Accueil > La caténaire, voilà l’ennemie
de Nathanaël Dupré la Tour
En France au moins, le terrorisme de ce mois de novembre est économe de sang humain. Il accroche aux caténaires des fers à béton pour ralentir les TGV ; et il préfère Agamben ou Virilio à Lénine ou Machiavel. C’est ce qu’enseigne en tout cas la lecture du manifeste L’insurrection qui vient ou celle des numéros de l’éphémère revue Tiqqun, qui aux dires du Ministère de l’Intérieur résument la pensée et inspirent l’action de ces « anarcho-autonomes » arrêtés au lendemain de la commémoration de la Grande guerre et qui risquent jusqu’à dix ans de prison pour avoir mis en retard un grand nombre de trains.
On trouve bel et bien dans ces textes ce qui a attiré sur eux les soupçons de la police : un hymne au blocage de l’économie et au sabotage des réseaux (Comment rendre inutilisable une ligne de TGV ?), à défaut d’un véritable manuel ; une exaltation des émeutes de 2005 et un appel classique à l’insurrection révolutionnaire et à la dévolution du pouvoir aux communes. On y trouve aussi beaucoup de paraphrase des auteurs cités plus haut, une forme assez triviale de nihilisme (« dans la misère des temps, “tout niquer” fait peut-être office de dernière séduction collective »), un éloge de la fraude sous ses divers aspects, la curieuse proposition de « généraliser la palabre », et ici ou là quelques constats plus inspirés (« Tous les “ça va ?” qui s’échangent en une journée font songer à autant de prises de température que s’administrent les uns aux autres une société de patients »).
On y retrouve surtout cette rhétorique de la dégradation qui hantait La Société du spectacle et une même difficulté à décrire l’alternative politique, difficulté qui nous renvoie peut-être à l’éloignement concomitant de l’idée de progrès et de la fiction. Comme chez les grands ancêtres situationnistes le problème est que tout va de mal en pis : l’époque contemporaine est alternativement décrite comme le désastre, l’enfer ou la terreur, l’aliénation marchande est partout, l’espace public est aux mains de la police, il n’y a plus ni ville ni campagne, etc.
« Sous quelque angle qu’on le prenne, le présent est sans issue » : tel est l’incipit d’un manifeste en effet sans issue, sinon ces actes un peu dérisoires de résistance à la vitesse et au mouvement. Si la fin de l’histoire est observable quelque part, c’est bien là, dans cette absence de projet et cette théorisation de la pratique révolutionnaire comme un happening, une performance se suffisant à elle-même et qui se résume à la seule ambition de mettre un grain de sable dans les rouages de la modernité, d’arrêter un instant le perpetuum mobile pour espérer, dans une suite improbable de ricochets, « démobiliser » la société.
Cent ans après le manifeste futuriste, on ne saurait mieux lire le basculement qui s’est opéré dans la croyance révolutionnaire que dans cette posture des saboteurs de caténaires corréziens. Le traitement qui sera réservé à ces prétendus terroristes nous renseignera sur ce que, quant à elle, la droite devient ces temps-ci.
Messages
1. La caténaire, voilà l’ennemie, 17 novembre 2008, 12:22
La gazette d’@rrêt sur images, n° 46
A l’heure où je vous envoie cette gazette, personne ne sait de quoi sont vraiment coupables les neuf personnes soupçonnées d’avoir saboté les caténaires de plusieurs lignes TGV. Mais depuis quelques jours, quel tohu-bohu autour de la "mouvance anarcho-autonome", et de ces « nihilistes potentiellement très violents » ! Faisant écho à la ministre de l’Intérieur (1) Michelle Alliot-Marie, toutes les chaines de télévision nous ont bombardés d’images du "QG", dans lequel "le cerveau" et "ses lieutenants" fourbissaient leurs noirs desseins (2). Peut-être la police a-t-elle touché juste. Mais quelle ardeur générale, dans la fabrication d’un épouvantail médiatique (3), qui succède aux « barbus islamistes », ou aux « gangs ethniques » !
La plus belle perle de nos confrères est certainement cette "épicerie tapie dans l’ombre" d’un village de Corrèze. Selon France 2, la « mouvance » y avait trouvé refuge. Infos, intox et littérature ! Pour mieux comprendre, ne manquez pas notre émission de cette semaine. Deux journalistes (France Info et Le Parisien) nous racontent comment ils slaloment entre les vérités officielles. Ont-ils l’impression de se faire intoxiquer ? En tout cas, « l’affaire du RER D, on l’a tous en tête » disent-ils. Notre émission est ici (4). Ses meilleurs moments sont là (5).
Ne manquez pas non plus le débat qui se développe à propos de la surveillance d’Internet, que souhaitent les ministres Darcos et Pécresse, et qui vise à « repérer les leaders d’opinion ». Le ministère veut-il "fliquer les professeurs", comme le dit Jack Lang, ou bien ne s’agit-il que d’une inoffensive revue de presse améliorée ? Nos abonnés sont partagés, et il est vrai que la question n’est pas simple, à l’heure où chacun s’exprime, parfois inconsidérément, sur Internet.
Et pour vous abonner, c’est là (6).
Daniel Schneidermann
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(1) http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=1383
(2) http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=1382
(3) http://www.arretsurimages.net/dossier.php?id=119
(4) http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=1389
(5) http://www.dailymotion.com/asi/video/x7ek9q
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2. La caténaire, voilà l’ennemie, 17 novembre 2008, 22:40
Comment rendre inutilisable une ligne de TGV ?),
Pour ça y a pas besoin de "fer à béton". Ni de "penseurs" d’extrême gauche -gauche-gauche.
Suffit de laisser faire la Direction de la SNCF et la politique de privatisation du Gouvernement.
Encore quelque temps et les TGV partiront un coup sur deux en admettant qu’ils ne déraillent pas comme les trains britanniques entretenus au minimum. LOL.
G.L.
3. La caténaire, voilà l’ennemie, 18 novembre 2008, 00:51, par ColargoletteDeLaGoyette
C’est l’histoire de jeunes qu’auraient grimpé sur une échelle sans se faire électrocuter...