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France Télécom : un été meurtrier
Publie le jeudi 10 septembre 2009 par Open-Publishing1 commentaire
Médiapart, 10/09/2009
Les syndicats rencontrent jeudi 10 septembre la direction de France Télécom pour évoquer la souffrance au travail. Cet été, cinq salariés se sont suicidés, selon l’Observatoire du stress et des mobilités forcées créé par les syndicats Sud et CGC-Unsa. Dans cette tribune adressée à Mediapart, l’Observatoire condamne le« déni » de la direction de France Télécom et l’enjoint à « accepter de négocier ». « La direction se refuse à remettre en cause son modèle de management », écrivent les auteurs.
L’été 2009 a été particulièrement douloureux : cinq salariés de France Télécom se sont encore suicidés. Le premier de ces drames se déroule à Marseille le 14 juillet. Le cadre qui met fin à ses jours, Michel, dénonce dans une lettre sa « surcharge de travail » et un « management par la terreur ». Un deuxième salarié, Daniel, se suicide à Draguignan mi- juillet, pendant un arrêt maladie. Le troisième, Camille, met fin à ses jours à Quimper, le 31 juillet. Le quatrième suicide intervient à Besançon le 11 août : Nicolas, célibataire sans enfant de 28 ans, y exerçait son métier de technicien télécoms. Dans une entreprise largement senior, le relatif jeune âge du salarié accroît l’émotion des personnels. Le cinquième et dernier en date, à Lannion le 30 août.
Dans les deux mois d’été, l’Observatoire du stress et des mobilités forcées a recensé, outre ces cinq décès, quatre nouvelles tentatives de suicide. Vingt deux salariés ont mis un terme à leur existence depuis janvier 2008. Une macabre énumération qui ne prend pas en compte les nombreux salariés éloignés de l’entreprise pour longue maladie, terme pudique qui masque le plus souvent de profondes dépressions.
Drame individuel, c’est évidemment la thèse reprise immédiatement par la direction de l’entreprise qui reçoit le concours inattendu et soudain des autorités judiciaires. Le lendemain du drame de Besançon, le parquet a estimé qu’à la lecture d’une lettre laissée par le salarié, il était « impossible d’établir un lien formel de causalité entre ses problèmes professionnels et son geste fatal », sans exclure la possibilité d’une enquête sur les conditions de travail. « 24 heures d’enquête, tout est bouclé ! Et l’on se plaint des lenteurs de la justice ! », commente de façon amère Francis Hamy, membre de l’Observatoire du stress et représentant de la CFE-CGC et de l’UNSA au comité national qui chapeaute les 263 CHSCT de France Télécom. Le salarié « était confronté à une mobilité forcée depuis plusieurs mois », souligne pourtant Christian Mathorel (CGT). Jacques Trimaille (Sud-PTT) précise de son côté que le technicien« avait récemment été nommé sur un poste qu’il a ressenti comme très disqualifiant ».
Dès la mi-juillet, les six organisations syndicales du groupe ont demandé, par lettre publique, une audience d’urgence au P-DG Didier Lombard, sur le départ (Stéphane Richard, ancien directeur du cabinet de la ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde, doit lui succéder d’ici 2012). Fin août, notre lettre restait sans réponse ni même accusé de réception.
Chez les militants de base, la tension est réelle : trente mille suppressions d’emploi ont été enregistrées depuis 2006, et se sont déroulées sans aucun accord conventionnel, sans plan d’accompagnement des restructurations.
Les deux dernières négociations, obligatoires tous les trois ans, dites de gestion prévisionnelle de l’emploi et de des compétences (GPEC) ont échoué, fautes de signataires syndicaux…
Après avoir vainement évoqué une « co-responsabilité » entre entreprise et syndicats dans cette vague des suicides, la direction propose enfin quelques ouvertures. Elle accepte une négociation sur la déclinaison à France Télécom de l’accord de branche interprofessionnel sur le stress dans les télécoms. Elle concède le principe de« négociations locales » avec les organisations syndicales en cas de restructurations de sites ou d’établissements. Elle souhaite renforcer l’embauche de médecins de travail et d’assistantes sociales et densifier un tissu de personnels de relations humaines dites « de proximité ».
