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Entre ras-le-bol « national » et colère « sociale »

Publie le mercredi 1er juin 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

Ce vote s’apparente à celui des formations « antisystème » lors du premier tour de la présidentielle de 2002, selon l’enquête Louis Harris.

Par Renaud DELY

Peur de l’avenir et peur de l’ailleurs, telles sont les deux principales explications du vote de crise de dimanche. Selon l’enquête post-électorale menée par l’institut Louis Harris pour Libération et i>Télé juste après l’annonce des résultats, c’est un gigantesque ras-le-bol qui s’est exprimé dans les urnes (1). Un niet massif qui s’apparente au triomphe des formations « antisystème » du 21 avril 2002, lors du premier tour de la présidentielle. Et qui couronne un quart de siècle de votes-sanctions qui n’ont jamais reconduit une majorité législative. Jusqu’à faire de la France le pays qui dit non. Aboutissement de la décrédibilisation de la démocratie représentative doublée d’une large remise en cause des « élites », le référendum s’est traduit, comme le résume le directeur des études politiques de Louis Harris, François Miquet-Marty, par un « vote protestataire à la fois social et national ».

Un non de toutes les souffrances

La France du non va mal. Et surtout, se sent mal. Les nonistes se disent « révoltés » et « pessimistes » jusque dans leur quotidien. Ainsi, 70 % d’entre eux jugent que la « situation sociale » est « en voie de détérioration », 38 % seulement des ouistes partageant le même sentiment. Plus intéressant encore, 53 % des nonistes estiment que, si leur situation est encore « correcte », elle menace de « rapidement se dégrader », alors que 44 % des ouistes considèrent à l’inverse que l’avenir n’est pas menaçant. Cette perception de la société française se traduit par une sociologie électorale immuable depuis près de quinze ans. Elle reproduit une « fracture sociale » qui ne cesse de s’élargir depuis qu’elle a été diagnostiquée au moment du référendum sur Maastricht en 1992. Ainsi, ce sont bel et bien les catégories populaires, paupérisées, frappées par la crise économique et menacées par le chômage de masse, qui ont permis la victoire du non. Celui-ci est nettement majoritaire chez les ouvriers et employés (lire ci-contre). Par rapport à 1992, le triomphe des nonistes s’explique par le ralliement des retraités et des fonctionnaires (présents, pour l’essentiel, dans la catégorie des professions intermédiaires) qui vivent l’Europe comme une menace pesant sur leur statut. Ce fossé qui se creuse entre le haut et le bas est illustré par la surreprésentation du non dans les catégories sous-diplômées, les diplômés de l’enseignement supérieur ayant approuvé le traité. Enfin, une bonne partie du non étant passé en treize ans de droite à gauche ­ parce que Chirac a remplacé Mitterrand à l’Elysée ­, les artisans, commerçants et chefs d’entreprises ont fait le chemin inverse. Signe que cette crise de la société française est profonde, le non vient de loin : à peine 10 % de ses partisans se sont décidés au cours des deux dernières semaines.

Un non de tous les refus

C’est le caractère dominant de la majorité des électeurs qui se sont mobilisés pour rejeter le traité européen. L’avenir les inquiète, l’ailleurs les angoisse. « La xénophobie a constitué un puissant ressort du vote », analyse François Miquet-Marty qui souligne combien les images combinées de « l’adhésion de la Turquie et du plombier polonais », toutes deux popularisées dans un premier temps par Philippe de Villiers, « ont fonctionné à plein ». Le rejet de l’étranger constitue l’humus d’un pays qui a accordé, il y a trois ans, 5 millions de voix à Jean-Marie Le Pen. Ainsi, 49 % des personnes interrogées approuvent l’affirmation selon laquelle « il y a trop d’étrangers en France ». Et 67 % de ces dernières ont voté non, un symptôme qui témoigne du poids des bataillons lepénistes qui ont silencieusement provoqué la victoire du non dimanche. Au total, l’ensemble des « motivations » des électeurs du non traduit l’addition de ces refus : si 38 % se sont déplacés pour « permettre de renégocier le traité », 32 % mettent en avant leur « refus de l’Europe libérale », 31 % un « ras-le-bol » général, 27 % entonnent l’antienne souverainiste de la sauvegarde de « l’indépendance de la France » et 22 % clament leur « refus de l’adhésion de la Turquie » à l’Union européenne.

