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La religion du Capital

Publie le mercredi 19 décembre 2007 par Open-Publishing
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27 février 1886

La religion du Capital – cette « farce » savoureuse dont la publication débute dans « Le Socialiste » le 27 février 1886, est le compte-rendu d’un congrès international tenu à Londres, au cours duquel les représentants les plus éminents de la bourgeoisie rédigent les Actes d’une nouvelle religion pour ce Chaos qu’ils ont créé et ont décidé d’appeler « Monde civilisé ». – Une nouvelle religion, susceptible non seulement « d’arrêter le dangereux envahissement des idées socialistes », mais capable de donner à ce monde chaotique et capitalistique une forme au moins apparemment définitive. Il faut bel et bien au Capital un Dieu propre, qui « amuse l’imagination de la bête populaire ».

1. Le congrès de Londres

Les progrès du socialisme inquiètent les classes possédantes d’Europe et d’Amérique. Il y a quelques mois, des hommes venus de tous les pays civilisés se réunissaient à Londres, afin de rechercher ensemble les moyens les plus efficaces d’arrêter le dangereux envahissement des idées socialistes. On remarquait parmi les représentants de la bourgeoisie capitaliste de l’Angleterre, lord Salisbury, Chamberlain, Samuel Morley, lord Randolph Churchill, Herbert Spencer, le cardinal Manning. Le prince de Bismarck, retenu par une crise alcoolique, avait envoyé son conseiller intime, le juif Bleichroeder. Les grands industriels et les financiers des deux mondes, Vanderbilt, Rothschild, Gould, Soubeyran, Krupp, Dollfus, Dietz-Monin, Schneider assistaient en personne, ou s’étaient fait remplacer par des hommes de confiance.

Jamais on n’avait vu des personnes d’opinions et de nationalités si différentes s’entendre si fraternellement. Paul Bert s’asseyait à côté de Mgr Freppel, Gladstone serrait la main à Parnell, Clémenceau causait avec Ferry, et de Moltke discutait amicalement les chances d’une guerre de revanche avec Déroulède et Ranc.

La cause qui les réunissait imposait silence à leurs rancunes personnelles, à leurs divisions politiques et à leurs jalousies patriotiques.

Le légat du Pape prit la parole le premier.

– On gouverne les hommes en se servant tour à tour de la force brutale et de l’intelligence. La religion était, autrefois, la force magique qui dominait la conscience de l’homme ; elle enseignait au travailleur à se soumettre docilement, à lâcher la proie pour l’ombre, à supporter les misères terrestres en rêvant de jouissances célestes. Mais le socialisme, l’esprit du mal des temps modernes, chasse la foi et s’établit dans le cœur des déshérités ; il leur prêche qu’on ne doit pas reléguer le bonheur à l’autre monde ; il leur annonce qu’il fera de la terre un paradis ; il crie au salarié « On te vole ! Allons, debout, réveille-toi » Il prépare les masses ouvrières, jadis si dociles, pour un soulèvement général qui détraquera les sociétés civilisées, abolissant les classes privilégiées, supprimant la famille, enlevant aux riches leurs biens pour les donner aux pauvres, détruisant l’art et la religion, répandant sur le monde les ténèbres de la barbarie... Comment combattre l’ennemi de toute civilisation et de tout progrès ? – Le prince de Bismarck, l’arbitre de l’Europe, le Nabuchodonosor qui a vaincu le Danemark, l’Autriche et la France, est vaincu par des savetiers socialistes. Les conservateurs de France immolèrent en 48 et en 71 plus de socialistes qu’on ne tua d’hérétiques le jour de la Saint-Barthélemy, et le sang de ces tueries gigantesques est une rosée qui fait germer le socialisme sur toute la terre. Après chaque massacre, le socialisme renaît plus vivace. Le monstre est à l’épreuve de la force brutale. Que faire ?
Les savants et les philosophes de l’assemblée, Paul Bert, Haeckel, Herbert Spencer se levèrent tour à tour et proposèrent de dompter le socialisme par la science.

Mgr Freppel haussa les épaules :

– Mais votre science maudite fournit aux communistes leurs arguments les mieux trempés.

– Vous oubliez la philosophie naturaliste que nous professons, répliqua M. Spencer. Notre savante théorie de l’évolution prouve que l’infériorité sociale des ouvriers est aussi fatale que la chute des corps, qu’elle est la conséquence nécessaire des lois immuables et immanentes de la nature ; nous démontrons aussi que les privilégiés des classes supérieures sont les mieux doués, les mieux adaptés, qu’ils iront se perfectionnant sans cesse et qu’ils finiront par se transformer en une race nouvelle dont les individus ne ressembleront en rien aux brutes à face humaine des classes inférieures que l’on ne peut mener que le fouet à la main.