Cela sera-t-il suffisant ? Dans les faits, la direction de l’entreprise se refuse à remettre en cause son modèle de management, de reconnaître un lien concret entre les restructurations en cours et la souffrance au travail. Elle éprouve visiblement les plus grandes difficultés à se résoudre à recourir à des solutions conventionnelles : accepter de négocier et trouver un terrain d’accord avec les organisations syndicales. Cependant, la politique de déni de la direction semble enfin connaître ses limites à l’aune de ces drames.
L’accumulation des morts n’est, avec les démissions, les congés pour longue maladie, les "pétages de plomb" et la montée vertigineuse de l’absentéisme (un mois par an en moyenne pour les salariés du groupe !), que l’un des indices qui montrent que la maison France Télécom va mal. Christophe Dejours, titulaire de la chaire psychanalyse, santé, travail au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et co-auteur, avec Florence Bègue, du livre Suicide et travail, que faire ? (Presses universitaires de France), réagit avec vivacité :
« Je suis en colère, car cet événement souligne une dégradation du "vivre ensemble" chez France Télécom qui, depuis sa privatisation, pratique une réorganisation d’une grande brutalité, d’après les enquêtes dont j’ai eu connaissance. Je suis effondré, car cela montre que le travail que nous avons essayé de faire, depuis les premiers suicides au travail, il y a une douzaine d’années, pour favoriser la prise de conscience de la souffrance au travail, est sans effet. »
Le chercheur s’emporte contre l’apathie des entreprises qui renvoient systématiquement le suicide à la sphère privée, aux fragilités individuelles :« Chacun est considéré comme responsable de sa décompensation. Cette vision est fausse : ces suicides sont le plus souvent en lien avec les transformations de l’organisation du travail. (…) C’est vrai qu’en général, le salarié qui se suicide a des difficultés personnelles. Mais expliquer ainsi son geste, comme le font les directions, c’est s’appuyer sur l’idée d’une coupure entre vie personnelle et vie au travail. Or, sur le plan psychique, elle n’existe pas. Quand quelqu’un souffre au travail, cela vient dégrader sa vie personnelle. » La multiplication des actes désespérés l’inquiète : « Il y a trente ou quarante ans, le harcèlement, les injustices existaient, mais il n’y avait pas de suicides au travail. Leur apparition est liée à la déstructuration des solidarités entre les salariés. Celles-ci ont été broyées par l’évaluation individuelle des performances, qui crée de la concurrence entre les gens, de la haine même. Cette évaluation doit être remise en question. »L’Observatoire du stress et des mobilités forcées se doit de poursuivre son action et ses travaux sur l’ensemble de ces sujets. Des assises seront organisées à Paris, à la fin de l’année.
Pour l’Observatoire du stress et des mobilités forcées de France Telecom : Patrick Ackermann (SUD-PTT), Philippe Meric (SUD-PTT) et Pierre Morville (CFE-CGC).
Messages
1. France Télécom : un été meurtrier, 10 septembre 2009, 11:24
A force de supprimer les emplois et de surcharger de travail ceux qui restent en multipliant les pressions de toutes sortes jusqu’à les rendre malades et les pousser au suicide, on constate le résultat . Combien de morts faut-il encore avant que le droit du travail ne songe à prévoir un refus légitime du salarié en état de légitime défense face aux pressions insupportables qui découlent des suppressions d’emploi.
Les suppressions d’emplois ne doivent pas occasionner de charges de travail supplémentaires pour ceux qui restent, sinon cela signifie que ces emplois étaient indispensables et que leur suppression n’obéissait qu’à des questions d’augmentation des profits et des boni des administrateurs . Ce type de suppressions mortifères d’emplois juste pour le profit de quelques privilégiés doit être INTERDIT par une LOI.