Un non de toutes les couleurs

De gauche bien sûr, d’extrême gauche aussi, mais aussi d’extrême droite, ainsi se présentent les multiples facettes du non. Au total, ce sont les formations protestataires et « antisystème » qui n’ont jamais gouverné qui se sont le plus mobilisées pour rejeter le traité. Si l’on décompose les divers visages nonistes, on constate qu’un tiers de ses supporters se positionnent à gauche (PS, PCF, Verts) et un peu moins de 10 % à l’extrême gauche. A l’inverse, seuls 10 % d’entre eux se classent dans les rangs de la droite UMP-UDF, alors que 17 % se revendiquent de la droite extrême et de l’extrême droite (Villiers et Le Pen). Toutefois, la sous-déclaration manifeste des sympathisants lepénistes ne permet pas de jauger précisément le poids du FN dans le non. En effet, seuls 4 % de notre échantillon avoue un penchant pour Le Pen. Ses sympathisants sont probablement nombreux parmi les 26 % de pro-non qui déclinent toute préférence partisane. L’électorat frontiste s’étant mobilisé à plus de 90 % en faveur du non, ses troupes pèsent sans doute pour un peu moins d’un tiers dans le total de 15 millions de bulletins non.

Le coup de balai du jour d’après

Le non est tellement composite qu’il sera bien délicat à l’exécutif, et à l’ensemble des formations de gouvernements, de répondre à ses attentes. Du départ assuré de Raffarin à la dissolution de l’Assemblée nationale, les Français ne se retrouvent que sur un mot d’ordre : sortez (tous) les sortants ! Sans rêver d’une démission de Chirac qui, usé et décrédibilisé par dix ans de pouvoir, leur semble encore inamovible. Malgré l’ampleur du désastre, l’espoir de la majorité réside dans le fait qu’elle semble disposer d’une alternative : Sarkozy qui, selon notre sondage, règne sur un désert à droite. A gauche, en revanche, flotte un arrière-goût de revenant. Devant le grand désordre qui s’annonce, les sympathisants socialistes ne se tournent pas vers le vainqueur du jour, le néogauchiste Fabius, mais penchent pour Jospin : un éternel retour pour réduire les fractures apparues un certain 21 avril 2002.

(1) Enquête réalisée le 30 mai auprès de 1 402 personnes.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=300320

Messages

  • Salut à toutes et à tous,

    "Le non est tellement composite" : Faux ! les électeurs du NON sont TOUS des pauvres qui en ont mare d’être de plus en plus pauvre ! Et que certains d’entre eux se fassent récupérer par les politiciens de droite ou de gauche, d’extrême droite ou d’extrême gauche n’y change rien !

    Quant au retour de Jospin, c’est pure propagande. Nous n’avons aucun moyen de vérifier ce que l’on nous dit à ce sujet à part le fait que nous l’avons totalement désavoué en votant NON !

    A+
    do
    http://mai68.org

    • Tout à fait d’accord ! Il y a évidemment parmi les nonistes des électeurs d’extrême-droite, mais dans le vote du 29 mai, ce n’est pas vraiment en rapport avec leurs positionnement d’extrême-droite qu’ils se sont prononcés. Le nationalisme de type pétainiste ou colonialiste est à peu près mort aujourd’hui, et si le racisme et la xénophobie demeurent, ils ne trouvent pas clairement matière à s’exprimer dans ce référendum. Il me semble par exemple que le rejet de la Turquie est d’abord le fait de ceux qui se réclament de l’Europe chrétienne (mais qui peuvent évidemment être xénophobes en prime, au nom de l’amour du prochain). Cela n’empêche pas les manipulations grossières de l’Immonde : carte brune des 84 départements nonistes...

  • Un article de bon sense ,Je pense que le dégout est plus profond encore Mr CHIRAC se dit
    Gaullien ;
    Mais le Général DE GAULLE , suite au désacord sur le référendum de l’époque , à démissioné
    de ces fonctions lui .
    Voila ,je pense l’une des raisons majeur du malaise qui frape notre Pays ...