– Plaise à Dieu que jamais vos théories évolutionnistes ne descendent dans les masses ouvrières ; elles les enrageraient, les jetteraient dans le désespoir, ce conseiller des révoltes populaires, interrompit M. de Pressensé. Votre foi est vraiment par trop profonde, messieurs les savants du transformisme ; comment pouvez-vous croire que l’on puisse opposer votre science désillusionnante aux mirages enchanteurs du socialisme, à la communauté des biens, au libre développement des facultés que les socialistes font miroiter aux yeux des ouvriers émerveillés ? Si nous voulons demeurer classe privilégiée et continuer à vivre aux dépens de ceux qui travaillent, il faut amuser l’imagination de la bête populaire par des légendes et des contes de l’autre monde. La religion chrétienne remplissait à merveille ce rôle ; vous, messieurs de la libre pensée, vous l’avez dépouillée de son prestige.

– Vous avez raison d’avouer qu’elle est déconsidérée, répondit brutalement Paul Bert, votre religion perd du terrain tous les jours. Et si nous, libres penseurs, que vous attaquez inconsidérément, nous ne vous soutenions en dessous mains, tout en ayant l’air de vous combattre pour amuser les badauds, si nous ne votions tous les ans le budget des Cultes, mais vous, et tous les curés, pasteurs et rabbins de la sainte boutique, vous crèveriez de faim. Qu’on suspende les traitements et la foi s’éteint... Mais, parce que je suis libre penseur, parce que je me moque de Dieu et du Diable, parce que je ne crois qu’à moi et aux jouissances physiques et intellectuelles que je prends, c’est pour cela que je reconnais la nécessité d’une religion, qui, comme vous le dites, amuse l’imagination de la bête humaine que l’on tond, il faut que les ouvriers croient que la misère est l’or qui achète le ciel et que le Bon Dieu leur accorde la pauvreté pour leur réserver le royaume des cieux en héritage. je suis un homme très religieux... pour les autres. Mais, sacredieu ! pourquoi nous avoir fabriqué une religion si bêtement ridicule. Avec la meilleure volonté du monde, je ne puis avouer que je crois qu’un pigeon coucha avec une vierge et que de cette union, réprouvée par la morale et la physiologie, naquit un agneau qui se métamorphosa en un juif circoncis.

– Votre religion ne s’accorde pas avec les règles de la grammaire, ajouta Ménard-Dorian, qui se pique de purisme. Un Dieu unique en trois personnes est condamné à d’éternels barbarismes, à des je pensons, je me mouchons, je me torchons !

– Messieurs, nous ne sommes pas ici pour discuter les articles de la foi catholique, s’interposa doucement le cardinal Manning, mais pour nous occuper du péril social. Vous pouvez, rééditant Voltaire, railler la religion, mais vous n’empêcherez pas qu’elle soit le meilleur frein moral aux convoitises et aux passions des basses classes.

Nous regrettons vivement que le manque d’espace nous oblige à résumer les remarquables discours prononcés dans ce congrès qui réunissait les sommités de la science, de la religion, de la philosophie, de la finance, du commerce et de l’industrie. Nous renvoyons le lecteur à l’article où M. Spencer préconise la prison cellulaire et le fouet comme méthode de gouvernement des basses classes ; il parut dans la Contemporary Review du mois d’avril et portait le titre de « The Coming slavery » (l’esclavage qui vient). Le communisme est l’esclavage que nous prédit le célèbre philosophe bourgeois.

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La suite :
 http://www.marxists.org/francais/la...

Messages

  • Ce qu’a été et ce qu’est le fascisme

    On oublie trop souvent les aspects économiques du fascisme en mettant surtout l’accent sur ses aspects raciaux, nationalistes et autoritaires. L’essence réactionnaire et anti-ouvrière du fascisme se trouve dans le système corporatiste, dans lequel on cherche à concilier le conflit Capital-Travail. Cet aspect est de loin le plus important dans la mesure où il permet de « cerner » les intentions de ceux qui se cantonnent encore aujourd’hui dans ces ornières, bien qu’ils disent réprouver, au moins en paroles, le racisme, la xénophobie et le nationalisme.

    Le Corporatisme fasciste est une théorie économique énoncée à la base de la Charte du Travail (1927) qui se présentait comme une alternative hypothétique entre le capitalisme libéral et le communisme. L’État fasciste avait pour fonction de réguler l’économie du pays (l’Italie... N.d.T.) et de faire passer l’ « intérêt national » avant l’intérêt individuel. En réalité, le Corporatisme a été l’emblème de la réaction fasciste, consistant dans la tentative de « pacifier » le classique conflit Capital-Travail.

