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De l’ordre public social et … du contrôle social
Publie le jeudi 1er février 2007 par Open-PublishingLe tabac est dangereux pour la santé et donc pour les salariés sur leur lieu de travail et en particulier pour ceux qui le subissent passivement.
Sur cette base incontestable, un décret datant du 16 novembre 2006 disposent que les inspecteurs et contrôleurs du travail auront compétence pour réprimer les infractions aux dispositions de ce nouveau décret et en particulier celle qui punit d’une contravention de 3eme classe (68 €) les personnes qui dans l’entreprise ne respecteraient pas l’interdiction de fumer. En d’autres termes, il s’agit par ce texte « santé publique » de réprimer en particulier les salariés qui dans les entreprises braveraient l’interdiction. De fait, il est dorénavant demandé aux agents de l’Inspection du Travail de contrôler des comportements, des « mauvaises conduites », l’employeur n’étant plus au premier chef, le responsable de l’obligation de sécurité.
C’est une première en droit du travail alors que la jurisprudence (frauduleusement utilisée pour ne dire instrumentalisée par la circulaire ministérielle) avait, y compris en matière de risque tabagique, visé l’obligation de sécurité du chef d’entreprise de lutter contre les risques professionnels dans l’entreprise ; le salarié étant seulement responsable au titre de ses obligations nées du contrat de travail. Ainsi par ce décret santé publique, un salarié est seul responsable pénalement sans que l’employeur puisse être rendu coresponsable : le fait de fumer, une conduite, constitue maintenant une infraction en droit du travail indépendamment de ce que l’employeur aura fait ou non fait en la matière.
Cette petite révolution de l’ordre public social constitue à n’en pas douter une illustration concrète de la fameuse vision globale de la prévention des risques professionnels où de facto le comportement défaillant de l’individu salarié vient contrebalancer, atténuer, voire se substituer à la responsabilité, l’obligation de sécurité du chef d’entreprise. Le code du travail ne doit plus être un dispositif de protection des salariés mais un outil apte à économiquement traiter le coût induit par tel ou tel risque (ici le tabac) Ainsi la circulaire ministérielle (EMPLOI TRAVAIL) concernant ce décret insiste dans son argumentaire politique introductif sur le fait que le fumeur est quelqu’un qui coûte cher : « en matière de coûts économiques et sociaux, des études menées dans des pays anglo-saxons estiment qu’un salarié fumeur génère des frais supplémentaires de l’ordre de 2 500 à 4 000 euros par an, dus notamment à une dégradation plus rapide du matériel, une augmentation des accidents du travail. Par ailleurs, un salarié non fumeur est moins souvent en arrêt maladie qu’un fumeur (différentiel de l’ordre de 23 %). »
Plus grave, cette même circulaire indique que le fumeur est plus apte à développer un cancer professionnel. Est-ce à dire que demain un travailleur exposé à un produit CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) dans son activité salariale mais qui aurait été verbalisé pour infraction à l’interdiction de fumer serait quelque part responsable de son cancer et serait donc en difficulté pour faire reconnaître sa maladie professionnelle et ou son niveau d’indemnisation ? Pour certains types de cancer liés à l’amiante, les lobbies de l’époque ne soutenaient ils pas déjà que ceux-ci étaient en grande partie liée à la consommation tabagique.
Du point de vue de l’Inspection du Travail ce texte est également inacceptable puisque il place les agents de contrôle dans la position de sanctionner le salarié défaillant faute de quoi certains pourraient avoir la bonne idée de rendre l’ETAT responsable et l’agent individuellement du risque auquel il est exposé du fait de son inaction : l’inspecteur ou le contrôleur responsable (avec l’employeur) de l’atteinte à la santé des salariés de l’entreprise DEVIENT AINSI UN PRINCIPE.
Quid dans un tel contexte de la convention n° 81 de l’O.I.T. qui laisse l’Inspection du Travail maîtresse des suites qu’elle entend réserver aux constats qu’elle réalise ? Quid de l’autorité et de la crédibilité de l’Inspection dans les entreprises et auprès des salariés et de leurs représentants si celle-ci devient le surveillant général sanctionnant les mauvais élèves ! Quelles situations inextricables ne vont-elles pas se créer par la volonté de nombre d’acteurs dans l’entreprise et en premier lieu, les employeurs, d’instrumentaliser ce texte et l’inspection pour régler de mauvais comptes, par exemple à un représentant du personnel fumeur ? Que de questions pour nos représentants « déontologues » au CHRIT (Comité des Hauts Responsables à l’Inspection du Travail en Europe) !
Bref l’inspection est ici détournée de sa mission de protection des salariés fondée sur le contrôle du respect par l’employeur de ses obligations en particulier de sécurité : sa mission, sa fonction n’est pas de traiter les conduites addictives en surveillant et punissant les salariés. Sa fonction, sa mission de fond est de traiter des conditions de travail qui, se dégradant, poussent de plus en plus les salariés à prendre des substituts pour « tenir » et garder leur emploi ! Il va de la responsabilité des autorités publiques, du ministère du travail de rappeler cette évidence.
L’Inspection du travail est une autorité au service de l’ordre public social et non un corps de contrôle au service de l’ordre social où tout individu qu’il soit employeur ou salarié est sur le même pied d’égalité dans l’entreprise.
Si l’on considère comme le professeur LYON-CAEN que le droit du travail est, tout à la fois la reconnaissance de l’exploitation de l’homme par l’homme et un moyen de la contrecarrer et qu’ainsi cette exploitation s’exerce dans un cadre où l’inégalité économique de fait n’ait pas, ou le moins possible, d’incidence sur la santé des travailleurs, alors on considèrera que seul l’employeur est débiteur de l’obligation de sécurité ; ainsi la santé au travail ne pourra que participer à la santé publique en général.
Considérer par contre que la sécurité et la santé reposent avant tout sur le bon comportement du salarié dans l’entreprise, c’est considérer que la santé au travail n’est qu’une question de gestion et ce faisant qu’elle doit participer à la réduction des déficits.
La production de carnet à souches par le ministère en vue de la verbalisation, notamment des salariés à leur poste de travail, l’annonce de la volonté de contrôler l’effectivité de celle-ci ont provoqué un choc parmi les agents de l’Inspection du Travail.
Des premières remontées il ressort que dans leur grande majorité ceux-ci refusent de mettre à bas ce qui a fondé le Code du Travail, les principes qui ont guidé et guident leur action.
La C.G.T appuie cette réaction des agents, leur refus de s’engager dans une spirale destructrice qui demain contaminera toute l’action des services (pourquoi ne pas verbaliser le salarié qui ne porte pas de casque sur un chantier, etc.…). Ils ont raison.
Elle prend contact avec les instances de la confédération afin de les alerter.
Elle prend contact avec tous les syndicats pour défendre les principes d’action du service public de l’Inspection du Travail.
Non à la mise en cause des salariés.
Paris, le 26 janvier 2006.