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La littérature française dans la mondialisation

Publie le mercredi 2 juillet 2008 par Open-Publishing

par Blaise Wilfert-Portal [01-07-2008]
Domaine : Culture & médias

La « littérature-monde » glorifiée par plusieurs dizaines d’auteurs de langue française récuse les émois minuscules que ressent et met en scène le microcosme parisien.
Selon elle, au contraire, le roman doit être un « atlas du monde ». Mais, à certains égards, sa vision est aussi idéologique et nationale que celle qu’elle dénonce. Le manifeste pour la « littérature-monde » est-il un plaidoyer pour une littérature ouverte au vent du large ou une défense d’une néo-francophonie dirigée contre l’anglais ?

Le 16 mars 2007 parut dans Le Monde, en pleine campagne présidentielle, un manifeste littéraire dans la pure tradition du manifeste parisien, avec ce qu’il fallait d’ésotérique, de polémique et de poétique pour susciter le scandale, l’intérêt et même l’attention des présidentiables.

Écrit par Alain Mabanckou, Michel Le Bris et Jean Rouaud, mais également signé par Éva Almassy, Tahar Ben Jelloun, Maryse Condé, Dai Sijie, Ananda Devi et encore bien d’autres, ce manifeste affirmait et célébrait, quelques mois après que cinq des sept principaux prix littéraires de l’automne eurent été décernés à des auteurs « francophones », c’est-à-dire de langue française mais pas de nationalité française [1], la naissance enfin advenue d’une « littérature-monde en français ».

Cet avènement scellait, selon les auteurs, la fin de la littérature nationale française, c’est-à-dire parisienne : son étroitesse hexagonale, cantonnant les auteurs étrangers de langue française (et surtout les ressortissants des anciennes colonies) dans le ghetto piégé de la « francophonie », et son nombrilisme, qui la condamnait à ne parler que des sensations minuscules, de la physique intestinale et à se complaire dans l’ésotérisme de l’autoréférentialité du signe, la reléguaient aux rangs des vieilleries.

Ce manifeste fit tant de bruit que, non content de déclencher de nombreuses réponses, ripostes et commentaires, dans les journaux littéraires et sur Internet, il suscita la réaction outrée du secrétaire de l’organisation internationale de la francophonie, Abdou Diouf, ainsi qu’une réaction du candidat Sarkozy, ou plutôt de son parolier Henri Guaino, dans les pages du Figaro. La littérature avait sa place dans la campagne présidentielle grâce à la « littérature-monde ».

Le livre dont il est question ici, Pour une littérature monde, sous la direction de Jean Rouaud et Michel Le Bris, constitue le prolongement de ce manifeste. Vingt-sept contributions, de cinq à trente pages chacune, poursuivent la polémique ouverte par le manifeste ou se chargent d’exemplifier, par des récits autobiographiques centrés sur la naissance de la vocation à l’écriture en français ou par l’évocation de l’élasticité mondiale du français qu’ils écrivent, les visages concrets de cette littérature-monde.

Un manifeste dans un grand journal de la capitale, puis un livre chez un grand éditeur de la même capitale, dans lequel deux des titulaires de prix littéraires de la rentrée 2006 ont accepté de signer un chapitre, une réaction d’un présidentiable promis à un bel avenir, une montée en créneau du directeur de l’Organisation internationale de la francophonie, des centaines de réactions dans la presse et la blogosphère : il y avait beau temps que la littérature française n’avait pas connu une telle secousse.

Dans ses chapitres polémiques, le livre reprend la double attaque menée dans le manifeste de mars 2007 : d’une part contre la notion de francophonie, jugée discriminatoire pour les auteurs de langue française non français, d’autre part contre une littérature parisienne sclérosée par « la contemplation narcissique et desséchante de son propre rétrécissement ».

La francophonie est morte

Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi, Jacques Godbout, Tahar Ben Jelloun, Ananda Devi, Nimrod, c’est l’orientation principale de leur texte, s’en prennent à la notion de « francophonie », dont ils font un procès virulent.

