expression "Révolution Permanente" dans ses écrits sur les révolutionnaires allemands de 1848. Lénine, qui ne fit qu’appliquer dans la pratique le programme marxiste, a toujours eu comme première priorité l’organisation internationale des travailleurs, la IIIe Internationale et la révolution mondiale, qu’il considérait comme plus importante que la révolution russe elle-même. En ce sens, la figure du Che se rattache t-elle à ce que nous disons ?
CH. Absolument. De plus, au fur et à mesure que s’écoule le temps, les choses deviennent toujours plus claires. Je dis que le Che a initié l’ère de la Révolution Permanente en Amérique Latine, mais pas seulement cela. Je crois qu’il fut le continuateur de ces idées au point de devenir le symbole de la jeunesse mondiale. Peu m’importe, en définitive, que le Che ait lu ou non Trotsky, il était internationaliste et participa sans condition à la révolution cubaine. Il était un révolutionnaire du monde, livrant la bataille là où se présentaient des opportunités révolutionnaires. Selon moi, l’affirmation du Che de faire plusieurs Vietnams en Amérique en fait le meilleur disciple de Trotsky. Il renonça à des responsabilités très importantes à Cuba avec la conviction que c’était nécessaire à la victoire de la révolution internationale. Il lui a manqué un certain nombre de choses assurément, les communistes boliviens l’ont trahi, mais il a ouvert la voie, il s’est engagé, c’est pourquoi le Che doit être notre symbole.
EM. Dans le moment actuel, tous les travailleurs conscients, tous les communistes, ont l’obligation de s’engager fermement dans la défense des conquêtes de la révolution cubaine contre le blocus criminel des EU, qui prétend en finir avec l’économie planifiée et la révolution en rétablissant le capitalisme à Cuba. Mais en marxistes nous sommes conscients que le futur de la révolution cubaine est non seulement dans les propres forces révolutionnaires qu’il y a à Cuba, mais dans l’arène de la lutte de classes internationale. Sans l’extension et la victoire de la révolution socialiste en Amérique Latine, la menace d’une restauration capitaliste à Cuba se fera chaque jour plus réelle. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
CH. La révolution cubaine s’est convertie sans aucun doute en un symbole et si je la défends ce n’est pas parce que je suis cubaine ou née dans l’île, mais pour les mêmes raisons que je défends aussi la révolution d’Octobre russe. Pour moi, elles ont les mêmes valeurs. Certains compatriotes peuvent se demander comment une martinienne peut défendre ces positions. Je leur réponds en rappelant que pour Marti l’indépendance de Cuba était un moyen pour parvenir à résoudre les problèmes du monde et en finir avec la domination impérialiste. Certains situent José Marti sur un plan patriotique vulgaire. Ma révolution a surgi dans les années 60 sur un engagement clair de classe et la seule manière de gagner était la révolution socialiste. Castro lui-même, dans une lettre qu’il adressa à la révolutionnaire Celia Sanchez (d’où mon prénom) affirmait : "Quand cette guerre sera terminée, commencera pour moi une guerre sans fin". On peut lire entre les lignes ce que Fidel veut dire. Il est vrai aussi que les révolutions gagnantes ont tendance à se stabiliser, devant assurer la vie quotidienne des gens, avec consolidation d’un appareil administratif. Je me souviens que ma grand-mère paternelle disait à mes parents, après 3 ou 4 années de révolution : "Mais dis-moi Armando, maintenant qu’on a gagné, on va enfin pouvoir vivre, non ?". Maman lui répondait : "Quand avons-nous gagné ?", exprimant par là l’instinct révolutionnaire de ne pas s’arrêter, de ne pas s’installer.
Il est certain que le problème soulevé par le développement du stalinisme a imprégné les processus révolutionnaires dans le monde entier. La victoire de Staline sur l’Internationale, sur les idées communistes, a été la plus grande trahison de l’histoire contre les idées révolutionnaires. Il s’agissait d’extirper l’internationalisme des idées et du programme communiste. A nous aujourd’hui qui sommes en vie de récupérer l’authentique contenu de l’internationalisme communiste. A Cuba nous avions avant la révolution le vieux parti communiste (dénommé Partido Socialista Popular-P.S.P.), composé de bons militants mais avec une ligne politique stalinienne terrible. Comme communistes, nous devons faire notre autocritique, pour avoir porté durant très longtemps le poids mort du stalinisme sur nos épaules, pour ne pas l’avoir combattu suffisamment, pour ne pas avoir fait ce que nous aurions dû faire, le laissant ainsi gagner.
Dans cette situation la révolution cubaine fit front à l’impérialisme et triompha. Beaucoup disent que sans l’URSS il n’y aurait pas eu de victoire. Je considère ce point de vue pour le moins discutable. Je crois que rien ni personne n’arrêtait Fidel. Il est vrai qu’à un moment donné l’URSS nous a fournit du pétrole, des armes, un flux très important de ressources matérielles, qui nous permirent de faire des choses magnifiques dans de nombreux domaines, mais l’URSS n’a pas eu que ce rôle dans la vie de notre pays. Nous devons faire un bilan critique. L’URSS nous a trahi durant la crise des missiles. Le peuple cubain était prêt à tout à ce moment-là et quand finalement l’URSS et les EU s’entendirent, aucun Cubain ne participa à l’accord. Le stalinisme et la bureaucratie sont un mal qui surgit dans toute révolution victorieuse et qui ne peut être combattu que par la révolution mondiale.