    La Charte du Travail

    La nuit du 22 Avril 1927, le Grand Conseil du Fascisme approuva la « Charte du Travail » (publiée au Journal Officiel le 30 Avril), qui n’était autre qu’un manifeste contenant 30 points :
    *Les dix premiers (I à X) étaient intitulés : « De l’État corporatiste et de son organisation ». Au point VIII, sont définies les corporations : « Les corporations constituent l’organisation unitaire des forces de production et en représentent intégralement les intérêts. En vertu de cette représentation intégrale, les intérêts de le production devenant les intérêts nationaux, la Loi reconnaît donc les corporations ».
    ** les dix suivants (XI à XXI) traitent « Du contrat collectif de travail et des garanties appliquées au travail ».
    ***Les points XXII à XXV concernaient les bureaux d’enregistrement, qui stipulaient « la préférence qui serait faite à ceux qui appartenaient au Parti National Fasciste et aux syndicats fascistes ».
    ****Les derniers points (XXVI à XXX) établissaient les règles « De la prévoyance, de l’assistance, de l’éducation et de l’instruction ».

    Le caractère réactionnaire du corporatisme

    « L’État fasciste est ou bien corporatiste, ou bien il n’est pas fasciste ! » (1° Octobre 1930, discours de Benito Mussolini). La Charte du Travail avait attribué la représentation des intérêts nationaux aux corporations, organes de coopération entre associations de donneurs d’ordres et les associations de travailleurs, en assignant donc aux entrepreneurs et aux travailleurs unis l’objectif de discipliner l’activité des entreprises et de leurs relations. Les donneurs d’ordres et les ouvriers devaient donc (théoriquement) privilégier en conséquence les intérêts nationaux avant ceux des individus.
    La substance réactionnaire et bourgeoise de la « Charte » est clairement et sans aucun doute possible repérable dans le point VII, où il est dit que l’État corporatiste considère l’initiative privée dans le domaine de la production comme l’instrument le plus efficace et le plus utile dans l’intérêt de la Nation. Il est donc évident que les intérêts de l’État et des entrepreneurs coïncident là parfaitement. Dans ce point, on parle certes de « collaboration des forces productives » et de « réciprocité des droits et des devoirs », mais en réalité, la « Charte » maintient les structures hiérarchiques et autoritaires de la société, autrement dit la division de celle-ci en classes, bien que celles-ci soient formellement abolies.
    Il est certain que les entrepreneurs devront faire quelques concessions au prolétariat, mais cela leur fut une nécessité en mesure de leur permettre de désamorcer toute velléité révolutionnaire à caractère social en les reléguant donc à leur éternel rôle de dominés soumis aux dominateurs.
    La « Charte » permettait au grand capitalisme financier, industriel et agraire de maintenir leur hégémonie économique, au moyen d’un capitalisme et d’un protectionisme « masqués ». En 1930 est constitué le Conseil national des Corporations ( au nombre de 22) qui finit en 1939 par supplanter le Parlement, en assumant le nom de Chambre des Faisceaux et des Corporations. Ce « tournant » impliqua la fin de tout débat interne, remplacé par le rituel et la démagogie populiste des cérémonies fascistes.

    Réactions des antifascistes au corporatisme

    Les forces antifascistes (anarchistes et communistes pour l’essentiel) jugèrent sévèrement ces lois puisque fortement teintées de populisme, sous lesquelles ils devinaient les réels inspirateurs de la « Charte » : la bourgeoisie.
    « État ouvrier », la revue du Parti communiste italien en exil écrit alors :
    « Que bien des socialistes, certains républicains, et autant de communistes soient radicalement opposés à la « réforme corporatiste » autant que nous le sommes est probable, même si un petit nombre d’entre eux , hors notre camp, sont de ceux qui rejettent de cette réforme et le caractère contingent et ses prémices théoriques ainsi que ses conséquences historiques. »
    Parmi les anarchistes, Camillo Berneri développe sa critique radicale du corporatisme et de toutes les formes d’ « Étatolâtrie ».
    Pour Berneri, les Communistes et les Socialistes étaient « des fétichistes de l’État et du socialisme d’État » et se dissimulait derrière leurs paroles une certaine démagogie qui les inclinait à s’opposer au corporatisme fasciste, mais pas à la construction d’un autre corporatisme, évidemment différent du fasciste, mais toutefois « cousin dans ses formes totalitaires, concentratrices et bureaucratiques ».

    Source : http:// ita.anarchopedia.org/corporatisme, publié sur OSCalz et SFalcone’s blogs.
    Traduit de l’Italien par Sedira Boudjemaa, artiste-peintre, le 18.12.07. 10h00 A.M.