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L’Algérie exhorte la France à reconnaître les massacres de 1945

Publie le mardi 10 mai 2005 par Open-Publishing

Abdelaziz Bouteflika a appelé ce week-end la France à reconnaître sa responsabilité dans les massacres de dizaines de milliers d’Algériens descendus dans les rues, le 8 mai 1945, pour réclamer leur indépendance au moment où l’Europe célébrait la victoire sur l’Allemagne nazie.

"Le peuple algérien attend de la France un geste qui libérerait la conscience française", a déclaré le président algérien dans un discours prononcé samedi soir à Sétif et publié dimanche.

"Le paradoxe des massacres du 8 mai 1945 est qu’au moment où les armées de combattants héroïques algériens revenaient des fronts d’Europe, d’Afrique et d’autres où elles défendaient l’honneur de la France et ses intérêts (...), l’administration française tirait sur des manifestants pacifiques", a-t-il ajouté.

Les troupes coloniales françaises lancèrent le 8 mai 1945 une vaste offensive aérienne et terrestre contre plusieurs villes de l’est de l’Algérie, en particulier Sétif et Guelma, après des manifestations antifrançaises qui avaient causé la mort d’une centaine d’Européens.

La répression dura plusieurs jours, faisant, selon les autorités algériennes, 45.000 morts. Des historiens européens estiment pour leur part qu’il y eut entre 15.000 et 20.000 tués.

Cet épisode reste l’un des chapitres les plus sombres des relations entre la France et l’Algérie, qui obtint finalement son indépendance en 1962 au prix d’une guerre sanglante.

De nombreuses cérémonies de commémoration ont eu lieu ce week-end à travers l’Algérie. A Sétif, plus de 20.000 personnes dont plusieurs ministres ont pris part à une marche en empruntant le même itinéraire que les manifestants de 1945.

Employant les termes les plus explicites jamais prononcés par un représentant français, l’ambassadeur de France en Algérie avait reconnu en février que les massacres de Sétif étaient "une tragédie inexcusable".
Mais l’Algérie souhaite aujourd’hui que Paris aille plus loin en reconnaissant officiellement sa responsabilité.

"Le peuple en entier attend encore de la France, qui a mis des décennies à reconnaître la guerre d’Algérie (...), que les déclarations de l’ambassadeur de France soient suivies d’un geste plus probant", a poursuivi le président Bouteflika.

"Le peuple algérien n’a eu de cesse d’attendre de la France une reconnaissance de tous les actes commis durant la période de colonisation, y compris la guerre de Libération, pour voir s’ouvrir de larges et nouvelles perspectives d’amitié et de coopération entre les deux peuples."

A Paris, Bertrand Delanoë, a rappelé dimanche que le 8 mai marquait "l’anniversaire d’une autre barbarie, celle de Sétif", et souhaité lui aussi que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité.

"Les sociétés du XXe siècle (...) doivent avoir le courage de la vérité (...) On s’honore en disant la vérité, parfois en demandant pardon", a dit le maire de la capitale française au micro de Radio J.

De son côté, le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, espère dans un entretien publié dimanche par le quotidien El Watan que les deux pays parviendront "à examiner ensemble le passé afin d’en surmonter les pages les plus douloureuses pour (les) deux peuples".

"Cela suppose d’encourager la recherche des historiens, de part et d’autre, qui doivent pouvoir travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel, a-t-il ajouté. Ce travail de mémoire est un objectif qui doit se retrouver dans le traité d’amitié en préparation."

Alger et Paris doivent signer un important traité d’amitié cette année, semblable au traité de réconciliation signé en 1963 par la France et l’Allemagne.

"Est-ce que ça peut suffire du point de vue de l’opinion publique algérienne, je ne pense pas parce qu’il y aura toujours des revendications", estime Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire de l’Algérie.

"Mais il faut constater tout de même que c’est un pas en avant (...) dans la diplomatie française", a-t-il ajouté sur les ondes de la radio nationale algérienne.

De nombreux hommes politiques et historiens algériens, qui considèrent les massacres comme un génocide, exigent des excuses mais aussi des réparations.

"Soixante ans après, la France ne reconnaît pas ses crimes contre l’humanité et parle même des vertus du colonialisme pour refuser tout acte de repentance et demander pardon aux victimes", affirme en une le quotidien algérien La Tribune. (Reuters)