L’histoire de Cuba n’a pas toujours été bien expliquée. J’ai lu Trotsky par hasard et j’ai retrouvé ce que je pensais. La bureaucratie, dans mon pays également, a pénétré par noyaux le Parti Communiste en ses tendances conservatrices, celles qui recherchent la tranquillité, le "statut-quo". Dans l’actuel moment de la révolution cubaine, plus que jamais il est nécessaire de continuer la lutte et pour moi, la défense de Cuba et de ses conquêtes révolutionnaires passe par la révolution mondiale et en premier lieu par le triomphe de la révolution socialiste en Amérique Latine.
Messages
1. Cuba et le "socialisme dans un seul pays", 6 octobre 2007, 18:05
Quoi ! on peut être trotkiste au parti communiste de Cuba en 2007 ?
Dans notre pays aux 400 fromages, c’est pas Arlette ou Olivier, pas plus que Marie Georges, qui s’en vanteraient. C’est pourtant un parti de ce type que j’attends ! et pas un PS bis ! Un parti qui a le courage de montrer ce qu’il a fait de bien tout en regardant, pour l’éliminer, jusque dans les recoins, ce qui le "plombe" depuis 56, à savoir le stalinisme et sa théorie du "Socialisme dans un seul pays".
CN46400
1. Cuba et le "socialisme dans un seul pays", 6 octobre 2007, 18:31
Le PCF doit réhabiliter Trotsky et ses idées sur la révolution mondiale.Cela permettrait une large alliance entre tous les communistes absolument nécessaire dans la situation politique actuelle.L’alliance privilègiée avec le PS bourgeois nous plombe sur le plan révolutionnaire et empêche tous les militants de se retrouver activement pour combattre le capitalisme et le battre . Notre compromission permanente dans la gestion de la socièté bourgeoise à travers les collectivités territoriales et les négociations syndicales aide le capitalisme à se justifier et à perdurer.On ne peut poursuivre un combat clair et efficace en se compromettant .Trotsky,par son idée de "révolution permanente",reste un théoricien de la lutte de classes et nous ne devons pas nous priver de l’étudier et non pas de le renier par bêtise politique .Le débat entre tous les communistes est utile et enrichissant mais à la condition qu’on trouve un dénominateur commun pour une stratégie gagnante contre le capital .Alors ce que dit notre camarade Cubaine prend tout son sens en Europe et en France en particulier .........
Bernard SARTON,section d’Aubagne
2. Cuba et le "socialisme dans un seul pays", 6 octobre 2007, 19:03
Et ce parcequ’aussi Trotsky a joué un certain rôle dans les premières années du PCF. Ceci étant l’unification, si necessaire, des communistes français, ne doit pas se bâtir sur le rejet des prolétaires (ceux qui travaillent pour vivre) socialistes ou socialisants. La devise "prolètaires de tous les pays, unissez-vous !" est plus actuelle que jamais.
CN46400
3. Cuba et le "socialisme dans un seul pays", 6 octobre 2007, 19:28
pour Cuba, je pense que ce qui a souvent attiré un petit peu les révolutionnaires cubains chez Trotsky c’était la théorie de la révolution permanente et le refus du "socialisme dans un seul pays".
Ce qu’ont essayé de faire les révolutionnaires cubains, du Mozambique à l’Angola, à Alger aux côtés de Ben Bella, en Amérique latine, a bien été du trotskysme dans les faits, une tentative méthodique, et se saisissant de toutes les opportunités favorables, pour étendre la révolution au monde (l’inverse du conservatisme du PC russe stalinien). et surtout pour permettre la survie et la préservation du chemin vers le socialisme pour le peuple cubain.
Mais bon, PC cubain trotskysant ou pas, restera toujours les questions de qui dirige dans une société, comment et au travers de quels processus concrets et historiques. Bref une analyse des classes et couches sociales en mouvements dans des sociétés où l’essentiel de la bourgeoisie a été écartée. Pas seulement des analyses des discours, même si ils sont très intéressants.
Copas
4. Cuba et le "socialisme dans un seul pays", 6 octobre 2007, 19:59
Bien sûr, à Cuba comme partout, les paroles sont une chose et les faits sont, ou peuvent être, autre chose. Le seul pb est un éventuel retour de la bourgeoisie au pouvoir, totalement improbable tant que la porte est fermée...de l’extérieur, alors que celle de l’URSS était fermée de... l’intérieur, et qu’il est difficile, dans ces conditions, de vivre du travail d’autrui, donc de devenir un bourgeois, d’autant que le pouvoir l’interdit.
Du coup, à Cuba, la dictature du prolétariat sur la bourgeoisie est, pour le moment, une sinécure. Au Viet nam, par exemple, c’est moins simple.
CN46400