Comme institution, c’est un paravent qui sert à masquer la pauvreté de la politique de la langue mise en œuvre par les dirigeants français et leurs collègues des autres continents, et à ce titre il vaut mieux la laisser mourir, ou ronronner, selon le diagnostic, les artistes n’ayant rien à voir avec un programme hésitant entre impuissance et impérialisme, assistanat et mauvaise foi.

Comme mode de classification des auteurs de langue française, c’est une catégorisation vexatoire et discriminatrice, puisqu’elle sert en fait à faire des écrivains en français (mais non français de nationalité) des écrivains d’à-côté, des presque pareils ou même des étrangers.

Selon les auteurs, et notamment Alain Mabanckou qui signe l’un des textes les plus lumineux et en même temps les moins amers de l’ouvrage, on regroupe ainsi, dans un ensemble arbitraire, une myriade d’écrivains qui ont en commun de n’être pas français, ou de ne pas sembler l’être, d’écrire visiblement de loin, de la périphérie, par rapport au centre parisien.

La peur et l’exaspération permanentes de ces auteurs taxés de francophones consistent à être sans cesse renvoyés à des poncifs sur leurs origines, leur couleur, la colonisation, leur rapport compliqué à la langue, alors qu’ils voudraient parler littérature, forme, poésie, universalité de la pensée et de l’art.

Le pire est la louange conçue par certains animateurs de télévision comme l’ultime récompense : « Mais comme vous parlez bien notre langue ! », disent-ils, comme si ces écrivains y étaient consubstantiellement étrangers, eux qui littérairement n’en veulent souvent pas connaître d’autre et ont voué leur vie d’artiste à son illustration.

À ce sujet, les signes ne trompent pas, et les auteurs du manifeste n’arrivent pas après la bataille, comme certains commentateurs ont pu le dire ou l’écrire. Certes, c’est précisément en écho aux prix de l’automne 2006, qui ont semblé consacrer la littérature de ces « francophones » au centre même de la littérature « franco-française », que le manifeste puis le livre ont été publiés ; mais le chemin est encore bien long et douloureux à parcourir, quand on sait que le salon de l’Organisation internationale de la francophonie, qui voulait célébrer en 2006 la littérature francophone, n’avait pas programmé d’inviter des auteurs français de nationalité et refusait la participation à Boualem Sansal, parce qu’en tant qu’Algérien il n’était pas ressortissant d’un pays appartenant à l’OIF…
Quand on peutconstater aussi par soi-même, dans nombre de librairies, qu’Alain Mabanckou, parce que de nationalité congolaise et situant pour une part ses fictions dans un contexte qui évoque l’Afrique, est classé en littérature africaine, alors que Jonathan Littell, citoyen américain jusqu’à une date très récente et qui raconte l’histoire de criminels de guerre allemands, trône à côté de Valéry Larbaud et de Pierre Loti… Et les auteurs citent eux-mêmes nombre d’anecdotes sur ce sujet, qui montrent qu’une part encore décisive de leur rôle dans le monde littéraire français est de figurer comme d’aimables supplétifs plus ou moins exotiques, éventuellement utiles pour participer au programme de résistance mondiale contre la domination de l’anglais. Où l’on retrouve les origines du terme même de francophonie, inventé à la fin du XIXe siècle par Onésime Reclus, pour donner à la République française un nouvel outil de puissance dans la concurrence entre les empires : la langue et la littérature devaient compenser la faible natalité et les limites de l’expansion économique françaises et permettre de lutter contre la puissance anglaise ou allemande.

Ce racisme ordinaire, cet impérialisme invisible, d’autant plus efficaces qu’ils sont principalement inconscients, sont le reflet, selon les signataires de ce livre-manifeste, d’une configuration de pouvoir dans laquelle les acteurs du système social et symbolique qui se désigne comme littérature française, installés au centre historique de son pouvoir, à Paris, soit ne parviennent pas à changer de représentation du monde, soit n’y ont pas intérêt.

Le terme de francophone est bien dépassé et pernicieux s’il ne s’applique, tout autant, aux écrivains franco-français qu’aux autres.

Pourquoi ne pas s’en tenir au bien plus limpide « écrivains français » pour désigner tous ceux qui, de par le monde, ont le français comme langue d’art littéraire, tous ceux qui alors contribuent également à la littérature-monde en langue française ? [...]

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