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L’autre :
Amenez-le-moi !
Non, pas lui... Oui, lui.
Amenez-le-moi !
- On lui amène -
Ton visage me dit quelque chose, étranger.
D’où viens-tu ?
Lui :
Depuis que j’ai quitté le ventre, j’ai suivi mes pas dans l’errance.
Le lait est depuis longtemps caillé au coin de ma bouche. Je n’ai la nostalgie ni du sein, ni du lieu où j’ai poussé comme un arbre dans la forêt des hommes.
Aucune terre natale rivée à mes souliers et, dieu merci, aucun point d’ancrage où pendre mon amertume.
L’autre :
Es-tu né libre ?
Lui :
Je suis né libre et j’ai dû m’affranchir.
Aujourd’hui, je n’ai nulle autre entrave que ma chair, et ce n’est rien puisque mon esprit se meut.
Je n’ai plus à verser ma sueur et il m’importe peu de mourir debout.
L’autre :
Apportes-tu la violence, étranger ?
Lui :
La violence ?
N’ai-je pas répondu sans hausser la voix à chacune de tes questions ?
Je n’apporte pas la violence. Mes mains sont vides, mon cœur plein du désir de te connaître.
Mais ma peau n’est plus depuis longtemps une écorce, et tout me traverse.
En arrivant ici, j’ai senti la fièvre. Il y a comme une lèpre qui court tout le long de ton royaume.
Tu n’entends pas ?
Les gueux frappent à ta porte.
Mais n’aie crainte, je n’ôterais pas une seule pierre à ta couronne, pas plus que je n’aurai besoin de ton trône pour m’asseoir.
Je te l’ai dit. Il m’importe peu de mourir debout.
L’autre :
Tu parles bien, étranger.
Des phrases en fleur qui ne veulent peut-être pas dire grand-chose.
As-tu des formules toutes prêtes pour chaque question posée ?
Lui :
Je suis ignorant en toute chose.
Si je mets des fleurs dans mes mots, c’est par peur qu’ils empestent l’homme.
Toi, tu as couvert ta peau de la robe du pouvoir et elle traîne jusqu’à terre soulevant, à chacun de tes pas, la poussière de ton ennui.
Dans ses replis, il y a comme une haine tenace et un dédain vulgaire pour ton propre genre.
Tu ne peux plus être nu et dire : je suis ignorant en toute chose.
Les mots ne devraient être là que pour nous aider à nous comprendre, à partager.
Les tiens sont couverts d’ecchymoses et supposent tant de sens cachés qu’une rumeur se propage toujours dans tes silences.
Tu ne peux plus être nu.
L’autre :
C’est bien cet homme.
m. pour l’Orchestre Poétique d’Avant-guerre