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Jacques Sapir : derrière la crise grecque, l’explosion de l’euro ?

Publie le lundi 30 mai 2011 par Open-Publishing

La crise de l’Euro s’accélère. L’épisode du nouveau « sauvetage » de la Grèce n’a rien réglé. Désormais, et quoique que puissent en dire les Présidents et Premiers Ministres réunis à Deauville pour le G8, le défaut sur la dette (pardon la « restructuration ») est inéluctable. L’absence d’accord politique sur les nouvelles mesures d’austérité est compréhensible, et ne fera qu’accélérer le cours des événements.

Nous voyons les troubles sociaux monter en Espagne. Même l’Italie commencer à inquiéter les marchés ; le taux d’intérêt sur sa dette à 10 ans avait atteint le lundi 23 mai 4,86 %. La Belgique est dorénavant source d’inquiétude et pourrait voir dans les semaines qui viennent sa note baisser. La marche vers la crise terminale se poursuit avec le déclenchement d’un processus de contagion :

La Grèce sera probablement le premier des maillons de la chaîne de l’Euro à sauter. Les taux sur les bonds du Trésor à 10 ans ont atteint 16,81%. De plus, les taux d’intérêt sur les bonds du Trésor à deux ans sont montés à 26,1%, un chiffre astronomique qui ne fait sens que parce que les opérateurs du marché s’attendent à ce que la Grèce fasse défaut dans un délai de moins de deux ans en dépit du plan de privatisation. Ceci entraînera très probablement une nouvelle crise au Portugal et en Irlande.

Pourquoi la Grèce va faire défaut et pourquoi doit-elle faire défaut ?

La situation de la Grèce est inextricable en raison de l’ampleur de sa dette, qui était de 703 milliards d’Euros (soit 296 % du PIB), dont 293 milliards pour la dette publique, 120 milliards de dettes des entreprises financières, 165 milliards des entreprises non financières et 123 milliards pour les ménages au 31 décembre 2009. Depuis, elle a atteint les 780 milliards d’euros. La dette publique qui se montait à 122% du PIB fin 2009 atteint à la fin du premier trimestre 2011 142,5% du PIB. Le déficit budgétaire est estimé entre 9% et 10%.

Si le taux d’intérêt moyen sur la dette publique était ramené à 3,5 % par an, la charge des intérêts représenterait 5,15 % à la fin de 2011. La Grèce va avoir un taux de croissance du PIB sur l’année 2011 de -1,5% en termes réels. Si l’on estime l’inflation à 3,5%, la croissance nominale (et non réelle) devrait être de 2%. Le budget devrait donc dégager un excédent primaire égal à la charge des intérêts (5,15%) diminuée de la croissance nominale (2%) simplement pour stabiliser le poids de la dette en pourcentage du PIB, soit 3,15%. Compte tenu du déficit actuel, cela impliquerait, au minimum, un choc d’ajustement budgétaire de 12% à 13%.

Cependant, certaines des hypothèses de ce calcul sont d’ores et déjà trop optimistes. Le nouveau plan d’austérité va faire chuter la croissance de manière importante, et la réduction du taux d’intérêt à 3,5% n’est pas acquise. On peut donc tabler sur un choc de 15 %. Par ailleurs, si l’inflation – en augmentant le PIB nominal – peut soulager la pression de la dette, elle dégrade encore plus la compétitivité de la Grèce.

Il est donc clair que la situation n’est plus tenable, ni pour la Grèce, qui ne peut s’infliger une austérité aussi drastique, ni pour l’Europe qui ne peut mettre la Grèce sous perfusion sans courir le risque de voir d’autres pays demander le même traitement.

Un défaut sur la dette est donc inévitable et ne signifie pas la fin du monde. Cependant, il entraînera la sortie de la Grèce de la zone Euro afin de pouvoir dévaluer et retrouver sa compétitivité, car un défaut sans une dévaluation n’a pas de sens. Compte tenu de la structure du commerce extérieur de la Grèce (dont seulement 35% se fait avec la zone Euro) et des sources de revenus de l’économie de ce pays (le tourisme, les exportations vers les pays arabes et les revenus de la flotte de commerce) une forte dévaluation apparaît comme la moins mauvaise des solutions.

Bien entendu, elle provoquera une crise bancaire interne, mais les autres choses dont on menace la Grèce (comme l’interruption de l’aide Européenne ou l’impossibilité d’aller sur les marchés financiers) sont d’ores et déjà des réalités. La Grèce ne pourra pas retourner sur les marchés pour y emprunter avant au moins 2015 et l’aide a vu les fonds structurels baisser de manière importante ces dernières années. Si la sortie de l’Euro posera certainement des problèmes importants, le choc social sera cependant bien moins important que dans l’austérité continue que la Grèce devrait s’imposer pour plusieurs années si elle voulait à tout prix rester dans l’Euro.

Dans ces conditions, le plus vite une telle décision sera prise, le mieux cela vaudra pour la population et l’économie.

Dans ce contexte, l’Espagne pourrait suivre rapidement. Le taux d’intérêt sur ses bonds du Trésor à 10 ans atteint déjà 5,53%. Le pourcentage des dettes aux banques qui ne sont pas remboursées atteint déjà 6,2%. Avec la fin massive et programmée des allocations chômage, on atteindra vraisemblablement les 9% vers la fin de l’année.

Le gouvernement espagnol n’aura pas d’autres solutions que de recapitaliser massivement le système bancaire, ce qui fera exploser la dette publique. Devant les tensions sur les taux d’intérêts qui atteindront alors les sommets Grecs ou Irlandais, l’Espagne devra demander à bénéficier du Fond Européen de Stabilité Financière, dont les moyens sont déjà accaparés par la Grèce, l’Irlande (dont les taux à 10 ans sont remontés à 10,86 %) et le Portugal.

Ce dernier pays continue de se débattre dans une récession, maintenant aggravée par les mesures qui sont soi-disant conçues pour le sauver. Le Portugal devra certainement demander une nouvelle aide à la fin de 2011. Les notations de ces pays se dégradent donc en conséquence alors que le coût d’une assurance contre un défaut (CDS à 5 ans) monte :

Un certain nombre d’économistes et d’hommes politiques de gauche comme de droite reconnaissent que le statu quo européen actuel n’est plus possible ni défendable. Il nous conduit tout droit à des surenchères sans fin dans l’austérité et, par ses effets cumulés à l’échelle européenne, à une dépression d’une ampleur encore inconnue. Cependant, effrayés semble-t-il par leur propre audace, ces hommes politiques se refusent à tirer les conséquences logiques de leurs analyses.

La question se focalisant autour d’une possible sortie de l’Euro, sur laquelle j’ai rédigé en avril 2011 un document de travail, je voudrais envisager les problèmes que cette dernière soulève, ainsi que les solutions qui sont possibles, mais aussi mettre ces problèmes en regard de ceux qui nous attendent si nous restons dans l’Euro. Ceci me conduira alors à aborder le problème de la coopération (et de la non-coopération) sur lequel bien des bêtises sont dites avec le plus grand naturel.

Enfin, il faut se poser la question de savoir quelle est la « meilleure » des solutions théoriquement possible, mais aussi si une telle solution est pratiquement possible. La politique est, comme la guerre, un art tout en opportunité.

http://www.marianne2.fr/Sapir-derriere-la-crise-grecque-l-explosion-de-l-euro_a206801.html